Marcus avait des journées très chargées, avec la rentrée qui arrivait. En plus du fait que cela soit sa propre rentrée en tant que professeur au lycée, il devait aussi organiser celle de sa fille qui allait entrer en école maternelle. Et donc aller à l’école pour la première fois, ce qui était quelque chose d’assez stressant pour lui, qui n’avait jamais été éloigné de sa fille plus d’une heure ou deux. Certainement parce qu’il était trop protecteur, et il en avait conscience, mais la petite Mia était littéralement tout ce qui lui restait. Alors oui, il était peut-être un peu parano sur les bords, mais ça ne l’empêchait pas de vivre un peu pour autant.

Il avait d’ailleurs aujourd’hui rendez-vous dans un café avec une jeune femme pour apprendre un peu le français. Il avait lâché l’apprentissage de cette langue après avoir quitté le lycée, et il doit bien avouer que c’était une chose qu’il regrettait un peu. Et il n’avait pas eu l’occasion de reprendre des cours jusqu’à maintenant avec tout ce qui lui était tombé dessus. Mais sa nouvelle vie à New York était justement une occasion pour changer cela. Il avait donc déposé Mia chez sa baby-sitter, une jeune anglaise bien sympathique qu’il avait rencontré dans une boulangerie, et qui s’occupait très bien de sa fille. Il ne demandait pas mieux, surtout qu’il ne partait jamais bien longtemps. Là, c’était parti pour une heure. Et il s’était tout de suite rendu au lieu de rendez-vous après l’avoir déposée.

Chloé était déjà là quand il entrait dans le café. Il venait d’ailleurs de recevoir un message sur son téléphone lui signalant qu’elle était présente. Et après s’être commandé lui-même un café –certainement son dixième de la journée- il rejoint alors la jolie blonde à sa table en lui servant un petit sourire.

« Bonjour, vous êtes bien Chloé ? »

Ce serait cool quand même de ne pas se planter de personnes, surtout qu’il y avait beaucoup de femmes blondes ici, plus qu’à Londres même. Ou alors ce n’était qu’une impression, mais en tout cas, c’était l’impression qu’il avait.

Marcus était à l’heure habituellement. Du moins, il l’avait toujours été avant la naissance de sa fille. Maintenant qu’il devait s’occuper d’elle, tout seul, pratiquement à plein temps, être à l’heure était devenu une option. Et oui, il faisait partie, malheureusement, de ces professeurs qui pouvaient arriver cinq minutes en retard. Mais heureusement, la plupart de ses élèves l’adoraient, et donc ne lui en voulaient jamais vraiment, surtout qu’il ne les retenait pas forcément plus longtemps à la fin des cours. Enfin, aujourd’hui ce n’était pas lui le professeur, et bien au contraire d’ailleurs. Il allait être l’élève de cette jeune femme à qui il avait donné rendez-vous dans ce café, et qu’il venait justement de rejoindre. Heureusement il ne s’était pas trompé de personne, et elle lui semblait bien sympathique.

« Oui, c’est moi, enchanté aussi ! »

Il s’assit alors en face d’elle, buvant une gorgée de café avant de poser sa tasse sur la table pour sortir ses propres affaires. Qui se composaient tout simplement d’un carnet et d’un stylo qu’il avait attrapé chez lui avant de partir. Il avait toujours des carnets qui trainaient partout chez lui, pour noter un peu tout et n’importe quoi dedans. Certains se retrouvaient même avec des dessins d’enfants, vu que sa fille y avait accès. Dont celui-là d’ailleurs qui ne lui avait pas échappé, sur quelques pages. Heureusement, il avait encore largement assez de place pour écrire à l’intérieur.

« Pas de soucis ! Et oui, on peut se tutoyer, je pense. »

Ils avaient certainement pratiquement le même âge, après tout, alors pourquoi pas. Il n’était pas forcément très exigeant à ce niveau-là en dehors de ses propres élèves. Et encore, il n’avait pas encore commencé à donner des cours ici. Peut-être était-ce différent qu’en Angleterre, il ne savait pas tellement.

Marcus avait pris place à la table après avoir récupéré son café. Son centième de la journée très certainement, mais c’était bien ce qu’il lui fallait pour tenir. Venir vivre ici, à New York, seul avec sa fille faisait qu’il courrait un peu partout toute la journée, et il était d’ailleurs bien content que sa princesse entre à l’école cette année. Ça lui ferait, mine de rien, un peu moins de choses à gérer dans une seule journée, même s’il n’échapperait pas aux mercredis après-midi et weekend, bien entendu. Mais ça ne le dérangeait pas forcément. Le blond adorait sa fille, plus que tout, et passer du temps avec elle était bien ce qu’il préférait dans ses journées. Il prenait d’ailleurs toujours le temps pour elle, elle était sa priorité, et elle le serait toujours. Surtout qu’elle n’avait que lui.

« Dans un lycée, oui, je suis professeur d’histoire. »

Pas la matière la plus appréciée par ses élèves, mais bon. Il avait un certain don pour les intéresser un minimum avec la façon qu’il avait de donner ses cours. Disons qu’il savait comment capter leur attention, et les choses que les jeunes appréciaient. Certainement parce qu’il n’était lui-même pas si vieux que ça, et qu’il était encore à la page. Ce ne serait peut-être plus le cas d’ici quelques années, mais il comptait sur sa fille pour le remettre dans le droit chemin de la mode des plus jeunes, si jamais.

« J’attends qu’il sorte en DVD pour le regarder. »

L’inconvenant d’avoir un enfant en bas âge. Il ne pouvait pas vraiment emmener sa fille voir ce genre de films. Quand ils se rendaient au cinéma, c’était en général pour aller voir le dernier dessin animé qui était sorti, mais pas pour d’autres films. Surtout qu’aller au cinéma tout seul ce n’est clairement pas ce qu’il y a de mieux, on va pas se mentir. Marcus préférait clairement y aller accompagner.

« J’ai quelques bases que j’ai appris quand j’étais au lycée. Du moins je me souviens de quelques trucs, même si c’est très approximatif. J’ai perdu la main depuis. »

Pour dire, il s’y connaissait plus en indispensables pour bébé qu’en français, ce qui n’était clairement pas le cas de beaucoup d’hommes. Mais ces dernières années, ses priorités avaient été bien différentes de celles des hommes de son âge. Et même si sa fille avait maintenant quatre ans, elle lui demandait encore beaucoup de temps et d’énergie, mine de rien. Mais un peu moins qu’au début, alors il se permettait un peu plus de choses.

Les choix de Marcus ces dernières années avaient surtout été faits en fonction de sa fille. Depuis qu’elle était là et qu’il devait s’occuper d’elle tout seul, elle était littéralement devenue sa priorité et… Ben il ne pensait pas que les choses auraient pu se faire autrement. Du moins pas de son point de vue. On ne mettait pas au monde un enfant pour ne pas s’en occuper derrière, et même si ce n’était très clairement pas lui qui avait porté sa fille et tout le bordel, il en était tout de même responsable. Elle était son sang, et littéralement tout ce qui lui restait à l’heure actuelle de la femme qu’il avait épousée. S’il faisait tout ce qu’il faisait aujourd’hui, c’était pour elle, et pour personne d’autre. Sauf peut-être ces cours de français justement. Et encore, il s’était dit que ce serait pas mal de pouvoir s’améliorer pour qu’il puisse aider sa fille quand elle commencerait à étudier cette langue. Et il commençait un peu à se dire qu’il était en train de virer fou, un peu.

« Il faut bien que quelqu’un le fasse, de toute manière, sinon ils resterons idiots toute leur vie, les pauvres ! »

Il plaisantait, bien entendu. Même si certains de ses élèves n’avaient pas une intelligence qui volait bien haut, mais il ne les jugeait pas pour autant. Il n’était pas payé pour ça de toute manière, mais pour leur apprendre des choses, ce qui était bien différent. Et il avait d’ailleurs une méthode bien à lui pour cela, parce que les résultats étaient importants à ses yeux, plus que la méthode. Et il fonctionnait de cette manière au quotidien d’ailleurs. Ça lui réussissait bien jusque-là, à voir si ce serait pareil ici, mais il était plutôt confiant à ce sujet. Du moins, pour l’instant, les choses se passaient plutôt bien.

« D’accord, merci. »

Posant son téléphone sur la table, Marcus attrapa alors la feuille que la jeune femme était en train de lui tendre pour répondre aux diverses questions qui y étaient inscrites. Et plus il avançait dans les choses, plus il se disait qu’il avait très clairement perdu la main. En même temps, ses cours de français étaient bien loin derrière lui, et il avait eu bien des choses en tête depuis qu’il avait arrêté le lycée. Il avait fait sa vie, comme beaucoup de monde, et avait oublié beaucoup de choses qu’il avait pu apprendre à l’école tout simplement parce qu’il ne s’en servait pas tous les jours. C’était bien triste, mais c’était comme ça. Quelques minutes plus tard, il tendit alors la feuille remplie approximativement à la jolie blonde. Il ne pourrait rien rajouter de plus, il le savait. Il avait toujours été comme ça de toute manière, à ne pas forcer les choses. Si ça ne venait pas tout de suite, c’était que ce n’était pas bien apprit, de son point de vue, et qu’il devait bosser encore un peu plus dessus.

Marcus n’avait jamais eu de mal avec les adolescents. Peut-être parce qu’il en était encore un dans sa tête, certaines fois, ou alors parce qu’il avait une petite fille de quatre ans à peine, et qu’il était redevenu gosse avec elle, il ne savait pas trop. Dans tous les cas, il se plaisait bien dans son boulot de prof, et ses élèves l’appréciaient. Pour lui, c’était tout ce qui comptait, même s’il était là pour leur enseigner des choses et pas forcément être apprécié, mais il faisait partie de ceux qui pensait que les informations passaient toujours mieux quand elles venaient de quelqu’un qu’on aimait bien. Et c’était certainement un peu le cas, parce que la plupart de ses élèves avaient de bonnes notes, même ceux qui n’étaient pas très bons dans les autres matières. Comme quoi la façon d’enseigner joue beaucoup aussi, mine de rien.

« Et bien, il y a énormément d’adolescents qui ont besoins de cours privés aussi, donc ça pourrait être un début. »

Et il y en avait surtout pas mal qui avaient des parents assez riches pour payer quelqu’un une fortune pour donner des cours à leur progéniture. Marcus en savait quelque chose, venant lui-même d’une famille plutôt aisée, même si ce n’était pas au sein du même pays. Mais les choses restaient relativement les mêmes. Avec beaucoup d’argent, on pouvait s’offrir presque tout ce qu’on voulait. Presque, parce que l’argent de ses parents n’avaient pas réussis à lui ramener sa femme, malheureusement. Mais il avait encore sa fille, et il se rendait bien compte de la chance qu’il avait.

« Euh… Par un bonjour monsieur le président, je dirais. »

Bon, même s’il n’allait clairement pas croiser le président français de sitôt, mais il gardait cette remarque pour lui. Même si ça allait très clairement lui permettre de retenir les choses, et il n’en était pas mécontent. Il aimait lui-même toujours mettre une note d’humour, ou un truc assez spécial au sein de ses cours pour permettre à ses élèves de retenir les choses plus facilement. Ça fonctionnait plutôt bien en général.

« Par curiosité… Il y a un âgé précis à partir duquel il est mieux d’apprendre une langue étrangère ? Parce que ma fille a quatre ans, et je me demandais si je pouvais lui apprendre le français en même temps que moi ? »

Ça leur ferait un petit truc en plus à partager tous les deux. Et s’il pouvait donner la possibilité à sa fille de parler couramment une autre langue que la leur, il n’allait très clairement pas s’en priver. Cela ne pourrait que lui être bénéfique plus tard, peu importe le métier qu’elle choisirait d’exercer. Parce que bien sûr, Marcus ne lui imposerait rien, mais si elle pouvait avoir de bons bagages pour commencer dans la vie, c’était déjà bien.

Voyager, Marcus n’en avait plus tellement l’occasion depuis qu’il était papa. Oui, il était venu de Londres pour vivre à New York, mais un déménagement restait quand même quelque chose de bien différent d’un voyage, quand on regardait bien. Il n’était pas venu ici pour s’amuser ou décompresser, mais pour prendre un nouveau départ avec sa fille et partir sur des bonnes bases. Elle en avait besoin de toute manière, et lui aussi, alors ça lui avait semblé être une bonne décision à prendre. Et jusque-là, il ne la regrettait absolument pas, bien au contraire. Il se sentait bien ici, sa fille semblait être heureuse, et c’était bien tout ce qui pouvait lui importer. Elle restait sa priorité, même en grandissant.

« Oui je comprends. »

Même s’il n’avait jamais été énormément voyage de son côté. Il aimait avoir une vie bien rangée, et une routine dans laquelle il se sentait bien. Certainement parce que justement, sa routine avait été fortement perturbée à la mort de sa femme, et qu’il n’en gardait clairement pas un bon souvenir. Même si tout cela coïncidait avec la naissance de sa fille et que cet événement le rendait heureux, les nombreuses difficultés qu’il avait dû affronter durant cette période lui laissaient toujours un goût bien amer au fond de la gorge. Et il détestait d’ailleurs parler de cette période.

« D’accord. »

Bon, il le savait déjà tout ça, et mine de rien, ils avaient aussi différentes sortes pour dire bonjour en anglais en fonction de la personne qui se trouvait en face d’eux donc… Ce n’était clairement pas ce qu’il y avait de plus compliqué. Mais bon, ce n’était pas forcément quelque chose d’évident pour tout le monde, et ça ne le serait certainement pas pour sa fille d’à peine quatre ans s’il voulait lui apprendre la langue.

« Je la ramènerait alors, si elle n’est pas à l’école. »

Parce que bien sûr, il ne comptait pas lui faire rater un jour de classe. C’était important à ses yeux qu’elle se rende à l’école, même si elle était encore jeune. Il l’avait d’ailleurs mise en crèche quand il était encore à Londres pour qu’elle puisse justement se sociabiliser avec les autres enfants, et c’était quelque chose qui avait plutôt bien fonctionné. Mia était une petite fille très sociable, et il en était plutôt fier.