Soixante secondes au feu rouge qui me paraissent durer une éternité. Mes doigts pianotent sur le volant sous le stress qui m'anime. J'ai paint mes ongles en violet pastel ce matin, mais à présent ils sont laids, car je les ronge sans cesse. Je ne fais que penser à ce visage, ce prénom, cette voix. A cette porte qui claque pour la dernière fois. Au téléphone qui ne sonne plus. Au silence et à l'absence. J'me dis qu'il sera forcé de m'expliquer, qu'il me doit bien ça. Que c'est inacceptable qu'il me sorte de sa vie ainsi. On est mariés après tout. S'il croit survivre sans moi il se goure. Cette saleté de lumière rouge m'aura cramer les pupilles avant de passer au vert, c'est presque certain. Et le moteur de cette vieille volkswagen n'attend qu'un signe pour foncer droit devant, car au coin de la prochaine rue, il est peut-être là.
La voie se dégage, le feux passe enfin au vert, et je vois apparaître petit à petit le nom de Crane, inscrite en lettres capitales sur le haut de la façade. Une place de stationnement se libère en face de l'entrée principale du garage, alors je m'y glisse. Et moteur éteint, j'attends. Cinq. Dix. Quinze minutes. Peut-être de le voir, si je le reconnais. J'angoisse qu'il ne soit pas seul. Ou pire, avec une autre femme. Je crains qu'il me rejette et que tout ça soit vain. J'ai peur mais il est impossible que je fasse demi-tour. Je n'ai pas passé ces quinze derniers jours à retourner New-York pour rien. J'ai trop attendu de le retrouver pour tourner les talons maintenant. Derrière moi il y a l'errance et le noir, lui est devant.
Le coeur lourd, rempli à la fois de colère, de crainte et de désespoir, je sors enfin de la voiture. Rapidement, je jette un petit coup d'oeil à mon reflet dans le rétroviseur, au cas où mes émotions se liraient sur mon visage. On est bon. Mes talons claquent le béton tandis que je traverse la rue d'un pas affirmé, pourtant mes mains s’agrippent à la hance de mon sac. L'odeur de cambouis et de fer rouillé qui me chatouille les narines me rappelle ses dimanches d'automne, lorsque le ciel était gris et qu'il bricolait des carcasses de Jeep ou de Twingo. Visiblement le gris du béton new-yorkais réveille en lui les mêmes passions.
Quand j'entre enfin dans la grande entrée du garage, il n'y a personne. Des outils jonchants le sol à droite à gauche, des bidons d'essence et de liquide en tout genre rangés contre le mur. Un vrai univers de garçon.
- Il y a quelqu'un ? je demande.
L'instant d'après, une porte en fer se referme violemment dans mon dos et me fait sursauter. Je découvre un homme aux vêtements salis, des sacs remplis dans chaque main. Mon homme. Daryl.
- Salut. Lui fis-je avec un grand sourire. Tu te rappelles de moi ?
Je hurle de l'intérieur, désireuse d'imploser de joie. Il ressemble à un mirage. Soudain les mois de solitude s'envolent et je ne l'ai en fait jamais quitté des yeux. Si je pouvais, je courrai dans ses bras. Et s'il ne m’attrapait pas ? Il semble pressé. Evidemment il n'imaginait pas voir débarquer le Nevada sur son nouveau territoire de si tôt.

@Daryl Crane

Une fraction de seconde interminable s'écoule avant qu'il ne lâche ses affaires et accourt jusqu'à moi. Mes pieds s'élancent à leur tour et me propulsent dans ses bras. L'étreinte est forte et inespérée. Moi qui croyais qu'il ne voulait plus de moi, qui pensait qu'il avait refait sa vie. A cause de l'absence d'explications, je me suis montée le crâne à imaginer d'horribles inepties. Le poids de la culpabilité et de la crainte s'envole alors et je fourre ma tête dans le creux de son cou un instant. Le coin du réconfort. Là où je ne pensais plus jamais pouvoir me blottir. Je ressens sa panique et sa peur comme si c'était la mienne, alors je le serre encore plus fort contre moi. Chassant le rêve pour en faire une réalité.
- Hey, je suis là babe ! Je souffle à ses oreilles, rassurante et rassurée.
Je remercie le ciel de l'avoir remis sur ma route. Je ne tolérerai pas qu'il s'en aille encore. New-York est si grand, je ne saurai pas retrouver l'aiguille une deuxième fois... J'entends qu'il me reprend à l'ordre comme si j'étais l'enfant qui venait de faire une connerie. Il se recule doucement et caresse mon visage. Je suis touchée de lire de sincères inquiétudes dans ses yeux. Ses yeux que je dévore, qui me font tant de bien. Je sais que je n'ai pas fait tout ça pour rien, que quitter Nevada City pour le rejoindre était la bonne solution. Certainement la seule aussi. Vivre près de lui et voir croître notre complicité, cela vaut tous les sacrifices.
Puis il me parle de l'atelier de maman et de mon départ, détails qu'il n'est pas supposé connaître à l'heure actuelle. Je pensais lui conter tous ces changements à nos retrouvailles mais il semble déjà connaître tout ça.
- Comment sais-tu que j'ai vendu mes propriétés ?
Mes sourcils se froncent d'incompréhension. L'idée qu'il ait pu savoir des choses sur moi, sans que je ne puisse moi en savoir sur lui, ça ne me plait pas. Je le connais depuis trop longtemps pour me laisser berner par des quelconques mensonges. J'ai besoin de réponses. Urgemment.
- Pourquoi je t'ai rien dit ? Je répète en haussant les sourcils d'étonnement. Et toi, pourquoi tu n'as plus appelé ? Ca fait six semaines Daryl... Tu comptais me laisser seule pour les fêtes ?
Je ne peux cacher ma peine en reparlant de ces semaines. Un enfer sur Terre à tourner en rond, mais ce n'est même pas la peine que je le lui précise. Il me connait trop bien lui aussi, il sait déjà certains détails sans même que je n'ai besoin de lui en parler. Le battement de mon cœur gagne en puissance et en pulsations à mesure que j'attends ses dires.
Il jette un coup d’œil en arrière, là où il a lâchement abandonné ses affaires. Sa réponse fait louper un battement à mon cœur et l'ascenseur émotionnel s'élève de plus belle. Après Amour, voici Rancœur et maintenant Satisfaction.
- Tu venais vraiment me chercher ? C'est pas un mensonge ?
Non, ses yeux ne mentent pas. Ses traits ne mentent pas. Je reconnais l'honnêteté des Crane, mais il y a pourtant trop de choses que j'ignore encore.

@Daryl Crane

La réponse à mes questions ne ressemble en rien aux milles scénarii que j'ai pu écrire dans ma tête. Son visage se durcit quand il évoque "une raison à cela" alors je recule d'un pas, méfiante. Je sens qu'il y a une couille dans le pâté et ça ne me plait pas. Je m'apprête à sortir les crocs pour rétorquer mais il s'excuse, retrouvant son air tendre et doux. Il me connait, il sait à quoi s'attendre si nous rentrons dans le conflit.
Mon coeur vacille quand il me glisse qu'il pourrait venir me trouver à l'autre bout du monde s'il le fallait. Je n'en attendais pas tant, moi qui craignait qu'il m'abandonne et qu'il refasse sa vie.
- Cette fois-ci c'est moi qui t'ai devancé alors, je murmure entre deux respirations.
Ses mots sont d'un réconfort fou, alors je me laisse aller à ses caresses et lui saute presque au cou pour presser mes lèvres contre les siennes. Que dis-je ! Pour lui rouler une pelle magistrale. Je ne saurai me souvenir de la dernière fois où nous nous sommes embrassé ainsi. Mais j'en ai rêvé, chaque nuit seule dans nos draps, j'en ai rêvé. Instantanément, les papillons dans mon ventre s'emballent tandis que mes mains l’enlacent et se perdent dans sa nuque. Ce mec m'excite tellement, c'est irrationnel. Parfois, il me semble qu'il oublie à quel point il est le seul, à quel point je ne peux supporter d'être sans lui. Mes doigts viennent chatouiller sa légère barbe de trois jours, passent sous son menton puis s'agrippent fermement à sa mâchoire. Je mets fin à ce baiser langoureux endiablé tout en maintenant ma prise. Je ne veux pas qu'il bouge, je veux qu'il me regarde, droit dans les yeux. Ces yeux qui l'ont pleuré et qui maintenant le fusillent, qui aspirent au sérieux car je suis très loin de déconner. Mon visage tout près du sien, je pointe mon doigt dans sa direction, comme pour lui faire des menaces, et lui glisse ceci en prenant soin d'articuler chacun de mes mots. Je ne les répéterai pas deux fois :
- Ne t'avise plus jamais de m'abandonner comme tu l'as fait. Je ne serai jamais la femme qui t'attends à la maison, mets-toi bien ça dans le crâne, Crane. C'est nous deux ou rien.
Jouant avec la limite entre la rage et l'excitation, j'embrasse à nouveau ses lèvres addictives avant de relâcher son visage. Il s'excuse, il me dit qu'il aurait dû appeler... En effet. Mais il semble que mes paroles ne l'aient même pas impactées puisqu'il me répond de repartir. Les poils dans ma nuque se hérissent. Mes yeux s'horrifient de ce que mes oreilles entendent Je ne comprends vraiment pas. A vrai dire, je ne comprends rien. Pourquoi veut-il me retrouver s'il me veut loin de lui. Je hais qu'il joue avec mes nerfs ; pour son bien il ne vaut mieux pas qu'il continue sur ce chemin-ci.
Silencieuse, je l'écoute se justifier et prendre ma main pour la passer sous son tee-shirt. Mes doigts comprennent. Des pansements à ne plus en finir, des creux là où je n'en ai jamais vu ni senti. Bordel, je savais qu'il y avait une merde derrière toute cette histoire. Je déteste être dans l'ignorance. Et le feu de mes tripes grimpe petit à petit jusqu'à mon cerveau. Impatiente, je retire ma main pour soulever le bas de son haut et voir l'horreur de mes propres yeux. Des bleus violets et jaunâtres qui s'étendent sur tout son ventre. C'en est trop.
- Visiblement ils n'ont pas besoin de moi pour t'atteindre.
Mon ton est sec et cassant. Je ne peux imaginer ce qu'il s'est passé pour qu'il ait tous ces plaies. J'ai la haine. Je veux buter le responsable.
- Qui t'a fait ça putain ?
Il peut se taire si ça l'arrange. Etre le gros dur de Nevada City il sait faire, mais se frotter à ceux de New-York quand on vient de débarquer c'est autre chose.
- Je ne rentrerai pas, c'est trop tard. Tu vas me raconter ce qu'il s'est passé et on va régler ce problème à deux. Je t'ai dit c'est ensemble ou rien Daryl, je suis pas ta potiche.

@Daryl Crane

Et c'est parti pour la fameuse confrontation. Alors que deux minutes plus tôt j'étais prête à lui sauter dessus et lui faire l'amour sur une des vieilles carcasses qu'il retape, voilà que je voudrais lui arracher la tête maintenant. J'étais certaine qu'il n'allait pas me faciliter la tâche, mais me renvoyer chez moi ? Sérieusement ? Pendant une seconde, je me trouve ridicule d'être venue le rejoindre. J'aurai peut-être dû le laisser parcourir le monde à ma recherche après tout. Ça aurait peut-être pu lui sauver les miches aussi.
Je croise les bras quand il roule des yeux au ciel et le laisse mettre de la distance entre nous. Visiblement c'est ce qu'il veut à tout prix.
- C'est dangereux d'être ici mais toi tu veux rester quand même ? Sérieux tu t'entends ? Tu t'es regardé dans une glace ? A mon tour je hausse le ton. Je m'en tape, je retournerai pas à Nevada City, c'est mort.
Oh je sais bien que je l'agace, qu'il préférerait certainement ne plus m'avoir dans ses pattes. Ou peut-être que cette ville est véritablement dangereuse. A vrai dire, je le sais que cette ville est dangereuse, que c'est tout comme une jungle, remplie de prédateurs discrets qui rodent et sont sans pitié. Mais hors de question que je le laisse ici tout seul, il rêve. Je le vois désespéré, tentant de chasser la fatigue de son visage et cherchant où s'asseoir pour reposer ce corps malade.
- Tu veux que je rentre pour attendre encore de tes nouvelles ? Daryl, je suis pas ma mère. Elle est morte d'attendre mon père tu le sais, je ne ferai jamais ça.
Mon regard retombe au sol sous ce lourd souvenir. Mon ton avec. Je le laisse m'attirer à lui, comme toutes les fois où j'ai cédé à ses charmes et à ses paroles. Une de mes mains s'égare dans sa nuque et caresse cette chevelure douce. Même si je l'acceptais, je serai incapable de repartir sans lui.
- Je ne le supporterai pas non plus si je te perdais. J'ai déjà cru te perdre une fois, je... Je veux rester. Il ne m'arrivera rien, c'est promis.
Nos yeux ne se quittent plus, se délectant de ces retrouvailles mais luttant pour convaincre l'autre. Je sais à quel point il tient à moi et, aux vues de ses plaies, il est légitime qu'il veuille me protéger. Au même titre que je veux le protéger. L'idée simple qu'on ait pu le battre assez fort pour le marquer ainsi... Je l'entends souffrir et hurler dans ma tête, je me hais d'avoir été ignorante. Qu'étais-je en train de faire quand il souffrait le martyr ? J'aurai dû être là..
- Laisse moi rester près de toi chaton. Je le supplie presque, d'une voix douce, tendre désespérée. Tu sais que je peux me battre, je peux courir, mentir, frapper, incendier... Pour toi je tuerai s'il le faut. Mais laisse moi rester.

@Daryl Crane

- Attend c'est ton frère qui t'a balancé ?
Je m'offusque d'entendre ça. Lui qui était parti d'un pied ferme pour ramener son frère auprès de nous, voilà que ce dernier n'est en fait pas du même avis. Je savais que leur relation n'était pas encore clean, mais de là à balancer sa propre famille, je tombe dénue. Un sourire se glisse aux coins de mes lèvres quand je réalise sa détermination à ne pas abandonner Jules ici, malgré ses actes. Du Daryl tout craché. Déterminé quitte à en chier, quitte à briser des murs de briques.
- Je comprends que tu ne veuilles pas l'abandonner chaton, mais ne te détruis pas à vouloir aider quelqu'un qui ne veut pas être aidé. tu vois ce que je veux dire ?
Je sais de quoi je parle, à toujours vouloir sauver les cas désespérés. Pendant vingt ans je me suis occupée de ma mère, à la porter dans ses malaises, lui tenir les cheveux au dessus de la cuvette, cacher ses bouteilles d'alcool pour qu'elle arrête de se détruire, lui parler encore et encore pour tenter de lui ouvrir les yeux, lui hurler dessus quand elle faisait la sourde oreille... Parfois la lutte est vaine et il faut savoir l'admettre. Je connais la détermination de Daryl et s'il veut continuer de sauver Jules, je l'encouragerai. Jusqu'à un certain point. Pas question de subir un second épisode de violence comme celui qu'il a vécu.
- Une nana ? je répète en réalisant ses mots. C'est une gonzesse qui t'a fait ça ?
Je prends une seconde pour regarder le bitume et méditer sur cela. Au fond de moi, je me sens encore plus légitime à aller péter la gueule de cette garce, mais je me tais. Pour ne pas envenimer les choses encore plus qu'elles ne le sont déjà.
- C'te pute.

Puis viens l'argumentaire, le jeu de regard, et j'insiste, encore et toujours, pour qu'il arrête de me rejeter. Qu'il me laisse enfin être prêt de lui. Quitte à le supplier, je ne veux juste plus rester loin de lui. Deux mois avec mon reflet dans le miroir furent le maximum que j'eus pu donné avant la chute vers la folie. Un enfer sur Terre que je veux éviter à tout prix.
Lorsqu'il accepte, mon visage change d'expression et mon coeur se sent soulagé d'un poids immense. En un sens, cela me prouve qu'il n'est pas ici pour me cacher des choses et que je peux encore compter sur son honnêteté. Malgré toutes les mauvaises pensées que j'ai pu alimenter pendant ma démence, Daryl est toujours resté le même et nos sentiments l'un envers l'autre aussi. Apprendre ça est le plus grand réconfort qu'il puisse m'apporter.
- Merci, merci, merci !
Et il m'embrasse de plus belle alors que je me laisse submergée par mon excitation et ma joie. En réponse à son acceptation, je lui promets de ne pas me mêler de cette histoire et de le laisser gérer ses affaires. Au fond, je suis embêtée de le laisser se démerder. S'il me revient une nouvelle fois dans un sale état, je ne sais pas comment je pourrais réagir. A vrai dire je ne préfère pas y penser maintenant.
Il se dresse alors doucement, m'incitant à me remettre sur mes jambes, et fuit mon regard. Je sais qu'il ne s'attendait pas ça et que ça lui fait peur de m'avoir dans les parages avec l'autre folle qui lui court après. Mais il n'y a qu'une seule femme qui parcourt la ville pour le trouver, c'est moi. Cette Snake n'est qu'une connasse comme une autre qui n'est pas prête pour sa chute. Parce qu'il est évident qu'elle finira par chuter. Que ce soit Daryl ou non.
Face à moi, il croise les bras et finit par me proposer son logement. C'est visiblement un appartement très rempli mais tout à fait chaleureux, puisqu'il sont tout de même prêts à m'accueillir.
- Je ne serai pas contre passer de nouvelles nuits dans tes bras en effet. Je peux venir passer Noël avec vous ?
Il me manque, même en étant en face de moi, il me manque encore. Et j'adorerai retourner vivre avec lui. Comme àa la vieille époque où le Roi et sa Reine régnaient maîtres sur leurs trônes.
- Mais sinon, j'ai déjà un appartement... A Brooklyn. Je l'ai acheté y a deux semaines avec les sous de l'atelier.
Peut-être que maintenant c'est à moi de lui raconter ce que je fous ici. Certes pour être dans ses bras, ça c'est une évidence. Une priorité. Mais j'ai d'autres idées derrière la tête, d'autres plans. La solitude et la démence, ça creuse, mais ça nourrit les idées aussi.

@Daryl Crane

Malgré la satisfaction de pouvoir rester près de lui, je lutte encore avec la frustration et la colère quant à cette histoire de deal. Le silence parle à ma place tandis que je continue d'imaginer la manière dont je pourrais faire payer cette garce ce qu'elle a fait à Daryl. Il me parle de dangerosité et cruauté pourtant je n'arrive à être effrayée. Tout ce que je vois c'est qu'elle me l'a mis en morceaux et que ça fout la haine. Puis je pense à son frère et sa traîtrise. Je sais ce que ça fait de rester près d'un proche qui te repousse. Je sais aussi que ça fait mal. Et pour l'avoir vécu je voudrais pouvoir le faire payer à Jules. Evidemment, j'ai promis de ne pas me mêler de ça, et ça me fait vraiment chier. Non pas que je veuille replonger la tête la première dans ces embrouilles de drogues à la con. Mais je connais bien mon homme et il a la tête dure. Surtout quand il s'agit de sa famille. Mes mots prévenants résonnent comme un cri dans un désert. Inutiles et inaudibles pour ses oreilles.
Je pouffe instinctivement en levant les yeux au ciel lorsqu'il m'annonce que l'autre conne lui aurait proposé un travail. Etre à la botte d'une sale mégère, certainement pas.
- Ou la mort ? Je répète avec exaspération, presque en rigolant tellement cette menace est ridicule. En fait, j'essaie de cacher ma panique. Et tu me dis qu'on ira pas jusqu'à descendre quelqu'un ? Chaton si cette salope est sérieuse, il faudra appuyer sur la gâchette avant elle.
J'en ai connu des putes que j'ai voulu expédier dans leurs tombes mais si celle-ci joue trop avec Daryl, je ne suis pas certaine de tenir ma promesse. J'appuierai sur la gâchette pour lui s'il le faut.
- Y a pas de larbin qui tienne. Elle veut jouer à Tony Montana avec toi, mais t'es pas con. Utilise ce qu'elle n'a pas. Mon index vient tapoter sa temps doucement. Un cerveau.
Je brûle d'envie d'en savoir plus, de l'aider et de m'impliquer. Plus il m'en parle et plus je m'inquiète. Cette connasse n'est surement pas seule dans son trafic. Je sais que s'il s'engage dans ce genre d'emmerdes, il peut se mettre la ville sur le dos. C'est la dernière chose dont il a besoin. Et je regrette déjà cette putain de promesse...

Daryl récupère mon attention qui commençait à dériver au fur et à mesure de ses propos, et me propose de revoir ses sœurs pour les fêtes. Je retrouve le sourire. Encore angoissée par l'incendie que présage son histoire, mais je retrouve le sourire. Cela fait un sacré moment que je n'ai plus revu les visages de ses sœurs. Quand je suis avec elles et Daryl, je ressens cette sensation dingue d'appartenir à une famille. Du genre de celles qui savent encore ce que signifie donner de l'amour. Enfin, 'voyez le truc. Loin du schéma de mon enfance quoi. Je l'étreins bien fort, car c'est ça dont j'ai besoin. De lui.

Puis vint enfin le moment où je lui annonce que j'ai déjà un appartement. Sa réponse m'arrache un rire niais ; c'est exactement ce que j'aurai voulu entendre.
- Viens ce soir ! Enfin, après Noël du coup... Viens quand tu le veux. Ca serait notre nouveau chez-nous.
Fini Nevada et le passé, notre futur sera bien meilleur. Mes bras ne peuvent se détacher de son cou, mon corps de ses bras, et mes yeux, des siens. J'ai le sentiment qu'il a capté un aimant dans mes tripes et que l'attraction est plus forte à chaque jour qui passe. Quand il rit je succombe, puis il reprend rapidement son sérieux. Parce qu'il ne comprend pas mon départ. Ou plutôt mon arrivée.
- Non non, il s'est rien passé quand t'es parti, c'est juste que... Je... je voulais pas rester là bas.
Mon visage se ternit malgré moi et je baisse légèrement le regard, fuyant le sien.
- J'ai pas d'avenir dans l'atelier de maman. Elle est plus là, toi non plus. J'ai personne d'autre là-bas Daryl... J'aime pas être seule. J'ai pas envie d'être une dépressive solitaire qui recoud les habits troués des gens dans un trois pièces qui tombe en ruine. J- J'vaux mieux que ça putain !
Et j'ai un peu honte de le lui avouer. Que je me sens être une dépressive solitaire. C'est pas simple d'avouer qu'on s'est mangé un mur et qu'on se sent désespéramment perdu. Ça fait mal à l'ego et je sais que Daryl ne voudrait pas que je me rabaisse. Il est adorable avec moi, tendre à souhait, embrasser mes lèvres, encore et encore. Inlassablement, il est là pour moi, pour combler les plaies de son absence, pour combler mes craintes et mes inquiétudes.
Je prends ses mains et le regarde comme si je m'apprêtais à lui révéler un secret. Mon rêve, mon seul espoir de ne pas finir comme ma mère. Ou peut-être un prétexte pour le rassurer. Ou me rassurer que tout n'est pas encore perdu.
- J'ai pris mes affaires avec moi. Je vais créer ma marque de fringues, ici, à New-York.
Je m'écoute parler, comme une enfant de dix ans à qui on a demandé ce qu'elle voudrait faire plus tard. A une gamine qui a des étoiles dans les yeux et des désirs futiles de reconnaissance. A une fille frustrée qui veut juste sa revanche sur la vie, et la fierté de sa mère. Et j'y crois. Alors je lui explique mon plan avec toute l'ambition et la détermination dont je suis capable.
- J'ai réfléchi à une collection masculine et je voudrais recruter des gens pour m'aider. Puis après on ferait porter nos fringues à des stars. J'ai déjà contacté des professionnels, et j'ai eu des réponses. J'te jure je suis motivée. Je vais travailler comme une dingue et on va devenir riches.
L'excitation m'emporte et j'imagine déjà la fortune dans mes plus beaux rêves. J'aimerai que Daryl aussi soit fier de moi, qu'il n'ai plus à dealer avec de sales cons. On pourra avoir une vie, digne de celle qu'on mérite.


@Daryl Crane

Chaque mot qu'il prononce ne fait qu'amplifier ma rage envers cette vieille fille qui joue les gros durs et ce qu'elle ose imposer à Daryl. Qu'elle ose le menacer de mort, non mais c'est la pire blague du monde. Je sais que les traffics de drogue peuvent aller loin, mais de quoi a-t-elle peur de la part d'un nouveau petit dealer quant tout New-York est déjà à elle ? Ca ne sent pas bon du tout, je déteste ça.
Puis je souffle de désespoir quand il me dit que personne n'appuiera sur la gâchette. En fait, j'en arrive à ne plus savoir ce qui me gonfle, ses problèmes ou lui-même.
- Tu vas accepter donc ? tu vas la laisser croire qu'elle a du pouvoir sur toi, histoire qu'elle te manipule une fois de plus ? Putain, il est passé où le Daryl que je connais, hein ?
Sa volonté de nous protéger est tellement forte qu'il est prêt à se rabaisser à elle. Jamais je ne l'accepterai, je me connais. Patronne ou pas, dealeuse dangereuse ou pas. Une chienne reste une chienne.
- Donc tu me demandes de rester loin de tout ça, de ne pas me mêler de tes histoires parce que c'est dangereux. Mais toi tu fais le saut de l'ange dans la gueule du loup... C'est tellement illogique putain, dois-je te féliciter pour cette maturité ?
Je ne peux cacher à quel point je suis dégoûtée. Sois prête à vivre avec l'angoisse de le retrouver en mille morceaux le soir maintenant. Tout ce que je ne voulais plus vivre en arrivant ici. Je fuis son regard car si je me laisse attraper, je le fusille dans la seconde. Je me sens tellement conne dans cette histoire finalement. A promettre de ne pas m'en mêler quand j'en crève d'envie. A l'entendre me demander de partir quand je rêve de rester près de lui. A l'imaginer dans les bras d'une autre quand il est prêt à aller me chercher à l'autre bout du monde. Je me sens à côté de la plaque, complètement larguée depuis qu'il a quitté notre baraque.
Mais je ne dis rien de plus. Je connais Daryl, peu importe ce que je pense, ça ne sera que ses décisions. Et dans tous les cas, je finirai par me ranger de son côté, d'accord ou non. Car c'est ainsi qu'on s'aime, loyaux.

Alors on zappe ce sujet pour passer à mon projet que je lui avoue avec enthousiasme. Je sais que Daryl n'en a que faire de la couture, de mon sens artistique, de mon amour pour la mode, des dentelles et des strass. Mais il sera toujours à mes côtés et la manière dont il me soutient le touche énormément. Je sens que tout ça n'est pas vain. Que s'il croit en moi alors j'ai des raison d'y croire aussi.
Sa main délicate vient choper mon menton et ses lèvres embrassent les miennes quand il tente de me réconforter par rapport à mes hantises. Celle de finir comme ma mère. De me sentir seule et déprimée. D'un geste sec, j'attrape son poignet et lâche subitement :
- Je n'ai pas envie de tu aies pitié de moi chaton. Et ne me dis pas que tu es là après m'avoir laissé. Juste, ne me quitte plus. C'est tout.
Ses excuses me déchirent le coeur sous la carapace. Je ne veux pas paraître faible, mais je ne peux lui cacher ma peine. Il m'a manqué à en crever, je me suis sentie aveugle, et ça ne doit plus jamais se reproduire. J'accepte alors son étreinte et ses baisers, me délectant de tout l'amour dont j'ai été privé dernièrement.
Il a confiance en moi, il est fier de moi.
Alors je l'étreins de plus belle, encore plus fort que jamais. Mes muscles n'ont même pas la force nécessaire pour exprimer à quel point je l'ai dans la peau ce type. Mon type. Dorénavant, lui et moi c'est main dans la main, c'est l'avenir avant tout. Alors, doigts enlacés, il me guide jusqu'à l'étage, loin de l'odeur de cambouis et de ferraille rouillée, et je revois enfin les visages changés de ses petites soeurs. Dieu c'que leur bonne humeur est communicative. Dieu que je les aime. Dieu que j'aime cette famille.
- Mmmh, des pâtes aux cèpes ? je siffle aux oreilles de mon homme qui m'enlace.
J'aurai voulu répondre Lui, mais il me faudra attendre un moment plus intime pour ça. Pour la première fois depuis bien longtemps, je me sens là où je dois être, près des personnes qui me font du bien. Toujours dans ses bras, je me retourne et l'embrasse de plus belle, encore et encore. J'aimerai lui dire à quel point il m'a manqué, mais c'est cela qui est incroyable entre lui et moi ; il le sait sans que je n'ai à parler. Nos regards, nos corps parlent à notre place.

FIN.

@Daryl Crane