Elizabeth Goldstein & (LIBRE)

Ain't Got No Valentine

Merde, je me sens si seule. Ca m’est venu comme ça, d’un coup. Je m’y attendais pas, parce que j’étais sur le point de passer une soirée de folie à l’inauguration de cette nouvelle boîte de nuit, le Macumba. Je comptais danser, boire plus que de raison, me trouver un mec ou une nana pour finir la nuit … mais cet abruti de videur ne m’a pas laissée entrer. J’étais pas sur la liste, soit-disant. Pff, bien sûr que si ! J’ai une invitation, putain. Mais faut croire qu’ils embauchent des videurs qui ne savent pas lire maintenant … alors je lui ai proposé de l’argent pour qu’il me laisse entrer, puis un petit moment d’intimité rien que nous deux … mais il s’en est battu les couilles. Pff … j’aime pas quand on me refuse quelque chose, qu’on me résiste. Mais je n’allais pas affronter la montagne de muscles qu’il était, alors je suis partie.

Et là, j’arpente les rues au hasard à la recherche d’un peu de compagnie … euh, ça fait bizarre tourné comme ça, on dirait que j’ai envie d’une pute. Nan, disons plutôt que je ne m’étais pas attendue à me retrouver toute seule. J’ai plus l’habitude des St-Valentin en solitaire … les quatre derniers, je les ai passés avec mon mec de l’époque. Giovanni … putain, il était tellement beau ! Bon, il était mannequin faut dire, ça joue. Et super romantique, comme tous les italiens, il ne manquait pas d’attentions envers moi. Des je t’aime, des cadeaux, des regards qui voulaient tout dire, des -- merde, je veux pas repenser à lui, ça va me faire chialer alors que c’est même pas mon genre de repenser au passé comme ça.

Mais c’est un jour … particulier,  n’est-ce pas ? Le jour où ça craint d’être seule. Bon sang, j’ai envie de tomber amoureuse de quelqu’un … quelque chose de vrai, de fort et de sincère, qui va au-delà du sexe et du pur attrait physique … parce que le sexe, même si j’adore ça, au bout d’un moment sans sentiments ça m’emmerde … j’veux qu’on me dise qu’on m’aime, j’veux des câlins, j’veux compter réellement pour quelqu’un … ça va faire six mois que je suis célibataire. C’est un peu long pour moi … bah, quelque chose arrivera bien par arriver. Un simple flirt, une relation qui dure, ou même le grand amour. J’y crois encore.

Bon. Je suis où, là ? Perdue dans mes pensées, j’ai marché je sais pas trop combien de temps sans trop savoir où aller. Enfin si, je sais à peu près … j’ai bêtement suivi la longue rue devant moi. De toute façon, je peux pas me perdre, je connais bien Manhattan. Je crois.

- Videur de merde, je rumine en cherchant un quelconque point d’intérêt autour de moi.

Un bar, un restaurant, un truc dans ce genre là. Calme, pas trop peuplé, même si ça court pas les rues à Manhattan. J’ai envie de me réconforter comme je peux, avec de la bonne bouffe ou du bon vin. La bouffe, j’adore ça. Je suis une gastronome dans l’âme. Je sais pas trop d’où ça me vient … certainement pas de mon père parce que ses compétences culinaires se limitent à ouvrir des boîtes de conserve. Quoi que je me souviens d’une recette de pancakes qu’il faisait tous les Samedi matin … c’était super bon. Enfin bref. La nourriture. J’aime bien la manger, et la préparer aussi. C’est encore plus le cas depuis que j’ai vécu en France et en Italie, bien sûr.

Mais ça attendra, les bons petits plats. Je viens de repérer un bar à quelques pas de moi. Un genre de pub, je crois, pas un truc guindé en tout cas. Ca va me changer un peu ! même si je risque de me faire remarquer, avec ma jolie robe. Bah, c’est pas grave. Ca m’arrange, peut-être qu’un homme me paiera un verre. Allez, entrons.

Wow. Je me suis trompée, ce n’est pas un pub, mais une espèce de bar jazz échoué bien loin de Harlem. L’endroit est élégant, mais assez simple malgré tout. Il n’y a pas grand-monde. Un barman qui essuie tranquillement ses verres, deux hommes au bar qui discutent, un autre à une table sur son portable. Sur la scène, un saxophoniste qui joue une chanson que je ne reconnais pas - je ne suis pas experte en jazz. Les autres instruments sont abandonnés ; hum, il me fait de l’oeil, ce piano. Peut-être plus tard.

- Madame, bonsoir, me salue le barman avec un grand sourire.

Tout le monde s’est retourné vers moi lorsque je suis entrée. Faut dire que mon allure détonne. Ce sont tous des afro-américains habillés de costumes sombres, je suis une jolie blonde caucasienne vêtue de ma belle robe rouge constellée de diamants avec un décolleté à la limite de l’indécence. Ah, ce n’est pas grave, j’ai l’habitude qu’on me regarde, et puis cette robe est faite pour ça, je dois bien l’avouer. Attirer les regards, susciter de l’intérêt, du désir même. C’est tout ce dont j’ai besoin ce soir, d’intéresser et d’attirer les gens.

Je vais m’asseoir au bar. Mes pieds me font mal … mes chaussures sont faites pour danser, pas pour marcher. Ce sont des jolies ballerines rouges, assorties à ma robe. J’ai pas de vernis, j’espère que personne ne s’attardera sur mes pieds. Arf, ils seront bien trop occupés à regarder mon décolleté, c’est à ça que ça sert.

- Qu’est-ce que je vous sers ? vient me demander le barman.
- Quelque chose de fort.

J’ai plus envie de penser à rien, et y'a que l’alcool qui peut faire ça. C’est pas trop mon genre d’habitude, les alcools forts … je m’en tiens à la bière et au vin. Mais ce soir, je m’en fiche. Je veux oublier que je suis seule, et triste. De toute façon, je comptais boire, alors que ce soit là ou au Macumba … faut juste que je fasse attention à ne pas laisser mon verre sans surveillance, on sait jamais. C’est malheureux de devoir faire ça, mais c’est comme ça.

- Un bourbon, ça vous va ?

Le barman a posé un verre devant moi. Je souris. Rien de mieux pour me mener à l’ivresse. C’est tout ce dont j’ai envie là. Boire pour boire. Quelle tristesse … mais bon, c’est comme ça.

- C’est parfait, merci.

Je prends mon verre et boit une grosse gorgée, en faisant la grimace. Au même moment, la  porte du bar s’ouvre et quelqu’un entre.

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Elizabeth Goldstein & (LIBRE)

Ain't Got No Valentine

Je jette un regard au type qui vient d’entrer dans le bar – un grand brun, plutôt beau gosse. Intéressant … comme moi, il fait un peu tache dans ce bar qui n’a pas vraiment l’air d’avoir changé depuis le début du siècle dernier. Enfin … c’est pas comme si j’en avais quelque chose à foutre … je m’en tape de l’endroit, je ne suis venue ici que parce que c’est le premier truc qui m’a interpellée et que j’avais envie de boire un verre. Ou deux. Ou plusieurs … je veux juste noyer ma tristesse dans l’alcool, oublier que je suis toute seule et oublier l’humiliation. De m’être faite rembarrer comme ça. Je sais que c’est rien, que des millions de gens se font recaler à l’entrée d’une boîte de nuit tous les soirs, que je devrais plus y penser, mais ça plus tout le reste, ça fait que je n’ai envie de rien d’autre.

Je souris au type alors qu’il entre dans le bar et me replonge aussitôt dans mon verre que j’ai déjà vidé. Wow. Je dois être vraiment mal si j’arrive à descendre une telle quantité d’éthanol sans broncher et sans même m’en rendre compte. Faut que je fasse gaffe quand même … bah, en même temps ça me fait un bien fou alors je redemande la même chose au barman. Je ne bois jamais autant d’habitude, mais là c’est un cas de force majeure et puis une gueule de bois c’est pas si terrible que ça. Enfin, il faut quand même que j’évite parce que j’ai un tournage dans deux jours et parce que je remets plus aussi bien que quand j’avais vingt ans … bon, ok, trois verres et puis j’arrête. Promis.

- Bonsoir, me dit avec un sourire l’homme qui s’est assis à côté de moi.

Je lui renvoie mon sourire le plus charmeur. Oh, ça fait tellement du bien de parler à quelqu’un. Même un parfait inconnu que j’aurais sans doute oublié demain. C’est aussi pour ça que je suis entrée dans ce bar à la base, trouver un peu de compagnie, quelqu’un à qui parler, ne plus être seule en ce putain de jour où sa craint d’être seule. La St-Valentin. Ma fête préférée. Je sais que c’est surtout une fête commerciale, mais j’en ai rien à foutre.

- Bonsoir, je lui réponds avant de prendre une nouvelle gorgée de bourbon.

Sans grimacer cette fois-ci. Ça passe beaucoup mieux que la première fois, même si ça me brûle toujours un peu la gorge.

- Dur d’être seul en ce jour particulier, hein ? que je dis histoire de briser la glace.

Bon, j’aurais clairement pu trouver mieux. Qu’est-ce qui me dit que l’homme est vraiment seul ? Si ça se trouve il a rencart ici et il est arrivé un peu en avance pour boire quelques verres histoire de se détendre et de se préparer mentalement, ou même il a une copine et ils se sont donnés rendez-vous ici pour fêter la Saint Valentin ou que sais-je … tout le monde n’est pas forcément aussi seule que moi.  

- Enfin, j’parle surtout pour moi, je dis pour me rattraper comme je peux.

Je bois mon verre lentement en regardant les fissures du mur devant moi comme si c’était une œuvre d’art. Le saxophoniste a arrêté de jouer, ce qui a rendu l’ambiance bien plus sinistre d’un coup. Putain … comme si je me sentais pas déjà assez mal. Qu’est-ce que je vais faire, maintenant qu’il n’y a même plus ce léger fond musical pour me distraire et essayer de penser à autre chose ? Je vais juste déprimer encore plus … d’ailleurs, je … je sens que les larmes me viennent. Ca me ferait tellement du bien de pleurer un bon coup, mais … mais non, il faut que je me retienne. Je ne suis plus une gamine. A mon âge, on est plus censé pleurer. Alors pour ne pas pleurer, je me force à sourire, et je me retourne vers l’homme assis à côté de moi :

- J’suis désolée, j’vous embête avec mes conneries. C’est juste que … j’ai plus l’habitude d’être seule un 14 Février.

C’est ça, Elizabeth, raconte-lui ta vie, je suis certaine que ça l’intéresse ... bah, s’il s’est assis juste à côté de moi alors qu’il y a des places vides partout c’est que quelque part il a envie de causer, non ? De toute façon, si c’est pas le cas, il me rembarra sans doute. Lui aussi, un de plus … et s’il ne le fait pas, je pourrais en profiter pour le draguer un peu, n’est-ce pas ? Non pas dans le but qu’il se passe quelque chose, même si on ne sait jamais, juste … juste comme ça. De toute façon, s’il ne se montre pas réceptif à mes avances, je pourrais toujours mettre ça sur le compte de l’alcool. C’est crédible, j’ai bu deux verres … et je viens d’en commander un troisième. Du bourbon, toujours.

- Elizabeth, je me présente au type, toujours en me retenant de pleurer. Désolée, vous me voyez pas son meilleur jour, là.

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