Elizabeth Goldstein & Charlie M. Richards

230 Fifth

Bon, alors. J’ai rendez-vous dans quarante minutes avec une fille rencontrée sur Tinder. Enfin, « rencontrée » … c’est ce soir que je la rencontre du coup, je me suis contentée de lui envoyer un message sans trop attendre de réponse, m’attendant même à ce qu’elle me bloque direct mais … nan, elle m’avait répondue. Je dois bien avouer que je m’y attendais pas, je ne savais pas si elle était attirée par les femmes puisqu’elle ne l’évoquait pas du tout dans son profil (c’est pour ça que je m’étais permise de la contacter d’ailleurs). En fait d’après les messages que nous nous sommes échangés par la suite ce n’était qu’un fantasme pour elle ; même si elle avait eu une expérience, une seule fois, lors d’une soirée bien arrosée. Ce que visiblement elle n’avait pas regretté puisqu’elle ne m’a pas recalée et puis si elle m’a invitée à prendre un verre ce soir, c’est bien que quelque part, ça l’intéresse non ? A moins qu’elle me sorte le coup du « nan mais c’est juste pour faire connaissance, rencontrer des gens … », comme si nous ne savions pas toutes les deux pourquoi les gens utilisent Tinder, hi hi. Bref, elle m’a l’air curieuse et pas réticente à l’idée de tenter de nouvelles choses. Et j’aime les gens curieux, dans tous les sens du terme.

Je suis presque prête. Il ne me reste plus que mon rouge à lèvres à me mettre – mon préféré, le rose à la cerise. Je recule d’un pas histoire de vérifier une dernière fois ma tenue. Ouais, ça me semble bien ! J’ai fait relativement simple pour ce soir ; une petite robe noire légèrement décolletée, classique comme tout, des talons assortis, et c’est tout. Enfin, je dis simple, mais en-dessous j’ai opté pour un porte-jarretelles et des bas noirs, histoire de montrer que je suis pas là pour plaisanter, si vous voyez ce que je veux dire. On verra si la jolie femme que je rencontre ce soir aura l’occasion de les voir ou non ; si elle aura envie de faire quoi que ce soit avec moi ou non. Je serai déçue qu’il ne se passe rien je dois bien le dire, c’est pour ça que je vais à ce rendez-vous non ? Elle aussi j’imagine … Ça me ferait tellement de bien, après tout ce qu’il s’est passé récemment dans ma vie ; mon meilleur ami qui disparaît lors d’une mission à l’étranger, et toutes les questions plus ou moins importantes que je me pose en ce moment … si je dois abandonner certains de mes projets, ou non … me consacrer entièrement à mon livre, ou pas. J’ai bien envie d’aller à ce rendez-vous, de passer un bon moment avec cette fille et de m’éclater au pieu avec elle ! Marre de me prendre la tête, et puis ça fait un bout de temps que je n’ai pas passé un moment de ce genre avec une femme, en-dehors de mon job.

Et à propos de mon job, plus le temps passe et plus ça me lasse. Je refuse de plus en plus de contrats et ça rend mon agent fou parce qu’il ne comprend pas « à quoi je joue », comme il dit. Je pourrais juste lui dire qu’après avoir passé seize ans à me faire (dé)monter par tout le monde je commence à en avoir marre et que j’aimerais faire autre chose de ma vie, mais … ce serait difficile pour lui de comprendre, hein ? Et de l’accepter, aussi. C’est que j’ai fait sa fortune à cet adorable enfoiré. Dix pour cent de mes revenus, comme un agent normal, sauf qu’à plusieurs milliers de dollars la … prestation, il s’en met vraiment plein les fouilles et tout ce que je pourrais faire d’autre ne lui rapporterait jamais autant … Mais bon, ça reste moi qui décide que ce je fais ou non et il n’a pas son mot à dire. Si je décide d’arrêter pour me consacrer à mon bouquin, il ne pourra rien y faire. C’est un pari risqué, mais … je pense que ça peut marcher. J’ai déjà trouvé un éditeur qui m’a donné une généreuse avance pour que je leur envoie un premier jet d’ici quelques mois. Si ça leur plaît, si ce n’est pas trop nul, je serai publiée … et ils ne sont pas cons, ils savent qu’un livre qui parle des secrets de l’industrie pornographique et des anecdotes de la vie d’une pornstar mondialement connue se vendra dans tous les cas. Cependant … c’est pas facile, de choisir, de savoir quoi faire. D’arrêter ou non. Il faudra que je prenne une décision un jour ou l’autre … mais pour l’heure, j’ai pas envie d’y penser, j’ai un rencart !

Bon, il est l’heure d’y aller ! Ce bar, le 230 Fifth, n’est pas très loin de chez moi mais il y a toujours une circulation monstre à Manhattan le Samedi soir et je ne veux pas prendre le risque d’être en retard. Je brosse une dernière fois mes cheveux histoire que je sois certaine d’être parfaite, ramasse mon sac à main, mes clés de voiture et je me décide à y aller.


Putain, neuf heures moins cinq, je suis presque en retard ! J’ai bien fait de partir un peu plus tôt, j’ai eu du mal à trouver une place pour me garer … quelle idée aussi, j’aurais dû venir en taxi. Mais peu importe, je suis là maintenant et j’ai même assez de temps pour regarder une nouvelle fois le profil Tinder de mon rencart, histoire d’être sûre de pouvoir la reconnaître. Même si je n’ai pas vraiment besoin de ça, c’est difficile d’oublier son joli sourire et la douceur de ses traits … maintenant reste plus qu’à voir si le reste de son corps est aussi beau, hi hi (pardon).

Bon, où est-elle ? Il n’y a pas encore beaucoup de monde, alors je ne devrais pas avoir de mal à … ah, la voilà ! Dans la jolie robe rouge. Je fais un signe de la main en sa direction pour être certaine qu’elle me remarque, range mon portable dans mon sac puis commence à marcher vers elle.

- Bonsoir ! Charlie, c’est bien ça ? je lui demande alors que j’arrive à sa hauteur, avec mon plus beau sourire.

Je profite d’être plus proche d’elle pour l’observer avec plus d’attention et wow, elle est encore plus sexy en vrai ! Et elle fait très chic, jolie robe très classe, chignon impeccable – à la hauteur de cet endroit, qui n’est pas vraiment accessible au premier venu. Si je l’avais croisée en d’autres circonstances je l’aurais sûrement même trouvée coincée mais je sais que ce n’est pas le cas … en tout cas, ce n’est pas ce qu’elle a laissé paraître dans ses messages ! Par contre, elle me paraît un peu nerveuse … mais si c’est son premier rendez-vous avec une femme, ça peut se comprendre.

- Elizabeth, me présente-je officiellement, les photos ne te font pas honneur, t’es encore plus sexy en vrai.

C’est très direct, mais elle aime les gens directs et puis on va pas se la jouer romantique, poésie et dîner aux chandelles, même si d’une manière ou d'une autre on va déguster.

- C’est sympa comme endroit, fis-je avant de m’asseoir. J’espère que je ne t’ai pas trop fait attendre !

uno

Elizabeth Goldstein & Charlie M. Richards

230 Fifth

Bon, nous y voilà. Mon premier rencart avec une fille depuis un certain temps. Je n’en laisse rien paraître, gardant mon calme, ma décontraction et mon sourire charmeur, mais j’suis excitée comme tout ! euh, non, pas encore … enfin je veux dire que j’avais hâte d’y être quoi ! Hâte de faire sa connaissance et qu’on s’amuse ensemble, de quelque manière que ce soit. C’est que j’avais bien envie de sortir et de rencontrer de nouvelles personnes ces derniers temps. Je déteste être seule, et rester enfermée chez moi aussi même si je n’ai pas vraiment d’autre choix pour travailler sur mon livre … je pourrais faire ça dehors, à la bibliothèque ou ailleurs, dans un bar même, mais ça me  déconcentre et lorsque je suis déconcentrée j’oublie ce que je voulais écrire, ou la façon dont je voulais l’écrire et ça me frustre parce que ce que j’écris par la suite ne rend jamais aussi bien que dans ma tête et ça m’énerve parce que du coup j’ai l’impression que c’est nul, et comme je m’énerve je me déconcentre et … bref, c’est un cercle vicieux. Et puis parfois tout se passe bien et j’écris des heures d’affilée sans m’en rendre compte, jusqu’à la saturation et aux maux de tête. Bon, tout ça pour dire que j’avais besoin de changer d’air et d’un bon moment de détente; et je suis ravie de passer ce moment avec une fille sexy comme Charlie. Et à la manière qu’elle a de me regarder, on dirait que je suis à son goût moi aussi.

- Enchantée Elizabeth, déclare-t-elle. Ravie de te rencontrer. Tu es aussi séduisante que tes photos le prédisaient.
- Merci, dis-je avec un sourire.

Je sais que je suis jolie, sans vouloir me vanter, mais ça fait plaisir de se l’entendre dire par quelqu’un qui, je l’espère, ne me voit pas juste comme « cette fille qui fait du porno » et ne regarde pas comme si je n’étais qu’un objet, et trop surpris de me voir avec des vêtements. Parce que bon, j’aime être regardée, c’est bien un peu pour ça que je fais ce boulot, mais c’est parfois pesant tous ces regards insistants sur mes attributs – même si je ne peux pas vraiment leur en vouloir, hein ? C’est mon job d’être belle, c’est mon job d’être désirable, de faire rêver oserais-je même dire. Mon corps, qui alimente tellement de fantasmes … c’est une sensation bizarre mais j’ai parfois l’impression qu’il n’appartient pas qu’à moi, que c’est juste un … outil. Bah ouais c’est ça en fait, mon corps c’est mon outil de travail, un gagne-pain qui me rapporte tellement et qui rapporte tellement à mon agent, aux producteurs avec qui je travaille, aux magazines pour lesquels je pose. D’ailleurs, certaines parties de mon corps sont assurées pour des centaines de milliers de dollars, vous le saviez ? Ce qui vaut le plus cher bien sûr, c’est la partie cruciale qui vaut bien un million. Ouais, chose bizarre qu’être une célébrité mondiale, hein ? Bref. Revenons au rencart, à Charlie, tout ça.

- Je me suis permise de commander du vin en t’attendant, reprend Charlie.

Je souris. J’adore le vin ! c’est ma boisson préférée.

- Rouge, j’espère ? je demande avant de détourner la tête vers le serveur qui vient d’arriver de je ne sais où, comme s’il venait de se téléporter. Ou de spawn, comme dirait l’un de mes cousins.

Oh. Apparemment oui. Une belle bouteille de vin rouge, d’un cépage et d’une année renommés du peu que mes maigres connaissances en œnologie me permettent de dire. Eh bien, apparemment on a les mêmes goûts ! Ok, ça suffit, fais-moi l’amour tout de suite ! quoique, ça risquerait d’attirer un peu l’attention. Et puis sa robe m’a un peu l’air compliquée à retirer. On verra ça plus tard, si ce rendez-vous se passe bien.

- Bon, je passerais les platitudes habituelles. D’où tu viens, quel est ton parcours, etc … Bon, en fait si, ça m’intéresse ! Dis-moi en plus ! Et au fait, mon frère est un grand fan, apparemment il a vu tous tes films.

Je … ok. C’est un peu bizarre comme phrase (je crois pas que je dirais à mon frère ou à ma sœur quelle actrice porno je regarde, mais après tout j’en sais rien, je suis fille unique) mais soit.

- Ah oui ? Et il n’en a pas eu marre ? Parce que c’est toujours un peu la même chose ! je réponds en souriant après avoir bu une gorgée de vin.

Je crois que même moi, j’ai pas vu ma propre filmographie en entier. Faut dire qu’elle est particulièrement étendue, entre les films, les direct-to-dvd, les vidéos, les compilations … enfin, quand on en a vu un on les a tous vus, pas vrai ? Mais personnellement, je vous recommande Soirée Entre Filles, c’est un classique de l’amusement cent pour cent féminin, Viaggo a Milano pour ses magnifiques paysages de la Lombardie (et pas que, certes) et ANALihilation : Deep Inside parce que le nom est marrant et que mine de rien le scénario est assez abouti (une histoire d’espionnage, comme James Bond mais en complètement différent). Et puis la trilogie Mile High Club, un classique parfait pour les gens qui aiment les hôtesses de l’air. De rien, et n’oubliez pas de ne les regarder que sur les sites des diffuseurs originaux histoire qu’on puisse continuer à être payés, à désactiver votre bloqueur de publicités et à activer le mode navigation privée. Et suivez-moi sur Twitter, Facebook et Instagram tant que vous y êtes. Bon, où est-ce que j’en étais ?

- Eh bien, je reprends en fixant Charlie dans ses magnifiques yeux, je suis actrice X comme tu le sais. Depuis … seize ans maintenant. Au début je posais dans des magazines érotiques, tu vois le genre. Un réalisateur m’a repérée, il m’a fait passer un casting et je l’ai suivi en France afin de travailler avec lui. Pour résumer. Mais depuis quelques années, j’essaie de me diversifier. J’ai ouvert une boîte de nuit en Décembre dernier, et j’ai une marque de lingerie, et de sextoys, depuis presque un an. Et en ce moment, j’écris un livre …

Je ne chôme pas, pour sûr. Mais j’ignore si c’était une bonne idée d’évoquer Liza, et mon club … parce que ma marque de sous-vêtements, je suis quasiment sûre que je vais l’abandonner. Ça ne m’intéresse plus vraiment … mais ça m’emmerde parce que les affaires marchent plutôt bien et que je n’ai pas envie de mettre la petite huitaine de personnes que j’emploie au chômage. Surtout que je pourrais juste faire comme je compte faire pour la boîte, laisser la gérance complète à quelqu’un d’autre et me contenter de ramasser l’argent ? Ouais … ouais je peux sans doute faire ça.

- Et toi, alors ? Tu es procureure c’est ça ?

Eh, à son tour de parler, de m’en dire plus sur elle (comme si on avait vraiment besoin de ça …).

- C’est beaucoup de responsabilités ça, beaucoup de travail aussi ! Ça ne m’étonne pas que tu aies besoin de moments de détente de temps à autre.

Ouais, un moment de détente. C’est ce qu’elle disait chercher dans son profil Tinder et ce pourquoi on est là, pas vrai ?

Je me rapproche un peu d’elle, en en profitant pour toucher sa main histoire de créer un premier contact, et lui dit, tout près de son oreille et non sans un sourire espiègle :

- Pour un moment de détente, je suis celle qu’il te faut ! Je suis pas mal douée pour … détendre les gens.

Et je suis pas mal expérimentée aussi, comme elle l’aura sans doute compris. Il n’y a plus qu’à voir si elle voudra que je partage mon expérience avec elle …

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