« Houch! »
« Allez debout, fais pas ta diva! »
« Tu plaisante, tu m’as cassé la jambe! Si ça se trouve il va falloir amputer! »

Et le pire dans tout ça, c’est qu’il croyait en ses dires. Les fesses au sol, la jambe repliée vers lui, le Polonais se frottait le tibia comme un footballeur gagnant du temps en pleine fin de match. Il venait de chuter sur la scène, en pleine répétition, alors que l’un de ses amis tentait de faire le pitre à ses côtés.  

« Ça deviendrait difficile les parties de foot. »
« Crétin! »

Ôtant sa chaussure, il la balançait à la figure de son ami qui ricanait encore, tandis que lui se tordait de douleur. Il avait tellement mal dans les os de sa jambe, que des frissons lui tiraillait le corps. Même son visage en palissait. Son ami commençait alors à s’en inquiéter réellement, réalisant qu’il ne jouait pas la comédie. Peu de temps après, il était rendu dans la salle d’attente des urgences d’un hôpital bondé de monde.  

« Lukasz, c’est ton vrai nom, ou c’est un nom de scène ? »

Enfoncé dans le fond de son siège, le visage caché par sa visière de casquette et ses lunettes de soleil, Misha soufflait d’agacement, les bras croisés contre sa poitrine. Son ami était assit à ses côtés, remplissant le formulaire d’admission du Polonais.

« Parce que j’ai une tête de Tomlinson peut-être ?! »
« Sans ton accent, oui. »
« Ça fait petit con d’anglais. »
« Petit con de polonais, c’est pas très différent. »

Son ami lui répondait avec une simplicité déconcertante, tout en remplissant le formulaire de Misha. Le grand blessé lui, scrutait la pièce en se demandant pourquoi dans les hôpitaux, personne n’avait songé à ouvrir une file d’attente pour les gens comme lui. Non, au lieu de ça, il était obligé de supporter le gamin d’à côté, qui vomissait ses tripes dans une bassine. Le regardant, Misha grimaçait sans se cacher. « Monsieur Lucasz. » L’infirmière qui venait d’appeler son nom, venait de le sauver. Oubliant presque qu’il était là pour sa jambe, il se relevait rapidement pour faire savoir sa présence. Trop rapidement. Sa jambe douloureuse manquait de le lâcher, et c’est son ami qui le rattrapait avant qu’il ne tombe dans la bassine de vomit du petit bonhomme malade. « Je vais vous installer dans une salle d’osculation, ma collègue va arriver pour un premier diagnostic. Votre... Compagnon devrait attendre dehors. » Elle toisait l’ami de Misha de haut en bas, avant d’embarquer le Polonais vers une chambre. Son ami lui, se dirigeait vers la sortie pour attendre loin du tumulte de la salle d’attente.  

L’infirmière abandonnait donc Misha dans une chambre. Un lit d’occultation, et des tas de bouis-bouis de docteurs dans les meubles et les bureaux autour de lui. Clopinant, ne s’appuyant que sur sa jambe valide, il commençait à toucher à tout, comme à son habitude, en attendant qu'on vienne s'occuper de sa petite personne.

« Bonjour, je suis Elsa, c'est moi qui vais m'occuper de vous. » Sursautant, n’ayant pas entendu la porte s’ouvrir, un bâtonnet pour étudier le fond de la gorge d’un patient lui échappait des mains. Oui il touchait vraiment à tout. Un petit sourire charmant et innocent se dessinait aussitôt sur ses lèvres, histoire de ne pas se faire réprimander. L’air de rien, il ramassait l’ustensile, et le reposait dans le petit pot prévu à cet effet. « Si vous voulez bien arrêter de prendre la salle d'examen pour une game boy géante et vous asseoir sur le lit s'il vous plais ? » Ho, cette demoiselle avait sûrement fait son service chez les militaires. Jouant faussement l’enfants bien éduqué, il se faufilait vers le lit d’examen, s’y asseyant rapidement. L’espace d’un court instant, il balançait ses pieds d’avant en arrière dans le vide, jusqu’à ce que la douleur de sa cheville le rappel à l’ordre. Une grimace lui échappait alors, et il se stoppait net pour se frotter la cheville.

« Bien m’dame. »

Le temps qu’elle prépare ce dont elle avait besoin, il la scrutait discrètement, tout en massant la partie de sa jambe qui lui faisait mal. C’était un joli petit bout de femme cette infirmière. Mais elle lui semblait vachement jeune. Avait-elle son diplôme au moins ? Arquant un sourcil, il vérifiait avant tout qu’elle ne préparait aucune seringue – sans quoi même la jambe cassée, il se serait enfuit très loin d’ici -, et surveillait le moindre de ses faits et gestes. Il n’était pas n’importe qui, on ne laisse pas une stagiaire s’occuper d’une célébrité, n’est-ce pas ?  

« Excusez-moi, vous êtes stagiaire ici ? »

L’avantage de cette question, c’est que même si la demoiselle le prenait mal, elle ne pourrait qu’être flatter qu’il la croit trop jeune. Les femmes aiment bien se genre de compliment. Bien qu’il ne cherchait absolument pas à flirter, ou à la complimenter. Plutôt à se rassurer. Et être certain qu’on ne le sorte pas d’ici avec une amputation.  

« Non parce que je pensais que je verrais un médecin. Je dois absolument pouvoir marcher ce week-end, j’ai un important concert, et je peux pas me permettre de le rater. »

Comprenez par-là, mademoiselle, que Monsieur doit voir le meilleur médecin de cet hôpital, et au plus vite. Il lui semblait important de devoir le souligner, parce qu’Elsa ne semblait pas savoir qui il était. Certes s’était rassurant – d'éviter les cries hystériques des fanes – mais il avait réellement peur d’avoir été jeté dans les mains d’une étudiante, qui risquerait d’aggraver ses blessures et de ruiner sa carrière. Oui, il en était au point de penser que cette simple foulure, allait massacrer sa vie.

Elsa ne s’offusquait pas, mais semblait bien surprise, et amusée, qu’il l’interpelle par un Madame. Elle était peut-être un peu trop jeune pour être vraiment une Madame, mais son grade d’infirmière - ou tout du moins si elle l’était réellement ? - laissait à Misha, l’impression qu’elle était plus adulte et plus responsable que lui. Malgré cette petite bouille encore enfantine. Ceci dit, ce n’était pas très compliqué de paraître plus adulte et responsable d’un Misha Lukasz... Même un enfant de 5 ans le serait. « Quand même je ne suis pas si vieille que ça, je suis même plus jeune que vous. Mais pas de m'dame ici, vous pouvez m'appeler Mademoiselle ou infirmière ou Infirmière Ryan, voir même directement Elsa, je réponds à tous ces noms-là. » Plus jeune que lui ? C’était inquiétant ça. Fronçant les sourcils, il la suivait des yeux alors qu’elle trifouillait dans tous les ustensiles. Une lame ? Elle voulait faire quoi avec une lame ? Lui trancher le pieds ? Non, finalement, elle empoignait une lampe. De problèmes de vues ? Suspicieusement, les yeux plissés, il ne ratait aucun de ses faits et gestes, allant jusqu’à la questionner sur son diplôme. « Je l'ai été, il y à encore quelques mois. Mais je ne le suis plus. Rassurez-vous, je suis vraiment infirmière, j'ai été diplômée et j'ai tout à fait le droit de vous soigner. Mais si vous souhaitez quelqu'un d'un peu plus expérimentée que moi, je le comprendrais tout à fait. Il suffit de le dire, je fais venir l'infirmière en chef, vous lui redite que vous voulez une infirmière avec plus d'expériences et on se quittent bons amis. » Bons amis, c’était peut-être vite dit, il n’était même pas certains d’avoir retenu son prénom. Mais un peu gêné d’avoir douté de ses compétences, il se mit à sourire, mal à l’aise. Un petit sourire forcé et peu naturel.  

« D'accord... Je vous laisse faire, mais sachez que si je ressort avec une jambe en moins, j’ai un très bon avocat. »

Un très bon avocat ? Il en avait surtout eu des tonnes d’avocats, pour chaque problème, un différent, parce qu’aucun ne le supporte vraiment. S’il promet de ne plus faire aucune connerie, il en enchaîne une nouvelle. Tous ceux qui ont tenté de s’occuper de son cas, ont terminé leur carrière complètement chauve. « Vous venez rarement à l'hôpital vous. Vous savez l'hôpital c'est comme le restaurant. D'abord on prend l'apéritif, je suis l'apéritif, ensuite on prend une entrée, l'entrée ça sera un interne et pour finir le plat de résistance, ça sera le médecin qui passera voir si tout va bien. Et le dessert ça sera votre bon de sortie. Pour votre pied, je regarde juste, je nettoie, je prends mes notes, je vous conduirais à la radio si besoin, je vous plâtrerais où vous panserais le pied, mais je ne ferais rien de plus que ce qui est de droit. » C’était une drôle de façon de présenter les choses.

« J’ai toujours préféré l’apéritif. »

Lançait-il tout naturellement, sans même remarquer que sa réflexion pouvait avoir un double sens légèrement dragueur, et direct. C’était répondu avec tant de naïveté, et de stupidité.

« Je ne pense pas qu’il y ait besoin de plâtrer, je ne vous embêterais pas longtemps. Mon manager insistait juste pour que je passe par là, faites-lui plaisir, remplissez un papier rassurant et je m’en vais. »

Non il ne venait pas souvent dans les hôpitaux, et il espérait même ne pas y revenir de si tôt.