Debout face à un immeuble à la façade clinquante qu’elle fixait sans vraiment le voir, Emy semblait ailleurs. Ses pensées s’entrechoquaient, mêlées au compte-à-rebours infernal qu’un étranger avait lancé le matin même. Un juge, en charge de son dossier, lui donnait précisément 48h pour trouver une solution sans quoi, la garde de Nyah lui serait retirée pour être confiée – selon ses termes - aux « autorités compétentes ». L’idée, aussi injuste qu’insoutenable, nourrissait en elle une colère telle que la poignée de la poussette de sa fille en faisait les frais : la jeune maman y serrait les doigts et enfonçait les ongles avec tellement de force qu’elle ne sentait plus ses mains.

Soudain, le bruit d’un klaxon ramena Emy à l’instant présent. C’était comme sortir la tête de l’eau après être restée en apnée plusieurs minutes. Elle reprit conscience des bruits qui l’entouraient, de son souffle saccadé à la limite de l’angoisse, de l’odeur des hot dogs du vendeur ambulant lui rappelant au passage qu’elle n’avait rien avalé depuis la veille, de ses mains qui serraient toujours fermement la poussette de l’enfant, des new yorkais qui pressaient le pas en se frayant un chemin entre les touristes pour rentrer chez eux après une journée de dur labeur et enfin de cette fameuse porte qu’elle s’était imaginée franchir un nombre incalculable de fois. Un coup d’œil à sa montre l’informa qu’elle venait de passer 30 minutes de son précieux temps à se tenir là, immobile. Nyah avait même fini par s’endormir. Emy lui sourit tendrement. Son joli minois lui donna le courage nécessaire de traverser la route pour rejoindre le trottoir d’en face et pénétrer dans le prestigieux cabinet d’un certain Oliver Richards.

L’endroit était tellement luxueux que la jeune femme faisait tâche. Elle se félicita d’avoir choisi une heure aussi tardive pour rendre visite au père de Nyah, ainsi, elle évitait sûrement les regards critiques et réprobateurs qui l'insupportait. Le secrétariat étant inoccupé, Emy en arriva à la conclusion que celle qui l’occupait d’ordinaire s'apprêtait à quitter le cabinet et que la patiente qui attendait dans la salle d’attente était la dernière qu’Oliver devait recevoir. Elle patienta dans le couloir de sorte à ne pas être vue. Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit sur le chirurgien qui, de son accent britannique toujours aussi charmant, congédia sa patiente et invita celle qui patientait à entrer. Emy baissa les yeux lorsque la blonde sublime qui venait de sortir du bureau d’Oliver - et visiblement aux anges à en croire son sourire -  tourna à l’angle du couloir, puis quitta l’immeuble sans même lui accorder un regard.

Vingt minutes plus tard, la dernière cliente quitta le cabinet à son tour en lui laissant enfin le champ libre. Prise par la fatigue, la faim et l’urgence de la situation, Emy n’avait aucun plan préconçu et se laissa porter par la seule force de son caractère (et peut-être une petite poussée d’adrénaline). En une fraction de secondes, elle traversa la salle d’attente du cabinet avec la poussette et frappa contre la porte qui s’ouvrit quelques secondes plus tard sur Oliver. Bien que son cœur rata un battement à la vue de son amant d’une nuit qui l’avait mise enceinte, Emy fut cependant étonnée de son calme.

« Bonsoir Oliver... - commença-t-elle avant de se pencher pour s'assurer que Nyah dormait toujours à poings fermés. - Tu ne dois probablement pas te souvenir de moi, mais il y a 2 ans tu m'as mise enceinte et aujourd'hui nous avons besoin de ton aide. ».

Emy se tût. Elle venait de lâcher une bombe dans la vie "bien rangée" du chirurgien plastique et ne l'avait pas épargné. Pourquoi l'aurait-elle fait, après tout ? Avait-il seulement éprouvé une once de compassion à son égard deux ans auparavant ? Absolument pas. Au bout du compte, alors qu'elle pensait avoir tourné la page depuis longtemps, Emy sentit de nouveau la colère monter en elle. C'était une colère familière. Une colère vieille de deux ans qu'elle encaissa sans broncher. Oliver était un salop, mais il était aussi son dernier espoir.

Un stylo qui frappe à plusieurs reprises le bois du bureau. Des yeux bleus qui parcourent un menu de restaurant, sur un smartphone. Le calme plat dans un cabinet qui d’habitude, ne désemplit pas. C’est une journée étrange, mais reposante, pour le chirurgien anglais, dont la seule grande préoccupation de la journée, est de savoir ce qu’il va avaler pour le déjeuner. Il n’a pas pour habitude de cuisiner, encore moins de préparer à l’avance une quelconque gamelle, comme le feraient les classes sociales les plus basses. Non, Oliver lui, est habitué des commandes en lignes, Sushis, et autres plats exotiques, qui se marient au mieux avec son intagram. Pourtant cette après-midi, rien ne semble éveiller ses papilles gustatives. Il finit par cocher un menu au hasard, son soupir brisant le silence régnant dans la pièce. Il espère d'ores et déjà que sa soirée sera plus dynamique que sa journée. Alors il ferme l’application ouverte sur son téléphone, et engage la discussion avec quelques amis, pour organiser une sortie, plus tard en soirée. Ce qui évidemment, lui redonne le sourire bien rapidement.  

Le reste de la journée s’écoule lentement. Un défilé de grandes blondes, déjà refaites de la tête aux pieds, mais qui en veulent toujours plus. Plus de poitrine, plus de fesses, moins de nez, moins de graisses. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas chez Barbie. Il ne fait jamais aucun commentaire, si ce n’est quelque chose d’éloquant pour charmer sa cliente et être certain que c’est lui qu’elle reviendra voir, lors de sa prochaine lubie. Il sait y faire, il sait négocier les prix aussi. Et chacune de ses visites de la journée, repartent le sourire aux lèvres, et la détermination dans les yeux.  

« Au revoir Mademoiselle Barton. A la semaine prochaine. »

Mademoiselle, pour l’égo de la vieille morue, qui pourtant, est une dame depuis plus de vingt ans maintenant. Ses traits de la cinquantaine plus que bien tirés par les doigts magiques du docteur Richards. Du coin des yeux, il surveille la sortie de sa cliente fidèle, puis il se retire dans son bureau. Il faut qu’il signe ses derniers contrats, avant de quitter les lieux. Il s’enferme dans son bureau, puis se sert un verre de Whisky, sale habitude après chaque journée de travail. Presque une drogue, finalement. Il n’a pourtant qu’à peine le temps de tremper ses lèvres dans le liquide ocre, que l’on frappe à la porte.  

« Mlle Jenkins, plus de visite à cette heure-ci. »

Grogne-t-il à l’attention de sa secrétaire, qui a probablement, encore, laisser passer une cliente impatiente. Il peste dans le vide, repose son verre, puis se rapproche de la porte pour l’ouvrir. A sa grande surprise, ce n’est pas Mlle Jenkins qui apparaît devant ses yeux, non. C’est une jeune femme, rousse, grande, belle aussi, il faut le reconnaître. Ce genre de petite perfection à l’état naturel, si rare. Rien à refaire. Un moulage parfait. S’il avait pu, il aurait levé ses mains vers son visage pour en effleurer les formes si bien dessinées. Mais il se contente de papillonner des paupières, ne reconnaissant guère la donzelle. Il ne lui vient donc à l’esprit, que de la renvoyer vers le secrétariat. Il n’en n’a pourtant pas le temps. « Bonsoir Oliver... Tu ne dois probablement pas te souvenir de moi, mais il y a 2 ans tu m'as mise enceinte et aujourd'hui nous avons besoin de ton aide. » Un arrêt dans la respiration, comme un coup dans la poitrine. Mais rapidement, il reprend ses esprits. Qui est cette fille ? Inconnue au bataillon. Une folle, qui en veut à son argent, à sa place dans la société, tout naturellement. Alors il inspire, fronçant légèrement les sourcils alors qu’il la toise de haut en bas, grimaçant presque. Non pas par dégoût, cette œuvre de la nature est tout l’inverse. Plutôt désabusé face au culot de la rousse.

« On ne me l’avait jamais faite celle-là. »

Lance-t-il finalement d’un calme presque surprenant pour lui-même. Frottant le haut de sa lèvre de son pouce, il échappe un léger petit rire nerveux, avant de poser son pied sur le repose pieds de la poussette, pour tenter de la faire reculer doucement.

« Ça aurait été avec plaisir chérie, sincèrement, mais les services sociaux, c’est de l’autre côté de la rue. »

Voyant bien que la demoiselle ne reculait pas devant son insistance, il se penche vers le couloir, au-dessus de la poussette, comme espérant que sa secrétaire ne remarque sa détresse. Malheureusement celle-ci lui sourit, un signe de main en l’air, et quitte le cabinet. Sa journée étant terminée.

« Ha la sale... Merde. »

Peste-t-il encore une fois, avant de se redresser, les traits du visage serrés alors qu’il repose l’azure de ses yeux sur l’étrangère.

« Vous pourriez dégagez maintenant ? Avec votre... »

Des doigts qui pianotent dans le vide juste au-dessus de la poussette, il a baissé le regard vers la petite fille qui sort à l’intérieur.

« Truc. »

Un bébé. C’est un bébé. La chose qui terrifie certainement le plus au monde tous les hommes de cette planète, au point que même le mot “bébé” ne puisse sortir de leur bouche. L’anglais n’y échappe pas. Et fait probablement parti de cette classe d’hommes, qui se sont jurés de ne jamais s’emmerder d’un gosse. De toute leur vie. Imaginez qu’il faille lui changer la couche ? Mettre la main dans la merde ? Non, jamais. C’est donc presque un regard de détresse qui s’empare de son visage, alors qu’il tente à nouveau de faire reculer la poussette, avec son pied. Cette femme a besoin d’aide, certainement, mais... Ne la connaissant – reconnaissant - guère, il n’avait aucunement l’impression de lui devoir quoi que ce soit.

Guidée par la détresse plus que par la raison, Emy était consciente d’avoir abordé la paternité d’Oliver de la mauvaise manière. Bien que le premier coup porté lui parut jouissif sur l’instant, la jeune femme s’en voulut lorsqu’il commença à la toiser avec un tel dédain qu’elle eut l’impression de perdre le peu de confiance qui l’avait conduite jusqu’ici.

« On ne me l’avait jamais faite celle-là. » lança-t-il, d’abord sans émotion, puis avec un rire nerveux qu’il joignit à un geste totalement déplacé et qui laissa l’américaine sans voix. Hébétée, Emy l’observa reculer la poussette de son pied, mais s’appuya sur celle-ci de tout son poids, l’empêchant de l'éloigner davantage.

« Ça aurait été avec plaisir chérie, sincèrement, mais les services sociaux, c’est de l’autre côté de la rue. ». Il se pencha, cherchant le soutien en la personne de sa secrétaire qui ne se fit pas prier pour prendre la poudre d’escampette soit par solidarité féminine, soit par simple satisfaction de voir son patron en mauvaise posture. Peut-être même les deux. Oliver pesta et d’un nouveau geste tout aussi déplacé, désigna l’enfant qui dormait toujours. « Vous pourriez dégagez maintenant ? Avec votre… Truc. ».

De toutes les réactions envisageables, celle-ci était la pire de toutes. Qu’il ne se souvienne pas d’elle passait encore, mais qu’il compare un bébé à un objet insignifiant, SON bébé, c’était tout simplement insoutenable. Si Emy semblait garder contenance, intérieurement la colère atteignait un tout autre niveau. Elle fut bientôt prise de tremblements qu’elle essaya de contrôler en malmenant un peu plus la poignée de la poussette.  

« Un truc… » répéta-t-elle calmement bien que complètement sous le choc. C’était comme se prendre un mur.

D’ordinaire si calme et pacifiste, Emy mourrait d’envie de gifler de toutes ses forces le visage de ce gentleman de pacotille, mais la raison reprit vite le dessus. Elle avait conscience que le recours à la violence ne serait que de l’auto-sabotage pur et simple et que sa fille lui serait retirée d’office. Pourtant obstinée de nature, Emy se rendit à l’évidence : cette bataille-ci était perdu d’avance et la situation lui échappait une fois de plus. Elle ouvrit la bouche prête à lui donner le nom de Nyah, mais se ravisa. A quoi bon ? Sa manière d’agir face à une enfant endormie en disait long sur sa capacité à aimer quelqu’un d’autre que lui-même.

A présent, le sang battait dans ses tempes, elle contrôlait à grand peine sa respiration et sa vision commençait à se brouiller. Emy était alors à deux doigts de pleurer lorsqu’elle perçut du mouvement dans la poussette. Nyah s’éveillait doucement et commença aussitôt à chercher le visage de sa mère. Elle fronça les sourcils d’incompréhension lorsque ses yeux bleus croisèrent ceux d'un inconnu. Dans un geste à la fois protecteur et possessif, la jeune maman s’éloigna d’Oliver et tourna la poussette face à elle, accueillant sa fille d’un sourire qu’elle lui rendit aussitôt. Emy lui murmura alors quelques mots doux tandis qu’elle s’assurait que Nyah était suffisamment couverte pour affronter de nouveau la brise New Yorkaise, puis une fois fait, elle déposa deux baisers sur les joues de l’enfant qui égaya la morne pièce d’un rire innocent. Emy se redressa, quitta la salle d’attente et s’engagea à la hâte dans le couloir vers la sortie sans un regard à l’attention d’Oliver.

Elle marmonne la rousse. Un truc. Visiblement agacée par la réaction du blond. Il faut bien avouer qu’il ne comprend pas vraiment. Qu’est-ce qu’elle lui veut ? Qui est-elle ? D’où sort-elle ? La dernière réplique du chirurgien semble avoir clos le débat, alors qu’il pensait devoir se battre toute la nuit. Elle recule la poussette – enfin - éloignant le démon - ou le truc – de sa personne. Un petit soulagement pour le médecin, qui craignait qu’elle ne finisse par lui vomir dessus. Silencieux, droit et crispé, il surveille la mère et son rejeton. Un câlin, une étreinte, des gestes tendres, puis un petit rire cristallin qui échappe à la gamine. C’est doux, il faut bien le reconnaître. Mais il ne s’y attarde pas. L’azure de ses yeux est déjà remonté jusqu’au visage de la jeune femme. Sa perfection, ce modelage sans défaut, il lui dit quelque chose, finalement. Il réfléchit, là, dans le silence, alors qu’elle exerce là, tout le plus grand rôle de sa vie, devant un parfait inconnu. Ça lui revient, peut-être. Une soirée, il y a quelques années. Oui deux ans peut-être, ou plus, ou moins. Elle était là, il ne l’avait jamais vu. Il l’a espionné un bon moment, avant d’aller l’aborder. Elle était un peu naïve, nerveuse aussi, mais ça l’attirait comme un aimant ce soir là. Il ne l’a pas lâché, pas d’une semelle. Maintenant, il se souvient. Ses doigts entrelaçant les siens, il l’a entraîné à l’extérieur de ce bâtiment, où avait lieu la fête. Elle, le dos contre un mur, lui, le torse se serrant au sien. Il lui vole un baiser. Mais il voulait plus, bien plus. Elle est envoûtée, il le lit dans ses yeux. Et elle lui offre cette nuit-là, ce qu’elle a de plus cher. Ça aussi, il le sait. C’est comme un challenge qu’il s’est lancé, au moment même où il a su qu’aucun homme n’avait jamais posé ses mains sur elle. Il est con, ses potes n’ont de cessent que de lui répéter ce soir-là. Mais il s’en fou, il veut juste s’amuser, et la lui prendre, sa petite fleur, à cette fille-là. Et puis il disparaît. Au petit matin, elle dort encore, quand il s’extirpe de ses draps. Il ne peut pas le nier, il s’est retourné quand même. Il les a laissés ses yeux, l’admirer une dernière fois alors qu’elle dort à point fermé. Sereine. Un doux sourire aux lèvres. Pourtant, il ferme le dernier bouton de sa chemise, passes ses doigts dans ses cheveux, puis quitte le petit studio de l’étudiante, sans rien dire. Pas un mot, pas un au revoir, rien.

Quand il revient à lui, les souvenirs reconstruits, la rousse lui tourne le dos, s’échappant vers la sortie. Il ne sait pas vraiment pourquoi, mais son cœur s’emballe brutalement. Est-ce que c’est vrai, cette connerie ? Aurait-elle été capable de lui faire un enfant dans le dos, pour se venger de cette nuit-là ? Il fronce les sourcils, et sous l’impulsivité, il s’élance vers le couloir dans lequel elle s’est engagée.

« Attends! »

Il fait de grands pas, avec ses grandes jambes, puis dépasse la jeune mère et sa poussette, ainsi que son... Truc. Il se poste devant la porte de sortie à qui il tourne le dos, faisant ainsi face à la rousse et son bébé. Ses mains s’avancent devant lui, pour lui faire signe de s’arrêter. Son visage est plus pâle, et son regard plein de questionnements.

« Attends... C’est vrai ? Ou s’est juste... T’as une preuve de ce que tu avance ? Non parce que c’est facile de débarquer chez quelqu’un et de l’accuser d’une paternité. Sans preuve! »

Il se pince rapidement le nez, quelque peu nerveux, excédé, l’angoisse étant palpable chez lui, tout à coup. Faut dire qu’il les collectionne les filles, sans jamais se soucier d’une possible conséquence comme celle-ci.

« Pourquoi tu viendrais maintenant, hein ? Pourquoi... Pourquoi j’le saurais pas avant ? C’est vrai quoi, elle à combien, des mois, un an, deux ans ? Pourquoi venir maintenant, si c’est vrai ? Tu veux quoi ? De l’argent ? »

Il existe un papier qui prouve sa paternité à lui ? Elle l’a reconnu sur son acte de naissance au moins ?! Non parce qu’il doute tout de même. Et il regrette de n’être que chirurgien esthétique, sans quoi il aurait sorti un test de paternité de son sac de Mary Poppins. Le visage fermé il abaisse ses yeux vers la petite. Elle sourit, mais s’arrête quand leurs regards se croisent. Elle a les yeux bleus, comme lui. Les cheveux plutôt roux, comme sa mère. Ce qui le fait reculer légèrement d’un pas. La respiration haletante, tant il angoisse, il en revient vite à la jeune mère.

« Déconne pas, okay... ? »

Il aurait bien besoin de son verre de whisky là. Mais il est au fond, dans son bureau. Non de dieu, ses jambes vont le lâcher, faut que ce suspense s’arrête. Il est tellement tenu par tout ça, que ses yeux sont ancrés dans ceux de la rousse – dont il ne se souvient toujours pas du prénom -, avec insistance.

Sans grande surprise, sa tentative de sauvetage désespérée venait de connaître un échec cuisant. L’estomac noué par l’angoisse et le cœur au bord des lèvres, Emy devait maintenant réfléchir à un autre plan. Elle avait besoin d’air et de mettre le plus de distance possible entre elles, Oliver et toutes les instances qui menaçaient de lui enlever son bien le précieux.  

« Attends ! ». La jeune femme était tellement désœuvrée qu’elle ne l’avait même pas entendu se déplacer et dû piler net pour éviter le choc adulte contre poussette. A présent, Oliver se tenait de nouveau face à elles, mais cette fois-ci de son plein gré et faisait barrage de son corps, leur bloquant de fait la seule issue. « Attends… C’est vrai ? Ou s’est juste… T’as une preuve de ce que tu avances ? Non parce que c’est facile de débarquer chez quelqu’un et de l’accuser d’une paternité. Sans preuve ! ». Il était pâle et avec un regard s’apparentant presque à celui d’un lapin pris dans les phares d’une voiture.

« Oh, je vois… Ca t’es revenu, c’est ça ? Pour ce qui est de la preuve, elle est sous tes yeux. Elle a les tiens, d’ailleurs. Si tu veux de l’officiel, on peut aussi faire un test de paternité, mais on sait tous les deux que ce n’est pas nécessaire. ». Emy qui d’ordinaire était si douce et si introvertie, s’étonna de sa répartie. La maternité l’avait changé. Elle n’était plus la jeune fille innocente qu’Oliver avait défloré au cours d’une soirée. Elle était une femme à présent et, plus que tout, une maman.  

« Pourquoi tu viendrais maintenant, hein ? Pourquoi… Pourquoi j’le saurais pas avant ? C’est vrai quoi, elle à combien, des mois, un an, deux ans ? Pourquoi venir maintenant, si c’est vrai ? Tu veux quoi ? De l’argent ? Déconne pas, okay… ? ». Emy secoua la tête d’un air réprobateur. Elle jubile presque de le voir comme ça, tout pâle et aussi angoissé qu’elle l’était à peine quelques minutes plus tôt.

« 1 an et demi... Elle a 1 an et demi. Je n’avais pas prévu de tomber enceinte d’un parfait inconnu à 21 ans et d’arrêter mes études. Saches que j’ai eu deux rendez-vous au planning familial, mais je n’ai jamais pu me résoudre à... aller jusqu’au bout. » déclara-t-elle, se refusant toujours à partager avec lui le nom de l’enfant. « La raison pour laquelle tu n’as pas été mis au courant à l’époque, c’est que je ne voulais pas de toi dans nos vies. Clairement, nous ne sommes pas du même monde ! » dit-elle en désignant l’endroit de ses mains.

Jusqu’à présent, Emy avait su cacher son état de faiblesse, mais il lui fallait maintenant s’assoir de toute urgence. Elle fit demi-tour et se lassa tomber sur la chaise la plus proche en passant une main sur son visage comme si ce simple geste suffirait à lui faire reprendre contenance.  « Ma mère est morte il y a 2 mois et le proprio m’a mise à la porte. Je vis depuis dans un foyer pour jeunes mamans, mais mon temps y est compté et le juge m’a accordé un dernier délai de 48h pour trouver une situation stable sans quoi ils vont me retirer ma fille. ». Elle déglutit, puis se résolut enfin à planter ses yeux dans ceux d'Oliver. « Alors oui, j'ai besoin d'un soutien. ».

« Oh, je vois… Ca t’es revenu, c’est ça ? Pour ce qui est de la preuve, elle est sous tes yeux. Elle a les tiens, d’ailleurs. Si tu veux de l’officiel, on peut aussi faire un test de paternité, mais on sait tous les deux que ce n’est pas nécessaire. » Ses yeux exorbités retombent sur la petite poupée dans la poussette. Comment ça, “on le sait tous les deux” ? Qu’est-ce qui lui prouve à lui, qu’elle n’a pas eu d’autres aventures, quelques jours plus tard ? Il est déboussolé le petit anglais, mais aussi suspicieux. Et dubitatif. Il ne la connait pas cette fille là, qu’est-ce qui lui prouve qu’elle ne cherche pas juste un peu d’argent, facile ? Okay, la gosse à ses yeux, et les cheveux roux, typiquement écossais et britannique. Mais... Sa mère est rousse alors, ça ne prouve pas grand-chose de plus. « 1 an et demi... Elle a 1 an et demi. Je n’avais pas prévu de tomber enceinte d’un parfait inconnu à 21 ans et d’arrêter mes études. Saches que j’ai eu deux rendez-vous au planning familial, mais je n’ai jamais pu me résoudre à... aller jusqu’au bout. » Il n’a pas vraiment de réaction, à cet instant. Il ne sait pas vraiment s’il doit s’en réjouir ou s’en lamenter. Après tout, il ne sait même pas ce que c’est de s’occuper d’un bébé. Bien sûr qu’il en a fait des stages en maternité en études de médecines. Mais jamais il s’était imaginé s’occupant d’un nourrisson lui-même. Bien qu’ici, ce ne soit plus vraiment un nourrisson. Alors toujours aussi muet, il se contente d’observer l’enfant, comme si c’était une chose inconnue, un truc qu’il découvrait pour la première fois. Qu’on ne sait pas si l’on doit s’en méfier, ou au contraire, l’approcher sans crainte. « La raison pour laquelle tu n’as pas été mis au courant à l’époque, c’est que je ne voulais pas de toi dans nos vies. Clairement, nous ne sommes pas du même monde ! » Il l’observe elle aussi, faisant de grands gestes, déglutissant visiblement devant... Le cabinet ? Ce n’est pas un endroit des plus luxueux non plus, c’est comme aller chez le dentiste. Bon d’accord, au spa. Mais pour se faire torturer. Il ne comprend pas vraiment, il grimace légèrement, alors qu’elle se recule vers les chaises de la salle d’attente. Elle s’assoit, le laissant seul avec le bébé, deux mètres plus loin. « Ma mère est morte il y a 2 mois et le proprio m’a mise à la porte. Je vis depuis dans un foyer pour jeunes mamans, mais mon temps y est compté et le juge m’a accordé un dernier délai de 48h pour trouver une situation stable sans quoi ils vont me retirer ma fille. » Ouai, donc, elle a juste besoin de son argent ? « Alors oui, j'ai besoin d'un soutien. » Oui, c’est clairement plus poli comme ça. Il soupir l’anglais, levant ses yeux bleus vers le plafond. Qu’est-il sensé faire ? Elle a l’air déprimé la jolie, là sur son siège, le visage, ce si beau visage, caché entre ses mains. Mais Oliver, il n’a jamais été doué pour écouter les gens, encore moins pour les consoler. Il n’est pas doué des mots, ni même des gestes. Alors il repose son regard sur la petite fille, dans la poussette, qui se met à lui sourire. Machinalement, il se met à sourire lui aussi, presque amusé par l’innocence de l’enfant.

« Donc... Si je résume. »

Commence-t-il d’une petite voix, raillée par la tension palpable, sans que ses yeux ne se détachent de la petite poupée souriante.

« Les services sociaux veulent te reprendre l’enfant ? Sauf si tu lui trouve une situation stable ? »

Il n’allait pas dire “notre fille”, il avait encore du mal à encaisser. Puis il restait septique, et borné. Il ne l’appellera pas ainsi sans avoir un test, un vrai test de paternité. Il finit par s’accroupir devant la poussette, puis il vient pianoter de ses doigts contre le ventre de l’enfant, qui se met à rire.

« Okay... »

Murmure-t-il plus pour lui-même, le cerveau en pleine réflexion. Il finit par détourner la poussette après s’être redressé, puis il tire sur les poignets pour aller garer celle-ci près de sa propriétaire. Puis il s’assoit sur la chaise voisine, le dos s’enfonçant dans le dossier, et ses bras retombant sur ses cuisses.

« Tu as besoin de quoi ? Mon appart n’est pas prêt pour recevoir un bébé. Et je ne sais pas m’occuper d’un bébé. »

Et accessoirement, il ne connait même pas le nom de cette fille, mais ça, c’est un autre problème. Il est inquiet, ça se lit sur son visage alors qu’il se retourne vers la rousse.

« Tu peux venir avec elle chez moi le temps de régler cette histoire. Mais en échange, je veux un test de paternité, dès demain. Et si tu as menti, tu régleras tout ça avec les services sociaux. Tu partiras aussi vite que tu es venu, c’est clair ? »

Mieux vaut ne pas jouer avec Oliver Richards, encore moins avec sa situation.

« Et le plancher, chez moi, c’est du vrai. Pas de vomi, pas de pipi, pas de rayure. »

Il se relève, puis se dirige vers son bureau, tout en ôtant sa veste blanche de médecin.

« Et j'ai une chienne, j’sais pas si elle aime les enfants. »

Ouai, en réalité, la chienne adore les petits, elle est souvent en confrontation avec les enfants de ses amis. Mais faire flipper la petite rousse, c’était trop bon. Surtout après ce qu’elle vient de lui faire. Il jette donc sa chemise sur le fauteuil de son bureau, puis attrape son verre de Whisky pour en avaler deux petites gorgées rapidement. D’un geste tout aussi rapide, il annule sa soirée sur son téléphone, prétextant avoir rendez-vous avec une jolie rousse. Puis le sourire aux lèvres, il chope son manteau qu’il enfile tout en revenant vers le couloir.

« Je te montre ou s’est. Je suppose qu’il faut que j’ai aussi rendez-vous avec ces types des services à l’enfance. J’espère qu’ils ne nous ouvrent pas un casier judiciaire ou un truc comme ça, je tiens à mon intégrité. »

C’est beau, sorti de la bouche d’un type qui se fout de la société. Un trousseau de clés en main, il cherche celle de la porte du cabinet pour fermer derrière eux, alors qu’il s’avance vers la sortie.

« Sophie ? Chelsie ? Brenda ? »

Il s’arrête après un soupir, puis la main sur la poignée de la porte du cabinet, il se retourne vers la jeune maman, les sourcils légèrement froncés.

« Ton prénom, je l’ai oublié. »

Et lui n’a même pas demandé celui du bébé. Visiblement, “bébé” c’est suffisant comme appellation.

Emy se sentait minable, honteuse et coupable. Minable d’avoir ainsi à faire la manche, honteuse de devoir courber l'échine auprès d’un homme qu’elle avait juré ne pas inclure dans la vie de Nyah et coupable d’impliquer sa fille dès son plus jeune âge dans tout ce mélodrame pathétique. Elle rejetait toute sa colère contre Oliver en sachant au plus profond d’elle que tout était entièrement sa faute. C’était difficile à avouer. Difficile de se dire que si elle n’avait pas été aussi fleur bleue et naïve à 21 ans, Oliver ne l’aurait même jamais touché. Emy jouait les dures, mais la vérité c'est qu'elle se haïssait, se dégoûtait même.  

« Donc… Si je résume. Les services sociaux veulent te reprendre l’enfant ? Sauf si tu lui trouve une situation stable ? » résuma-t-il. Emy se redressa et acquiesça. Son regard suivit Oliver jusqu’à la poussette devant laquelle il s’accroupit, rendant la mère nerveuse. Il toucha Nyah, un peu maladroitement et peut-être timidement aussi, mais cela amusa l’enfant qui se mit à rire de plus belle. Emy lui sourit tendrement tandis qu’Oliver ramenait la poussette dans sa direction. Du coin de l'oeil, elle l'observa s’assoir sur la chaise à côté d’elle, raide comme un piquet.

« Tu as besoin de quoi ? Mon appart n’est pas prêt pour recevoir un bébé. Et je ne sais pas m’occuper d’un bébé. » reprit-il alors. « Tu peux venir avec elle chez moi le temps de régler cette histoire. Mais en échange, je veux un test de paternité, dès demain. Et si tu as menti, tu régleras tout ça avec les services sociaux. Tu partiras aussi vite que tu es venue, c’est clair ? Et le plancher, chez moi, c’est du vrai. Pas de vomi, pas de pipi, pas de rayure. Et j’ai une chienne, j’sais pas si elle aime les enfants. ». Tandis qu’il se levait pour se préparer à sortir, Emy poussa un long soupir qu’il n’entendit sûrement pas. Elle n’aurait su dire si c’était du soulagement ou de l’agacement face au déni et aux pseudos mises en garde du chirurgien plastique. En tout cas, même si ce n’était pas une option idéale, c’était la seule qui lui permettait d’avoir un peu de répit.

« Deal. » déclara-t-elle enfin, scellant un accord qui, avec un peu de chance, ne durerait pas plus d’une semaine. Son appartement, ses conditions, c’était normal. « Pour ce qui est des affaires de puériculture, j’ai tout ce qu’il faut au foyer. C’est à 15 mn d’ici. Je dois toutefois acheter de quoi lui faire à manger. ». Emy & Nyah vivait depuis l’expulsion dans un petit studio encore plus petit que la chambre d’étudiant qu’Oliver avait visité 2 ans plus tôt. Il y contenait le peu d’affaires que la jeune femme avait su récupérer juste avant l’expulsion.

« Je te montre ou s’est. » - Emy acquiesça de plus belle, cette visite lui permettrait ainsi de voir ce qu’il manquait dans l’appartement d’Oliver – surtout dans le garde-manger – et de faire quelques provisions sur le chemin du retour. « Je suppose qu’il faut que j’ai aussi rendez-vous avec ces types des services à l’enfance. J’espère qu’ils ne nous ouvrent pas un casier judiciaire ou un truc comme ça, je tiens à ton intégrité. ». Intégrité. Emy dû faire un effort considérable pour ne pas exploser de rire, surprise de voir un tel mot sortir de la bouche d’un homme pareil. Elle lui adressa juste un énième regard réprobateur. « Ne t’en fais pas pour ta réputation, Docteur Richards. Un marché est un marché : c’est juste l’histoire de quelques jours, ensuite tu n’entendras plus parler de nous. » dit-elle en se redressant pour lui emboîter le pas avant de s’arrêter en même temps que lui. « Sophie ? Chelsie ? Brenda ? Ton prénom, je l’ai oublié. ». L’espace d’une seconde, elle avait cru – secrètement espéré, même – qu’il voulait enfin connaître le nom de la petite alors qu’en fait, il ne faisait que lui avouer qu’elle n’avait été que de la chair fraîche quelques années plus tôt. Elle esquissa un sourire pincé et lâcha un simple : « Emy. » avant qu’il n’ouvre enfin la porte et qu’elle ne le suive à l’extérieur. Les yeux de la jeune maman se posent sur le regard pur et interrogateur de Nyah qui jongle entre le visage de sa mère et celui de l’inconnu. Elle meurt d’envie de lui crier son nom, mais se ravise. S’il avait une once d’intérêt pour elle, Oliver le lui aurait tout simplement demandé. Elles ne sont qu’un problème dont il doit vouloir se débarrasser le plus rapidement possible.

Elle lui semble un peu raidie. Crispée. Ce qui est plutôt normal en vue de la situation, mais il n’avait pas l’impression d’être aussi imposant que ça. Ou alors peut-être n’était-ce que de l’animosité ? Elle lui en veut encore, certainement. Bien qu’il ne se sente pas tellement concerné, finalement. Il n’a pas la preuve que cette enfant soit la sienne. Et sans ça, il n’y prêterait certainement pas une grande importance. Mais si c’était vrai ? Si finalement, elle était réellement sa fille ? Son père lui en fera une maladie. Un enfant hors mariage, un enfant avec une “roturière” parce qu’Emy n’était certainement rien de plus aux yeux de Mr Richards Senior. Et Américaine de surcroît. Parce que le dirigeant des Richards n’a eu de cesse de répéter que cette famille aux traditions britannique, resterait, britannique. Cette petite fille, aussi jeune et minuscule soit-elle, représente donc à elle seule, le probable déshéritage d’Oliver. Mieux valait ne pas y penser. « Deal. » C’est certainement la première et dernière fois qu’il fait ça. Le bon rôle, ça ne lui va pas. Il ne relève donc pas se contentant de passer devant elle pour rejoindre la porte. « Pour ce qui est des affaires de puériculture, j’ai tout ce qu’il faut au foyer. C’est à 15 mn d’ici. Je dois toutefois acheter de quoi lui faire à manger. » Ha oui, il y a de fortes chances pour qu’un bébé d’un an ne mange pas de steak, ni de frites, ni même de sushis ? Il passe donc un rapide regard curieux vers la petite avant d’hausser les épaules.

« Si c'est à côté, on va commencer par récupérer tes affaires, puis on s’arrêtera à l’épicerie. De toute façon, j’ai quelques courses à faire. »

Quoi que... Il va s’imaginer quoi son épicier, à le voir débarquer avec une fille, une poussette, et un bébé ? N’a-t-il pas moyen de coller une pancarte sur le dos de la poussette, précisant “ce n’est pas à moi” ? « Ne t’en fais pas pour ta réputation, Docteur Richards. Un marché est un marché : c’est juste l’histoire de quelques jours, ensuite tu n’entendras plus parler de nous. » Bien. Ou pas... Dans le fond, si le test est positif, est-ce qu’il aura vraiment envie que la petite s’envole et qu’elle grandisse sans ne plus jamais entendre parler de lui ? Il verrouille la porte en silence, n’y répondant rien, il est bien trop songeur. Ce n’est que son prénom qui finit par l’interroger un peu plus. « Emy. » Emy... Il ne s’en souvient vraiment pas. Mais lui avait-il demandé ce fameux soir ? Il se dirige vers sa voiture, noir, vitre teintée, marque de luxe. Moteur qui s’en suit, évidemment. Fauteuil en cuir. Il s’arrête devant la voiture, se pinçant la lèvre un instant. Les bébés, dans les voitures, on ne les installe pas avec des fauteuils spéciaux ? Ce qu’il ne possède pas lui, évidemment.

« On va y aller à pied hein. Je ne voudrais pas qu’elle vomisse sur mes fauteuils en cuir. »

Loin de lui l’idée d’avouer qu’il ne s’inquiète en réalité, que de la sécurité du bébé. Et de ne pas se faire arrêter, accessoirement. Ils prennent donc la direction du centre dont elle lui a parlé, à quelques minutes d’ici. Ils se mêlent certainement bien à la foule tous les deux, comme un couple et leur enfant. Ce qui en devient gênant pour le médecin, qui finit par s’arrêter devant une épicerie, autre que celle dont il a l’habitude.

« On va prendre la bouffe ici, ça nous évitera des détours. »

Il n’attend même pas la réponse de la jeune maman, il entre, alors que le vendeur qui remplit les étalages, lève les yeux vers les nouveaux clients. Il leur sourit poliment, lançant à la volé un « Bonjour messieurs dames. » qui arrache à Oliver, un sourire forcé et agacé. Rapidement, il se dirige vers le rayon des pots pour bébé. Mais ignorant totalement ce qu’on donne réellement à un bébé, il finit par échapper un profond et lourd soupir, laissant retomber ses bras le long de son corps sans même tenter de cacher son impatience.

« Ils sont obligés de faire soixante marques pour de la purée ? »

Et avec des prix qui vont jusqu’au triple des sous marques. Et le pire dans tout ça, c’est qu’il n’a encore rien vu. Les couches, on en parle ? Il lève un bras vers une purée de carotte, espionnant la liste des ingrédients indiqués sur le paquet.

« Pourquoi y a t-il autant de trucs merdiques dans nos produits, et aussi peu dans ceux des bébés ? Je devrais faire mes propres courses dans ce rayon. »

Marmonne-t-il presque plus pour lui-même, alors qu’il remplit ses bras de plats préparés pour bébé. Pour lui hein, ça lui a donné faim. Réalisant qu’il n’a pas de panier, il se retourne vers la poussette. Et sans en demander l’accord de la propriétaire, il largue le tout dans le panier en dessous de celle-ci. Il se redresse, fier de ses trouvailles, et soupir plus joyeusement, alors que le bleu de ses yeux se repose sur Emy.

« Bon, on lui prend quoi ? »

Oui, il est sérieux, c’est sûrement ça le pire. Et elle ne l’a pas encore mené dans le rayon des couches. Ni même des produits cosmétiques pour bébé, comme le talque, ça sent bon le talque.

« Je peux vous aider messieurs dames ? »

Le vendeur de l’entrée, il revient à la charge, d’un sourire tellement naïf, qu’il en fait grimacer le chirurgien.

« Quelle adorable petite bouille. »

Continue-t-il alors qu’il se penche vers la poussette.

« Elle n’est pas volée dites moi. »

Il ricane alors qu’il relève ses yeux vers Oliver, dont les joues se sont probablement rosies, plus que jamais. Il se raidie même, comprenant que le vendeur les prenait réellement pour une parfaite petite famille, faisant ses emplettes.

« Merci. »

Crache-t-il avec dédain, s’empressant de passer son chemin, abandonnant femme et enfant derrière lui pour s’enfuir vers un autre rayon. N’importe le quel. Juste pour s’enfuir. Et quelle drôle de coïncidence, quand ce nouveau rayon n’est autre que celui des couches. Il ne s’en n’est pas vraiment rendu compte s’empressant d’attraper n’importe quoi pour faire mine de lire l’emballage et qu’on ne vienne ainsi pas l’embêter. Sauf que c’est un paquet de couche qu’il a entre les mains. Et le comprenant, il jongle avec, surpris, puis fini par le remettre à sa place, rapidement, avec un certain dégoût sur le visage. Dire qu’il pourrait être dans un bar, entouré de belles nanas, et qu’il est là à... Jouer au papa et à la maman ? Il se penche en arrière pour scruter justement, sa dite femme et son marmot, dont il ignore toujours le prénom. Le vendeur les a lâchés, alors il attend qu’Emy s’avance, son choix fait sur les plats.

« T'as besoin d'autre chose ? »

Ce n'est pas la première fois qu'il fait le portefeuille pour une fille. Mais habituellement, c'est que cette fille, il veut se la faire, alors il lui paît bijoux et robes de luxes. Emy, il lui offre des couches et des plats pour bébé. Qui l'aurait cru. Certainement pas lui. Surtout qu'il sait qu'il ne la touchera même pas ce soir, ni aucun autre soir, cette fille là. Comme quoi à trop jouer avec le feu, on fini toujours par se brûler les ailes.

Une fois dehors, Emy prit une longue inspiration et apprécia la légère brise qui lui donna le courage nécessaire de rejoindre le tumulte des rues New Yorkaise. A peine quelques s’étaient écoulées entre le moment où elles étaient entrées dans le cabinet et celui où elles en étaient ressorties avec Oliver. Pourtant Emy avait l’impression que toute une vie venait de se dérouler. Une vie alternative presque. Quel drôle de tableau que de les voir marcher tous les trois : on aurait presque dit une famille. Cette pensée fut rapidement chassée de son esprit par Oliver qui suggérait de faire la route à pieds pour éviter que les sièges de sa superbe voiture ne soient tâchés. S’ils devaient se rendre au foyer pour y récupérer des affaires, ce n’était pas vraiment l’idée la plus brillante, mais il finirait bien par s’en rendre compte de lui-même lorsqu’il trimballera les objets encombrants comme le parc et la baignoire pour bébé sur au moins trois pâtés de maison. Emy ne put s’empêcher de pouffer de rire à cette simple pensée et se reprit avant d’ajouter un : « Comme tu voudras ! » d’un ton qui laissait clairement sous-entendre que ce n’était pas une bonne idée pour une raison connue d’elle seule.

Ils s’arrêtèrent alors devant une épicerie où Oliver suggéra de faire les courses de première nécessité. Emy n’était pas sûre d’y trouver tout ce dont elle aurait besoin pour un bébé et s’apprêtait à partager son avis lorsqu’il pénétra à l’intérieur du magasin où ils furent poliment accueillis par le gérant de ces lieux. « Bonjour Monsieur. » répondit poliment Emy, se surprenant qu’un britannique aux prétendues bonnes manières ne daignent lui répondre autrement que par un sourire clairement feint. Ce qu’il pouvait être hautain ! « Excusez-le, il passe une sale journée. » lança-t-elle au vendeur d’un air complice qui frisait presque la moquerie. Elle le retrouva finalement dans le rayon alimentaire pour bébé, ne s’amusant que davantage de le voir aussi perdu face au choix démesuré de petits pots.

« Ils sont obligés de faire soixante marques pour de la purée ? » se plaignit-il alors qu’il s’emparait du premier pot à sa portée pour en étudier la liste des ingrédients. « C’est un business qui rapporte bien. » lui répondit-elle en haussant les épaules. Emy n’achetait que très peu de petits pots. Plus souvent, elle préférait cuisiner elle-même les plats de Nyah. La jeune américaine eut un petit sourire en le voyant étudier l’étiquette, la mine studieuse. On aurait presque dit qu’il prenait cette mission au sérieux. Aussi courte serait-elle. « Pourquoi y a-t-il autant de trucs merdiques dans nos produits, et aussi peu dans ceux des bébés ? Je devrais faire mes propres courses dans ce rayon. ». Ou pas. Emy leva les yeux au ciel en le voyant fourrer dans le panier de la poussette toutes sortes de pots qu’elle savait être pour sa consommation personnelle.

« Quoi, tu ne te fais pas à manger toi-même ? » s’exclama-elle, surprise. « Quoi qu’en fait, c’est pas très étonnant. ». Comme elle l’avait souligné quelques minutes plus tôt, ils n’étaient pas du même monde et ce, de bien des aspects. Elle était américaine, il était britannique, elle était issue d’une famille modeste, il était riche et probablement issu d’une famille influente.

« Bon, on lui prend quoi ? ». Emy s’apprêtait à lui répondre lorsque le vendeur revint à la charge pour proposer son aide et succomba rapidement au charme de Nyah, notant par ailleurs la ressemblance manifeste avec Oliver qui, prit de panique, bougonna et se réfugia dans un autre rayon. Emy en profita alors pour recourir à l’aide du vendeur concernant divers produits et le suivit parmi les rayons, l’écoutant parler de ses propres enfants et lui donnant quelques précieux conseils sur diverses problématiques comme le reflux gastrique. Au bout de quelques minutes, alors que le vendeur était retourné en caisse pour s’occuper d’autres clients, Emy fut surprise de retrouver Oliver au rayon des couches.

« T’as besoin d’autre chose ? » demanda-t-il. Emy passa alors juste devant lui, se hissant légèrement sur la pointe des pieds pour prendre le paquet de couches qu’il venait de remettre à sa place. « Je crois qu’on est bons. » conclut-elle, l’invitant à la suivre jusqu’en caisse.

**

Quelques minutes plus tard, ils échouèrent devant une vieille bâtisse surplombée d’une pancarte ternie sur laquelle était inscrit « Centre d’hébergement ». Emy se tourna vers Oliver. « C’est ici. On ferait mieux de se dépêcher. Elle ne va pas tarder à avoir faim. ». Ils s’engouffrèrent dans la bâtisse où la jeune maman fut accueillie avec chaleur malgré le contexte.

Un afro-américain, grand et costaud, de toute évidence un garde, vint aussitôt à leur rencontre en regardant Oliver d’un air suspicieux. Pour cause, un homme d’une telle classe n’avait rien à faire dans un lieu pareil à moins qu’il ne soit en lien avec le monde juridique. Pourtant, le visage de l’armoire à glace s’illumina d’un grand sourire tandis qu’il croisa le regard d’Emy. « Bonsoir Mademoiselle Jameson. » commença-t-il avant de se pencher pour prendre le bambin dans ses bras qui enroula aussitôt son cou de ses petites mains. « Et bonsoir ma belle petite Nyah ! ». Emy jeta un rapide coup d’œil à Oliver. C’était la première fois qu’il entendait le prénom de sa fille. « Bonsoir Dennis. Je voulais justement vous voir. » répondit-elle finalement avant de reprendre, non sans qu’un mot ne lui râpe la gorge. « Un ami – Oliver ici présent – se propose de nous héberger le temps de tirer ma situation au clair. J’ai quelques affaires à récupérer dans mon studio. Pourriez-vous nous ouvrir ? ». Le gardien eut un énième regard suspicieux envers Oliver, peu convaincu qu’il ne s’agissait que d’un simple « ami » compte-tenu de la ressemblance avec Nyah que même le vendeur d’une épicerie avait noté. Il s’exécuta néanmoins, le tout sans poser de question et en portant toujours la fillette à bout de bras.

Tous deux suivirent Dennis jusqu’à un studio ridiculeusement petit et impersonnel. Quelques affaires étaient déjà empaquetées, signe qu’Emy s’était effectivement préparée à être mise à la porte une nouvelle fois. Dans le coin, il y avait un sac de randonnée et une Samsonite, tous deux plein à craquer, au milieu, un lit parc à replier et dans la salle de bain, une baignoire pour enfant. Il devait regretter sa voiture, maintenant...

« Excusez-le, il passe une sale journée. » Et c’est bien peu de le dire. Ce matin il s’est réveillé, en homme libre. Et ce soir, il va se coucher avec des menottes aux poignets. Oui, c’est ainsi qu’il se voit. Et en plus, lui qui aime dormir le matin... Le bébé va pleurnicher, à n’importe quelle heure ? Même s’il fait encore nuit ?! « C’est un business qui rapporte bien. » Certainement pas autant que ses bistouris. On n’a jamais vu un gars se vanter de vendre des purées pour bébé. « Quoi, tu ne te fais pas à manger toi-même ? » Il fronce les sourcils, alors que l’azure de ses yeux se repose sur la rousse. Il hausse les épaules, d’un naturel déconcertant.

« Si. Du knakis purée! »

Micro-onde. Précisons-le. Non, il ne sait pas cuisiner le docteur. En même temps, c’était pas sa mère qui allait lui apprendre, elle-même ne s’étant probablement jamais préparé même un œuf. Il commande tout le temps. Et quand il a la flemme, il se fait juste un casse-croûte. « Quoi qu’en fait, c’est pas très étonnant. » Qu’est-ce qu’elle veut dire par là ? Il plisse un peu des yeux, suspicieux, alors qu’il renverse tout ce qu’il tient, dans la poussette.

« Alors là, stéréotype complet Princesse! »

Il tire sur une assiette de purée et petit poids pour bébé, qu’il a mis dans la poussette, et le met aussitôt sous le nez de la rousse.

« Ça j'sais faire! »

Oui, du moment que ça se met dans un micro-ondes, il sait faire. Pas le temps de se vendre plus, le vendeur vient les ennuyer, faisant fuir le jeune papa. Et quelques paquets de couches plus tard, les voilà partis pour le foyer d’hébergement d’Emy.

Dès l’entrée, il sent que son arrivée n’est pas très chaleureuse. Le gars de l’accueil le toise, presque froidement, avant de faire l’accolade à Emy. Les mains dans les poches de son jeans, Oliver les regarde presque gêner d’être ici, le regard néanmoins un peu froid. Comme à son habitude, face aux étrangers, à dire vrai. Toujours méfiant, le blond. Puis le gars, se penche vers le bébé. Il l’appelle Nyah... Il ne dit rien Oliver, mais a bouche entre ouverte, le visage haut, il surveille ce grand bonhomme, tout en souriant en coin des lèvres. Nyah... C’est beau. Probablement que son père lui en fera toute une maladie, parce qu’une Richards se doit avoir un prénom britannique, et blablabla... Mais lui, il trouve ça mignon Nyah. « Un ami – Oliver ici présent – se propose de nous héberger le temps de tirer ma situation au clair. J’ai quelques affaires à récupérer dans mon studio. Pourriez-vous nous ouvrir ? » Encore une fois, l’homme toise Oliver, qui ne se gêne pas pour en faire autant. Il semble le juger d’un simple regard, et ça, ça l’agace. Alors il finit par sourire, en coin des lèvres, ironiquement, à cet homme qui se prend certainement pour le bodygard de la rousse.

« Ravis de vous rencontrer, Dennis. »

Lance-t-il d’un faux ton chaleureux, ça pu l’hypocrisie hein, et Dennis ne s’y trompe pas. Pendant qu’Oliver lui tend la main, lui, lui tourne le dos pour lui mettre un vent aussi royal que sa petite personne. Oliver referme donc ses doigts dans le vide, ne cachant pas sa déception. Ce gars-là, il ne l’aime pas. Evidemment le Dennis en question les emmène, sans plus de question. Et en quelques pas seulement, Oliver pénètre dans la petite chambre d’étudiante qui servait de toit à Emy et Nyah ces derniers temps. Il espionne les lieux, curieusement, ses yeux passant en revus sur les affaires déjà empaquetées. Elle semblait vraiment sur le départ. Et des affaires, y’en a beaucoup. Alors ne sortant guère ses mains de ses poches, il avance ses lèvres en avant, réalisant l’ampleur de la situation.

« C'est petit mais encombrant, ces trucs-là. »

Marmonne-t-il en parlant du bébé. Puis il soupir, et se retourne vers Dennis, sortant une main de sa poche qui tient maintenant un joli billet vert. Après tout, Dennis, c’est un nom de portier.

« J'vais chercher ma voiture. Vous seriez gentil de tout emmener devant. »

Il enfourne le billet dans la main de l’employé des lieux, sans même attendre son avis, puis il se retourne vers Emy.

« Je reviens avec la voiture. Mais j’ai pas de siège auto pour Nyah. Donc... Ça aussi faut en acheter un ? »

Le truc, c’est qu’Oliver, il ne se rend pas compte du prix d’un siège auto. Surtout s’il en veut un bon. Bien noté aux crash test, isofix, rotatif, plusieurs positions, et sécurités sur les côtés anti vibration. Un truc de qualité, parce qu’il ne va pas s’enticher d’un rehausseur de la reine des neiges non plus. Voiture de marque, siège auto assorti.


Vingt minutes plus tard, il est de retour avec sa voiture aux vitres teintées, et aux fauteuils de cuirs. Il la gare devant l’entrée, elle se remarque d’ailleurs, vu le tas de vieilles autos autour d’elle. Il en sort, claque la portière, puis retrouve Dennis et Emy dans le hall, les sacs et le bordels les entourant. Dennis a bien bossé, alors il sort un autre billet qu’il fourre dans la poche avant de la veste de l’homme.

« Merci, c’est bien aimable! »

Et lui son ton est bien moqueur. Bon, il empoigne le parc, la baignoire, et un sac, et le voilà reparti vers sa voiture. Il embarque le tout, difficilement, malgré qu’elle soit imposante sa caisse. Puis la chambre d’Emy vidée, il se retourne vers la demoiselle.

« On a tout ? »

Oui sauf le bébé, parce qu’il faut un siège auto! Et qu’il n’est pas magicien!

« Si. Du knakis purée ! Alors là, stéréotype complet Princesse ! Ça j’sais faire ! » dit-il avec une normalité et une nonchalance qui arracha un petit rire moqueur à la jeune femme. Cet homme, qui l’avait impressionné 2 ans plus tôt par sa prestance et son éducation, s’avérait être un véritable enfant. Emy se souvenait encore du corps bien entretenu de celui à qui elle s’était donné pour la première fois ; il était athlétique, bien taillé et elle l’imaginait plus à consommer des choses saines plutôt que des plats préparés. Elle-même n’en consommait que rarement. Pour dépanner, de temps en temps, mais la plupart du temps les plats, mère et fille mangeaient du « fait maison ». Si Emy était vouée à passer quelques jours dans son appartement – et si tant est qu’il apprécie sa cuisine - peut-être bien qu’elle lui apprendrait à se faire cuire des pâtes.

**
Au foyer, Oliver ne manqua pas non plus de briller par sa maladresse, allant même jusqu’à donner un pourboire à Dennis et constatant que, finalement, le recours à la voiture était plus que nécessaire. Emy s’en amusa au plus haut point. Le pire, c’est que ce n’était pas de la moquerie. Alors qu’elle avait été sur le point de le gifler une heure plus tôt, Emy le trouvait presque attendrissant maintenant qu’il se sentait investi d’une mission.

Tandis qu’Oliver fourrait toutes les affaires dans le coffre de son bolide, Emy eut un pincement au cœur. Comme à chaque déménagement, elle avait du mal encaisser que 23 années de sa vie tenaient maintenant dans le coffre d’une voiture. « On a tout ? » demanda une dernière fois Oliver, la chassant de ses pensées négatives. Toujours un peu distraite, Emy acquiesça. Notant le regard interrogateur d’Oliver qui glissait tantôt sur le siège de la banquette arrière et tantôt sur Nyah, Emy sépara le siège du mécanisme du landau. « C’est une poussette multifonction. ». Elle plaça alors adroitement le siège sur la banquette arrière et effectua un « branchement » qui devait sans doute lui paraître complexe. Emy se redressa, la main posée sur le toit du véhicule par-dessus lequel elle observa Oliver en haussant les épaules : « Du business ! » conclut-elle avant de s’assoir aux côtés de sa fille, à l’arrière du véhicule qui avait encore l’odeur du neuf.

**
Le trajet en voiture s’était fait dans un silence quasi-religieux. C’était comme si les bruits de la ville s’étaient soudainement arrêtés à l’instant même où ils avaient fermé les portes du véhicule. On percevait à peine le ronronnement du moteur dans l’habitacle. Emy éprouvait pour la première fois une sensation de malaise, une appréhension face à cette nouvelle situation inconnue – mais choisie - et en même temps, ce calme avait pourtant quelque chose de rassurant. Elle accrocha son regard à celui de Nyah, lui sourit en lui caressant la joue et murmura un : « Ca va aller, mon ange. » à peine audible. Bercée par la route, le calme ambiant et le ronronnement du moteur, l’enfant ne tarda pas à s’endormir…

**

Quelques embouteillages plus tard (heure de pointe oblige), la voiture s’arrêta finalement devant un immeuble imposant et qui abritait les appartements les plus chics de New York. Emy détacha délicatement Nyah et suivit Oliver à l’intérieur.

Du buisness. Il la regarde un peu médusé alors qu’elle transforme cette poussette en siège-auto. De la grande technologie certainement. Il se sent un peu largué le papa, mais il ne veut pas paraître trop stupide, alors pendant qu’elle s’attelle à attacher sa fille, lui tente de plier le reste de la poussette. Tente hein, parce que ce n’est pas franchement une réussite. Ça ressemble à un puzzle, mais un puzzle de 10 000 000 pièces, avec le même fond partout. C’est finalement Emy qui parviendra à plier le support, tandis que lui, en restera avec cette horrible sensation d’être... Largué.

Une fois à l’intérieur de la voiture, le silence. Il ne sait pas vraiment quoi dire, et visiblement, elle non plus. Elle n’est pas à l’aise, et sa situation l’explique facilement. Lui, il se sent largué, et peu à sa place. Il devrait être en route vers un super bar, avec de jolies filles et des potes probablement déjà bourrés. Au lieu de ça, il est dans sa voiture, transformé en break familiale, transportant femme et enfant vers un appartement qui ne lui ressemblera plus du tout. Quand la voiture sera vidée. Du coin de l’œil, il espionne un peu Emy, qui parle à sa fille. La petite ne comprend certainement pas ce qu’ils foutent là, avec un parfait inconnu. Oui, un inconnu, qui pourtant, si on en croit la rouquine, serait nul autre que son géniteur.

Heureusement le chemin n’est pas long. Et ils arrivent vite à son immeuble. Il gare la voiture sur le parking, à sa place réservée. Instinctivement, il lève les yeux, comme pour vérifier qu’aucun voisin n’est à la fenêtre a épier ce qui se passe. S’il débarque avec une môme et autant d’attirails, ça va vite jaser là-dedans. Heureusement qu’il n’est pas des plus sociables avec ses voisins, et que personne ne le connait vraiment.

« C'est ici, au quatrième. »

Avec ascenseur évidemment. Il laisse Emy prendre Nyah, il ne s’y risque certainement pas. Il se contente de prendre l’un des sacs d’affaires qu’il enfile sur son épaule. Il descendra le reste quand elle se sera faite aux lieux. Il prend les devants, clés en main, et l’emmène jusqu’à sa garçonnière. C’est avec un petit soupir résolu, qu’il pousse la porte et entre, suivit par la rouquine.

Sa chienne, Sally, les accueille aussitôt, tournoyant et sautant sur les jambes d’Oliver, qui lui sourit, et lui câline le haut de la tête.

« Oui, oui, moi aussi j’suis content. Allez, va coucher, du calme! »

Elle renifle les pieds d’Emy, puis lui tourne autour, la queue gigotant, alors qu’elle fixe Nyah. Elle finit même par se hisser sur ses pattes arrière, les pattes avant s’appuyant sur les cuisses de la rousse, pour renifler le bambin. Oliver passe rapidement ses bras autour de la chienne pour la faire reculer, puis il l’entraîne vers son panier, en la tirant légèrement.

« Désolé, elle aime bien les gosses. »

Mensonge 1, avouer. Il fait comprendre à la chienne qu’elle ne doit plus bouger, puis il revient vers Nyah et Emy, après avoir fermé la porte d’entrée.

« Bah, c’est chez moi. »

C’est spacieux, et ensoleillé. De grandes fenêtres qui illuminent tout l’espace. On entre dans une belle salle à manger, derrière il y a un spacieux salon. Une cuisine ouverte, toute aussi imposante, alors qu’il ne s’en sert jamais. Un escalier au salon, mène à un étage ou on trouve trois chambres et la salle de bain. L’une des chambres est transformée en bureau, ou il télé-travaille de temps en temps. Puis un grand balcon, fleurit, spécieux, avec un grand salon de jardin. Et il ne lui a pas tout montré, car la résidence possède une salle de sport et une piscine, ou tous les résidents ont accès 24h/24h.

« Tu me diras si... Il faut ranger des trucs. Parce que... J’ai rien de préparer pour les enfants ici. Les bouteilles dangereuses, les trucs comme ça... »

Il ne s’est jamais posé la question. Les produits ménagés sont sous l’évier, à portée de main. Les bouteilles d’alcool aussi, dans la commode du salon, facile d’accès. L’eau de javel traîne par terre derrière les toilettes. Emy a toute une organisation à refaire dans cette maison.

« J'vais chercher le reste. »

Il la laisse contempler l’espace, et redescend à la voiture, pour la décharger. Il fait plusieurs allées et retours, tout en remontant les mains pleines, et le visage rouge sous l’effort. Quand enfin il arrive au dernier passage, il largue tout dans l’entrée, manquant de s’écrouler avec le lit pliable pour bébé. Première soirée de papa : Papa 0, maman 1. Il souffle, puis se dirige vers les escaliers.

« Il y a une chambre libre à l’étage. »

Et pour ça, faut encore monter des marches. Il a l’impression que ses jambes ne suivent plus. Il se hisse difficilement jusqu’en haut, poussant la porte de la chambre d’ami. Elle n’est jamais utilisée d’ailleurs. Il l’avait prévu pour Charlie, mais voilà plus d’un an qu’ils ne se sont pas revus.

« Y'a des draps propres dans l’armoire. Et.. De la place pour tes affaires, dans les meubles. Enfin, fais comme chez toi, je suppose. »

Il pose ses yeux curieux sur la gamine, dans les bras d’Emy. Cette petite chose l’intrigue. Surtout qu’elle le fixe autant que lui la fixe. C’est comme une bataille de regard, une étude silencieuse. Il sent qu’il y a quelque chose qui les lie, et peut-être qu’elle le sent aussi. C’est très étrange, et malaisant. Il finit par prendre peur, il se recule, détachant son regard de la môme pour affronter celui de la maman.

« J'retourne en bas si t’as besoin. »

En espérant qu’elle n’ait pas besoin. Il s’éclipse au rez-de-chaussée, s’arrêtant tout de même dans son élan en voyant le tas de bordel entreposé dans l’entrée. Il a besoin d’un verre. Il se pince l’arête du nez puis se sert un fond de whisky dans son salon, comme si l’alcool lui brûlant la trachée allai tout effacer ou le réveiller d’un cauchemar. En vain.

« C’est ici, au quatrième. ». Emy prit un instant pour observer la façade de l’immeuble, comptant les étages pour situer l’emplacement de l’appartement où elle ne devait séjourner que quelques jours. Bien que New Yorkaise pure souche, la jeune femme ne s’était jamais vraiment aventurée dans ce quartier. C’était beaucoup trop chic, les magasins affichaient des prix pharaoniques et ne parlons même pas des restaurants.

4 étages et un pallier plus tard, ils arrivèrent enfin dans l’appartement d’Oliver et furent accueillis par un magnifique chien de taille moyenne qu’elle devinait être un chien de berger. Emy adorait les chiens. Petite, elle s’amusait même à retenir le nom des différentes races. Pour celui-ci, elle hésitait. Peut-être était-ce un Border Collie ou un Berger Australien. Peut-être un mélange des deux. Dans tous les cas, le caractère de la chienne n’était en rien tel qu’Oliver lui avait décrit. Il reconnut alors lui avoir menti en espérant sûrement qu’Emy aurait lâché l’affaire. L’intéressée lui sourit et eut le temps de passer une main délicate dans la fourrure de l’animal. Sentant la truffe froide et humide sur sa peau, Nyah s’était réveillée. Plutôt de bonne humeur à la vue de Sally avec qui elle tenta d’entrer en communication en babillant. Oliver l’entraîna alors de force dans son panier. Emy sentait cependant qu’à l’instant même où Oliver lâcherait sa garde, Sally reviendrait à la charge.

Ils se trouvaient maintenant dans une grande pièce. « Bah, c’est chez moi. » lança Oliver. Ne sachant pas quoi dire d’autre. Emy non plus ne savait pas mettre les mots sur ce qu’elle voyait. C’était bien la première qu’elle pénétrait dans un appartement aussi grand, lumineux et bien agencé. Elle avait l’impression de se trouver dans un musée où il était écrit : « Ne pas toucher » de tous les côtés, y compris sur le sol pour lequel Oliver l’avait déjà mis en garde. Elle avait envie de lâcher un commentaire comme : "C'est beau chez toi" ou "C'est immense !", mais préféra s'en abstenir. Après tout, il venait de voir l'intérieur de la minuscule chambre où elle avait séjourné pendant plusieurs mois. « Tu me diras si… Il faut ranger des trucs. Parce que… J’ai rien de préparer pour les enfants ici. Les bouteilles dangereuses, les trucs comme ça… ». Pour tout dire, Emy était déjà en train d’analyser les risques potentiels d’un accident domestique à l’instant même où elle avait posé le pied en ces lieux. « Bien sûr. Je comptais justement m’en occuper dès demain. » répondit-elle. Sur ces mots, Oliver s’éclipsa pour remonter le reste des affaires de la famille Jameson. Emy en profita pour faire un tour rapide du rez-de-chaussée – suivie de près par Sally - et attendait son hôte avant de visiter l’étage.

Lorsqu’il revint quelques minutes plus tard, à bout de souffler après avoir porté toutes ces affaires encombrantes, Oliver lui montra la chambre d’amis où elles allaient établir domicile pour quelques nuits. Trop occupée à observer la chambre qui était au moins 15 fois plus grande que le studio qu’elle venait de quitter, Emy ne remarqua ce petit échange de regard entre « père » et fille. Finalement, Oliver s’éclipsa afin de leur laisser le temps de s’acclimater. Elle posa le siège-auto au sol ainsi que le sac à dos qu’elle avait embarqué avant de monter à l’étage et fit son lit. Elle fit ensuite deux aller-retour entre « sa chambre » et l’entrée pour y montrer le parc de Nyah et la valise, en profitant pour la rafraichir, la langer et la mettre en pyjama. Près d’une bonne demi-heure venait de s’écouler lorsqu’elle eut terminé. Emy redescendit, posa sa fille dans la chaise haute et remarqua Oliver à l’autre extrémité de la pièce en train de siroter le whisky d’une bouteille apparemment déjà bien entamée. Elle resta silencieuse, parfaitement consciente de son intrusion dans une vie déjà toute tracée et où elle n’aurait jamais dû faire partie. Après Nyah, l’américaine mangea à la hâte un sandwich acheté dans la petite épicerie, puis débarrassa. Avant de remonter à l’étage, Emy s’était approchée du salon où Oliver s’était réfugié, mais le voyant toujours un verre de whisky à la main et l’esprit vague et sans doute à encaisser le choc de la nouvelle, elle préféra le laisser à ses réflexions sans dire un mot.

Ils auraient d'autres occasions de discuter.