le plus dur c'est la première nuit. en france elle savait où crécher le soir, même si ce n'était pas entre quatre murs, elle connaissait les coins assez abrités. mais là, à new-york, c'est tout nouveau pour elle. la gamine est perdue, toute seule et sans repères. heureusement elle est débrouillarde, elle se dépatouille comme elle peut, elle survit.

sur un banc, dans un parc, son gros blouson comme couverture et son sac pour oreiller.

bonjour le mal de dos le lendemain, mais bon, pas le choix. pour se nourrir c'est la manche, mais elle aime pas. et elle connait encore personne, donc pas d'échange sexuel contre de quoi grignoter, pas encore. c'est sa seconde journée ici et elle n'a pas mangé depuis qu'elle a posé ses pieds dans la grosse pomme. la gamine a passé la journée à essayé de trouver de quoi grailler, mais c'était peine perdu. y'a plein de sdf ici, elle n'aurait pas pensé. et c'est hors de question qu'elle foute les pieds dans un centre d'aide.

elle n'a besoin de personne, luce.
ce qu'elle croit.

la nuit est tombée depuis quelques heures et le ventre gargouille plus bruyamment que les moteurs des bagnoles. mais la chance semble lui sourire au détour d'une ruelle. elle a vu la devanture du cabaret, l'a contourné et bingo, l'entrée des artistes devant elle, la porte ouverte. ça mène aux cuisines, c'est une putain de chanceuse et en plus, ça semble vide. alors elle entre en catimini, sans un bruit. c'est propre ici, elle n'a jamais vu un endroit aussi classe. ses foyers étaient tous des taudis, ses tuteurs des connards faisant foyer d'accueil de mineur juste pour les allocs. alors un endroit aussi propre et disons-le, luxueux, c'est pas tout les jours qu'elle peut y foutre les pieds.

elle perd pas de temps, se dirige vers le frigo qu'elle ouvre et ses yeux s'illuminent. sans aucun scrupule elle attrape le pain, le fromage, le jambon, tout ce qui passe. ne prend même pas la peine de se préparer un casse-dalle digne de ce nom. elle croque simplement, ne mâche pas, elle engloutie directement.

putain, c'que ça fait du bien, après deux jours, de bouffer.

la gamine sursaute en entendant une voix derrière elle. c'est qu'elle ne s'y attendait pas, croyant les lieux vide. elle se retourne vivement, prise sur le fait, toutes les preuves sont contre elle, qui a les mains pleines de nourriture. elle a peur d'un coup, prise au piège, la petite souris est face à un énorme matou qui menace d'appeler la fourrière. « appelez pas la police, je fais rien de mal ! » hormis entrer par effraction, et voler.

elle pose la bouffe sur la table, lève un peu les mains pour montrer que c'est juste une gamine, qu'elle a pas d'armes, qu'elle va rien faire, alors faut qu'il en fasse autant. « c'était ouvert, si vous voulez pas que les gens entrent, faut fermer. » ouais luce elle est comme ça, elle remet tout sur la faute des autres.

elle l'aime déjà pas, ce type, avec son ironie à deux balles. c'est qu'elle n'a pas que ça à foutre la gamine, et de voir qu'il se moque clairement d'elle, elle n'aime pas du tout. mais elle fronce juste les sourcils, ne veut pas s'engouffrer dans la confrontation en le traitant de vieux débris, parce qu'elle n'est clairement pas en position de force, qu'il a fermé toutes les issues possibles et que si elle veut espérer qu'il n'appelle pas les flics, faut qu'elle se montre un peu docile. « ok ok ... j'ai vu que c'était ouvert, alors je suis entrée pour prendre à manger. » elle soupire, croise les bras d'un air pas content. parce que oui, elle n'est pas ravie de s'être fait prendre. « ça fait deux jours que j'ai pas mangé, j'ai hyper faim. » mais lui il peut pas comprendre, vu son établissement, ses fringues et le reste, clairement il n'a jamais connu la rue.

elle se redresse un peu, fait un pas vers la porte. juste un. « j'vais partir, et vous entendrez plus parler de moi, ça vous va ? »

elle cherche à s'échapper, la petite souris, mais voilà que le gros matou se pointe devant elle, se fait immense, si bien qu'elle doit lever la frimousse pour le regarder. et elle se recule, un pas, puis deux, parce qu'il est imposant et qu'elle se sent prise au piège.

et il questionne, demande pourquoi le ventre sonne creux, pourquoi elle est seule dehors. elle a envie de rire la petiote, devant tant d'ignorance. « y'a pas d'âge pour vivre dans la rue m'sieur. » qu'elle lâcha dans une grande insouciance. puis voilà qu'il lui permet de prendre le sandwich, et la petiote n'attend pas qu'il répète pour se ruer dessus, le prendre dans ses mains et le croquer à pleine dents. elle a faim, très faim. « j'peux prendre d'autres trucs ? » autant tester. si elle avait plus de courage, elle aurait demandé un toit pour la nuit. ou deux.