Beau Willings est un sociopathe, de ce fait, les notions du bien et du mal, les tracas de la société ainsi que les écarts de conduites de ses citoyens lui passent au dessus de la tête. Il ne comprends pas, et il n'aime pas ne pas comprendre. Son cerveau le déménageait, une démangeaison qu'il n'arrivait pas à calmer. C'était désagréable, il n'aimait pas ça, alors il se contentait d'éviter les médias. Plus d'actualités, plus d'informations incompréhensibles, plus de  démangeaisons. Et si il passait à côté de quelque-chose d'important, ses employés le lui rabachait jusqu'à ce que ses oreilles en saignent.

Beau Willings est quelqu'un matinal. Il était déjà levé depuis trois bonnes heures lorsque son téléphone sonna. Un message d'Estela. Mauvais signe. Son téléphone n'affichait que très rarement ce numéro. Il devait y avoir un problème. Son assistante lui demandait si elle pouvait passer, il y avait un gros problème. Beau eût le plus idiot des réflexes alors que son pouce se mouvait pour envoyer une réponse aussi froide et impersonnelle que lui. Il avait attrapé et débouché une bouteille de vin. Il ne savait pas pourquoi il avait fait ça, il n'aimait pas particulièrement l'alcool mais son instinct lui disait qu'ils en auraient tout les deux besoin.

Le brun se mit à faire les cents pas en attendant son employée, faisant des allers-retours de entre la fenêtre et le judas. Il ne savait pas pourquoi Estela voulait le voir, il ne comprenait pas, il n'aimait pas ça, il devait savoir.

Lorsque des coups vinrent buter contre sa porte, il en était à sa dixième ronde. Il s'élança vers la porte qu'il ouvrit rapidement, il avait hâte de savoir, il devait savoir quand bien même la nouvelle serait atroce.

Ses sens s'affolèrent lorsqu'il vit l'état de la jeune femme. Elle ne s'était pas apprêté, son teint était naturel et ses yeux étaient dépourvus de cet excentrique et pourtant si magnifique maquillage qui faisait sa renommée. Ses rétines n'avaient pas leurs monochromies habituelles. Elles étaient rouges, injectées de sang. Elle avait pleuré. Pourquoi avait-elle pleuré ? Beau appréhendait, il avait peur de ce qui allait suivre. Il essayait de se rationaliser, Estela était une jeune femme sensible et ses réactions étaient souvent excessives. Elle pleurait sûrement pour rien. Elle devait pleuré pour rien.

Silencieusement, Beau s'écarta de la porte. Une de ses mains vint frôler le dos de la jeune femme pour l'intimé à entrer. La porte se referma derrière elle. Beau n'osait pas lui parler, il appréhendait beaucoup trop, mais lorsque son regard se reposa sur les yeux ensanglantés de la jeune femme, il osa.

«Pourquoi as-tu pleuré ?»

Le vous était inutile. Il savait que ce qui allait suivre était trop intime pour s'encombrer d'une quelconque solennité. Il n'aimait pas ne pas savoir mais son instinct lui disait qu'il allait détester savoir.

Un flux d'adrénaline fut envoyé au cortex cérébral du faux-brun lorsqu'il entendit les mots de la Brésilienne. Ce "Es-ce qu'on pourrait s'assoir" sonnait exactement comme le "Assis-toi, chéri"  qu'avait prononcé sa mère avant de lui annoncer qu'elle était mourante et qui lui-même sonnait exactement comme le "Venez, asseyez-vous" qui avait précédé "Nous avons tout essayé" des médecins qui était censé la secourir lors de sa tentative de suicide. Cette invitation, Beau la connaissait déjà, et les pièces du puzzle ne tardèrent pas à s'assembler. Sa gorge se noua, l'empêchant de parler. Il avait compris. Il avait compris qu'elle n'avait pas pleuré pour rien. Il avait compris qu'elle n'exagerait pas. Il avait compris qu'il allait absolument avoir besoin de liquider la bouteille de vin. Il avait compris qu'il allait devoir prendre sur lui pour prendre la jeune femme dans ses bras. Il avait compris que quelqu'un était mort. Il avait compris qu'il ne voulait pas savoir qui. Il voulait tout annuler, faire un ctrl Z et faire comme si de rien était. Il ne voulait pas que sa recommence, il ne voulait pas devoir subir un autre enterrement.

De cette compréhension naquit son contraire. Il avait compris et ça l'affecter, et ça, il n'en comprenait pas la raison. Il n'avait pas tremblé lorsqu'il sut que sa mère était malade. Il avait à peine froncer les sourcils lorsqu'il trouva le corps de cette lâche qui n'avait pas voulu se battre contre sa maladie. Alors pourquoi était-il affecté maintenant ? C'était ridicule, il ne savait même pas qui était mort. Il ne comprenait pas que les choses étaient différentes. Il ne comprenait pas que si il n'avait ressenti rien pour sa mère c'était parce qu'elle était trop anecdotique dans sa vie. Il ne comprenait pas que ce qu'il ressentait c'était de la peur, la peur de perdre quelqu'un à qui il s'était attaché. Il s'était attaché à Estela. Il s'était attaché à Aiden, aussi fou soit-il. Il s'était attaché à Lizzie, sa gentillesse et sa candeur lui décrochant souvent un sourire. Il s'était attaché à Lou avec qui il se plaisait à discuter autour d'un repas dans un dîner. Et dans une bien moindre mesure, il commençait à apprécier Ezra.

La sensibilité de la Brésilienne commençait à déteindre sur lui. Avant elle, avant les Rosenbach, il n'avait jamais eu aussi peur de s'assoir.

Mais Beau Willings était quelqu'un de fier. Il ne pouvait pas se permettre de montrer ses états d'âme. Il ne devait pas montrer sa peur, mais il ne devait pas se renfermer sur lui-même. Toutes ces émotions et intentions, c'était trop pour le sociopathe qui dût faire un choix. Et dans un élan d'altruisme qu'il ne se connaissait pas, il choisit d'aider Estela. Voyant ses jambes tremblées, Beau s'élança vers son assistante et lui prit la main pour la conduire au canapé. Il n'aurait pas voulu qu'elle tombe à la renverse et s'ouvre le crâne. Ça aurait fait mauvais genre. Il attendit sagement qu'elle prenne place pour s'en aller quelques instants et revenir avec la bouteille fraîchement ouverte ainsi que deux verres ballons. Il remplit un verre qu'il poussa délicatement vers Estela avant de prendre place en face d'elle. Il laissa flotter un léger silence durant lequel essayait de faire partir sa peur, d'alléger sa gorge et sa voix. Un lamentable échec. Alors, la voix quasiment éteinte, il se contenta de lâcher la bombe.

«Qui est mort ?»

Beau vit la jeune femme se figer alors qu'il posa la question fatidique. Il aurait peut-être dû être plus doux, plus avenant, moins brutal. Le silence qui suivit était tout sauf rassurant, la panique commençait à se faire plus intense alors qu'il se repassait la liste des relations qu'il avait en commun avec la jeune femme. Il n'était pas prêt. Il ne voulait pas. Il voulait faire marche arrière et fuir, mais tout ce qu'il pouvait faire était de ralentir son rythme cardiaque à l'entente du nom. Son coeur s'était emballé si vite sous l'effet de panique que son cerveau dû tirer le signal d'alarme et envoyé tout les hormones possibles pour le ralentir. Durant un instant, il eut l'impression de s'être retrouvé dans un autre espace temps, d'être piégé dans un monde qui tournait au ralenti. Des questions jaillirent dans son esprit embrumé, comment, pourquoi. Lizzie était une femme bien, gentille et souriante. Comment avait-elle pu se retrouver dans une telle situation ? Elle n'avait pas l'air d'être le genre de personne qui se saoulait jusqu'à ne plus tenir sur ses jambes et passer par dessus un pont. C'était improbable. Les informations étaient trop flou, insatisfaisantes et pourquoi son ventre se tordait ainsi ? Beau se sentait mal tout un coup... C'était nouveau et effrayant.

Son mal-être s'accentua lorsqu'il assista aux réactions de l'augure. Elle avait baissé la tête, une larme avait dévallée sa joue pressage des centaines d'autres qu'elle retenait au fond d'elle. Lorsqu'elle releva la tête, son regard croisa celui de son patron. Le visage de Beau demeurait figé, ses lèvres légèrement plus crispées qu'à l'accoutumée mais le plus alarmant s'était ses yeux, d'habitude si pâle et dénués d'empathie, qui s'était imbibée d'une solution saline qui explosait leurs vaisseaux sanguins. Ses yeux étaient rouges. Il allait pleuré. C'était encore plus inhabituel, encore plus effrayant. Il était désolé pour la boule de couleur qui avait rendu son dernier souffle. Il était inquiet pour sa sœur et même pour son détestable frère. Il devait les contacter, mais pour dire quoi ? Il n'avait pas le moindre droit de le faire.

Encore perturbé par la nouvelle, Beau bût d'une traite son propre verre alors que son regard quittait celui d'Estela. Elle souffrait elle aussi, elle avait bravé sa propre douleur pour le mettre au courant, et il n'avait aucune idée de comment il pouvait la remercier ou se la réconforter. Timidement, le brun quitta son siège pour s'assoir aux côtés de la teinte.

«J'ai besoin de quelque chose...»

Il marqua une petite pause, mal à l'aise, avant de poser sa main sur celle de la Brésilienne. Il n'était jamais très à l'aise lorsqu'il devait avoir un contact physique avec un autre être humain mais cette fois il se sentait obligé de l'aider. Alors il serra la main de la jeune femme comme il le pouvait, tentant d'être un bon soutien moral avant de reprendre la parole.

«Que puis-je faire pour te consoler ? Comment... Comment on aide quelqu'un qui vit ça ?

Beau resta silencieux, son cerveau le titillait, il n'aimait pas cette réponse, ses yeux le piquaient, ils n'aimaient pas cette réponse, Beau n'aimait pas cette réponse. Il renferma sa main sur celle de la brésilienne, faisant blanchir ses propres jointures. Le presque quarantenaire était perdu et il espérait que son assistante puisse le guider, il avait besoin d'un guide. Il en avait besoin pour redevenir quelqu'un de normal, de bien, après tout, c'était de la faute à son manque de guide si il devenu comme ça, si froid, si distant, si asocial. Être ainsi ne lui déplaisait pas réellement, il appréciait sa personnalité atypique mais, au contact d'Estela et des femmes Rosenbach, il s'était rendu compte qu'il passait à côté de nombreuses sensations.

Le coeur du sociopathe se serra alors qu'il observait les larmes coulées le long des joues bronzées de la jeune femme. Il voulait faire quelques choses, lui tenir la main ne suffisait plus à la rassurer. Estela venait de lui dire qu'il devait soutenir ses proches, il ne pouvait pas le faire en restant aussi glacial et distant qu'à l'accoutumée. Il devait agir et être rassurant. Il finit par passer un bras hésitant autour des épaules de la colorée et la ramena doucement vers lui. Il était assez mal à l'aise, peu habitué aux contacts humains, mais l'intention était là. Frictionnant doucement le bras de la jeune femme, le brun finit par déclarer:

«Je ne crois pas être capable de faire mieux…»

Tout en continuant ce geste machinal, les pensées de l'homme dérivèrent vers la défunte. Un léger sourire étira ses lèvres, un sourire empli de tristesse et de remord. Il regrettait de ne pas avoir passer assez de temps avec elle, de ne pas l'avoir mieux connue et de l'avoir déjà perdue.

«Elle était jeune… Elle ne méritait pas ça. Je suis désolé pour toi. Vous deviez être proche. Elle… me manquera un peu.»

Beau resserra son emprise sur la brésilienne alors qu'elle se mit à participer à l'étreinte. Il était terriblement gêné, lui qui était si peu habitué aux contacts humains ne se plaisait pas vraiment en objet de réconfort. Mais il s'efforçait d'être le meilleur personnage de soutien possible, pour Estela, pour tout ceux qui en auraient besoin par la suite, pour honorer la mémoire de la défunte. L'influenceuse se laissait aller, pleurant sûrement plus qu'elle ne l'aurait voulu dans les bras d'un homme qu'elle connaissait si peu et qui s'efforçait de rester de glace. Il ne voyait pas l'intérêt de pleurer, il trouvait ça trop ridicule, trop humain, trop social. Il comprenait à peine ce qui se passait, il ne pouvait pas se perdre d'avantage dans un flot inutile de larmes. Il ne souhaitait pas pleurer, mais il ne savait pas encore que les larmes ne se contrôlaient pas, alors, même si il ne le souhaitait pas, sa gorge se serrait et ses yeux se mirent à rougir et à piquer. C'était désagréable. Il n'aime pas ça. Il n'aimait rien en ce moment. Il ne savait pas quoi ressentir, c'était déstabilisant.

La voir s'éloigner de lui le soulageait. Il n'avait plus besoin de supporter cette accolade qui se faisait de plus en plus pesante. Son regard demeurait néanmoins rivé sur la brésilienne qui demeurait toujours aussi mélancolique alors qu'elle se mit à parler de la défunte. Beau suivit son regard qui fut vite happé par les tâches blanches et noires qui se mouvaient parmi les herbes folles, les branches et les cailloux qui décorait le vivarium, la pièce centrale du salon du sociopathe. Observé le reptile se mouvoir avait le don de calmer l'homme lors de ses quelques rares excès, les tâches de l'animal l'hypnotisaient et il ne pouvait s'en détacher tant que sa respiration ne s'était pas calmer. Il espérait qu'il en serait de même pour son assistante qui semblait au bord du gouffre.

«J'ai regardé ses vidéos une nuit. Je n'ai pas vraiment compris l'intérêt mais elle était adorable. C'était une fille bien. J'aimerai qu'il existe un paradis, pour elle uniquement. Les autres ne le mérite pas.»

Des mots froids, distants. Une voix brisée, endolorie. Un homme souffrant. C'était tout ce qu'il y avait à retenir de ces phrases. Il n'était pas à l'aise sur ce sujet, il ne savait pas ce qu'il y avait après la mort et bien que cette question ne le turlupinait pas, il ne savait pas si Lisbeth allait bien, il ne savait pas si elle était heureuse, il ne savait pas si elle était revenue dans le corps d'un nourrisson ou d'un animal, il ne savait pas si elle errait toujours sur Terre telle une âme en peine ou si elle était tout simplement morte. Peut-être qu'il n'y avait rien après la mort, peut-être qu'elle était juste morte pour toujours et qu'à part ses restes en décomposition il ne restait plus rien d'elle. Cette idée était loin d'être réconfortante alors il l'a garda pour lui.

«On raconte que le contact avec un animal peux soulager de nombreux maux.»

Joignant les actes à la parole, le presque quarantenaire se décolla du canapé et rejoignit le vivarium dont il extraya le serpent. Il était serein, il manipulait très souvent le reptile à mains nue, l'animal était désensibilisé et ne possédait pas la moindre once de venin alors il n'avait pas peur.

«Elle est gentille. Elle ne te fera pas de mal. Elle ne mord même pas.»