Une jeune blonde observe l’homme allongé sous elle avec un petit sourire en coin, à la fois heureuse et fière d’elle. Il est rare, pourtant, que Dylan soit aussi heureuse dans sa vie, probablement car elle ne s’en donne pas les moyens et préfère fuir un bonheur qu’elle pourrait perdre plutôt que de le chercher et de se battre. Ce soir-là, comme beaucoup d’autres soirs, c’est l’alcool qui la rend heureuse. Elle ne se rend même pas compte qu’elle se penche sur lui, ses cheveux blonds ondulés effleurant le visage de l’homme. Ce n’est que quand leurs lèvres se rencontrent une énième fois qu’elle revient à la réalité et laisse échapper un gloussement de rire avant de se laisser tomber, nue, dans sur le matelas à ses côtés.

Ils se tournent sur le côté exactement en même temps pour se faire face. Leurs regards se rencontrent. Il n’a pas les yeux noirs, contrairement à ce que sa personnalité pourrait laisser croire — cependant, la jeune femme ne croit pas à cette façade mauvaise qu’il se plait à arborer, au contraire, elle le pense foncièrement bon, quelque part — mais marrons. Et sous certains angles, ils sont plus clairs, comme si, à ce moment-là, on pouvait entrapercevoir une personnalité plus douce. Pourtant, autour d’elle, ses proches n’ont pas été avares de reproches, surtout Dakota qui voit d’un très mauvais oeil leur relation. Depuis que les deux hommes ont compris que Dylan est le lien qui les unit, la tension entre eux est palpable à tel point qu’elle se sent parfois obligée de rester avec eux pour s’assurer qu’ils ne s’arracheront pas mutuellement les yeux. Hm ? Tirée de ses pensées par la voix grave d’Ezra, elle lève ses yeux bleus sur lui, qui s’est redressé au-dessus d’elle sur le lit.

Ses mots sont révoltants mais Dylan a l’habitude, quoi que ça ne soit pas une chose à laquelle il faille s’habituer. Elle le regarde fixement, déterminée. Tu sais, je préfère encore quand tu la fermes. Un sourire en coin, joueur. Qui te dit que je veux viser « plus haut », comme tu dis ? Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas être satisfaite d’être baby-sitter ? Sa main s’élève et vient caresser son menton. Quelque chose en elle l’empêche de réellement s’offenser ou s’énerver. Il la connait si peu, après tout. Un soupire s’échappe de ses lèvres.

J’ai pas envie de dépendre d’eux ou de me sentir redevable… Quand ils sont partis de la maison, on est restés proches mais c’est plus pareil. De toute façon, je suis très contente d’être baby-sitter. Mes employeurs sont très bienveillants, la petite puce est un amour et je suis bien payée. Sa main a glissé jusque dans le cou d’Ezra et elle laisse ses ongles courir à la base de ses cheveux, comme de petits massages pour le détendre. Ce qu’elle n’arrive pas à se convaincre d’avouer, c’est que ce métier lui donne l’impression d’avoir un enfant alors que c’est un bonheur qui lui sera interdit jusqu’à ce qu’elle trouve un homme qui l’aime et qui accepte d’adopter. Pourquoi tu t’en soucies ?

Depuis leur première nuit ensemble, Dylan a constaté que l’homme allongé à côté d’elle se détend de jour en jour avec elle, qu’il se permet d’être lui-même et d’essayer d’envisager d’autres points de vue que le sien. Elle se sent en quelque sort responsable et fière de ce changement et surtout de ce qui lui semble être une révélation. Comme si, petit à petit, Ezra laissait lentement tomber la carapace qui le protégeait au fur et à mesure de leurs conversations qu’elle apprécie tant. Les soirs où elle est avec lui, elle se sent moins seule, elle se sent exister aux yeux de quelqu’un, même si ce n’est que pour quelques heures. Ses yeux sur elle, ses mains sur son corps. Elle est vivante.

Dylan capte bien son regard qui oscille entre ses yeux bleus océan et ses lèvres qui s’étirent en un sourire à chaque fois qu’il parle. Avec lui, malgré son attitude, ses mots et tout son passif d’enfant riche n’ayant jamais connu les galères du commun des mortels, elle ne se sent pas jugée. Elle peut être elle-même. Ou presque. Tandis qu’il réfléchit, elle se plait à caresser sa nuque et à sentir les muscles de son dos se détendre. J’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi. Il est vrai qu’Ezra n’est pas comme les autres. Durant les années à travailler dans un bar à Miami, aussi modeste fut-il, puis dans un diner au bord de l’autoroute dans l’Oregon, elle en avait vues passées, des familles riches. Lui était différent.

Elle aime son ton joueur et ne manque pas de s’en amuser. Ses deux main se rejoignent dans sa nuque tandis qu’il se penche vers elle, jusqu’à s’arrêter au-dessus d’elle. J’aime quand tu la fermes si c’est pour m’embrasser. Dire ce genre de choses ne lui ressemble pas. D’ordinaire, elle serait toute rougissante, cachant son visage dans ses mains mais Ezra lui donne une confiance en elle toute nouvelle. Mais j’aime aussi cet interrogatoire. Elle se retient de lui dire qu’elle aime l’entendre se dévoiler, mot après mot, comme si elle ouvrait lentement la boite de Pandore mais sait que si ces mots quittent ces lèvres, il se rétractera et prendra probablement ses affaires pour s’en aller. Pour une fois qu’elle a toute une nuit à elle, la jeune femme aimerait en profiter. Quoique je ne savais pas que c’en était un et je n’en dirais pas plus sans la présence de mon avocat. Elle s’amuse avec lui comme une enfant.

Juste avant que leurs lèvres se frôlent, elle pose une main sur le torse d’Ezra pour l’en empêcher et lève vers lui un regard plein de malice. J’ai faim. Sans un mot de plus, elle se glisse hors du lit et se rhabille brièvement — sa culotte et le haut que le jeune homme portait avant qu’elle n’envoie tout valser dans la chambre — puis se dirige vers la cuisine. Elle n’est pas chez elle et n’importe qui ne se serait pas permis ce qu’elle se permet. Elle a fait de la cuisine son petit temple dont elle connait chaque recoin. C’est aussi dans leurs habitudes de se préparer à manger en plein milieu de la nuit, quand elle a le temps et ne doit pas aller travailler. Qu’est-ce que tu veux manger ?

Dylan s’échappe mais sent malgré tout le bout des doigts du jeune homme lui effleurer le bras et la peau. Elle est joueuse et prend un malin plaisir à le provoquer et le taquiner. Il sait très bien que venant d’elle, c’est fait sans la moindre animosité. Elle le fait uniquement pour le rendre fou. Fou de quoi ? Fou d’elle, probablement, lui hurle une petite voix dans sa tête qu’elle a tôt fait d’étouffer sous des coussins de déni. Et alors ? Depuis quand tu te couches avec les poules ? Dylan et ses expressions de vieilles. Une fois dans la cuisine, qu’elle s’est encore mieux appropriée que la sienne, elle jette un oeil au stock du frigo et aux placards. Elle sourit intérieurement. Pour quelqu’un qui n’aime pas faire la cuisine — et ferait probablement brûler l’immeuble s’il essayait —, il garde de plus en plus ses placards remplis. Dylan hoche la tête. Elle sait bien qu’elle n’est pas obligée de se montrer aussi attentionnée avec lui mais quelque chose la pousse à l’être. Elle hausse les épaules et tend la main dans le frigo. Quelque chose a capté son attention.

T’as gardé ça ? demande-t-elle en sortant un Tupperware à moitié rempli d’un gratin de pommes de terre au cumin qu’elle avait préparé pour eux quelques jours plus tôt. Elle se souvient parfaitement avoir mis les restes dans cette boîte au couvercle bleu pour qu’il puisse les terminer. Mais à ce moment-là, la boîte était pleine. Un petit sourire en coin étire ses lèvres. J’ai même pas besoin de faire la cuisine, en fait… marmonne-t-elle tout en ouvrant le Tupperware, tandis qu’Ezra ne répond pas, à priori plongé dans ses pensées, mais grimace quand l’odeur heurte ses narines. Oh si. Les restes partent directement à la poubelle et la jeune femme laisse tomber la boîte vide dans l’évier.

Tandis qu’elle commence à préparer, à la demande d’Ezra, un plat simple, à l’italienne, largement suffisant pour contenter la faim de Dylan, dont le ventre râle. L’interrogation de sa conquête la surprend. Son coeur rate un battement. A-t-elle vraiment bien compris ? Pourquoi pose-t-il cette question ? Son ton hâtif, elle ne sait pas quoi en penser. Elle se tourne vers lui. Il n’arbore aucune expression particulière et se contente de l’observer. Un long silence s’installe entre eux. L’eau bout tranquillement dans la casserole devant elle mais elle n’y prête pas attention. Pourquoi ? T’es jaloux ?

Bien sûr que non, elle ne fait pas ça avec les autres. Elle ne se sent à l’aise avec personne d’autre. Dès que le moment avec ses autres conquêtes est passé, elle se dépêche toujours de se rhabiller pour partir ou de les enjoindre à quitter son appartement. Elle attrape un paquet de pâtes et les verse dans la casserole. Le bruit étouffe ses pensées mais le silence revient trop vite. Je vois pas ce que ça peut bien faire, que je le fasse ou pas. C’est si important ?

Dylan lève les yeux au ciel avec un sourire en coin quasiment imperceptible. Elle serait bien incapable de répondre à cette question et l’évite par un simple silence. Il serait étonnant de voir un homme comme Ezra jaloux, lui qui se complait à voleter de filles en filles, telle une abeille dans un champ de fleurs – en beaucoup moins mignon cela va de soi. Certes, il a un côté attachant, et c’est peut-être la raison pour laquelle Dylan n’arrive jamais à lui dire non. Lui résister est quasiment impossible, sauf quand il s’agit de dissimuler ses émotions, comme lors de leurs petits jeux de questions-réponses. Une cuillère en bois dans la main, elle remue les pâtes lentement, pour les empêcher de coller, comme le lui a appris son père, chef cuistot de la maison. Elle secoue la tête, ses cheveux blonds toujours emmêlés qui encadrent son visage retombant sur son nez. Elle les écarte du bout des doigts. Non, ça n’y changerait rien. Ce n’est pas le genre d’Ezra de questionner sa sincérité. Il sait qu’elle est honnête et ne mentira jamais pour lui faire plaisir.

Sa manière de détourner la question, de ne répondre qu’à moitié, a le chic pour mettre Dylan sur les nerfs sans se rendre compte qu’elle fait exactement la même chose. Durant quelques instants, la jeune femme se contente d’un soupire tandis que son regard fixe les bulles qui remontent dans l’eau où les pâtes cuisent lentement. Sentant Ezra se rapprocher, elle dépose la cuillère sur le bord de l’évier et se tourne vers lui. Je ne suis pas énervée, répond-t-elle d’un ton doux en glissant un bras autour de la taille de celui-ci. Mais tu poses des questions bizarres, j’y peux rien ! On dirait un amant jaloux. Elle fait exprès de se répéter pour le taquiner mais n’en pense pas moins. Il a une attitude, ce soir, qu’elle ne lui connaissait pas. Délicatement, ses lèvres se posent sur sa joue en un baiser bref. Elle les laisse courir le long de sa mâchoire et, lorsqu’elles arrivent à son cou, Dylan laisse poindre le bout de sa langue qui effleure la peau de son amant. Ses bras s’enroulent autour de ses hanches. Elle le retient prisonnier contre elle, minuscule à côté de lui.

Il est plutôt évident qu’elle ne fait pas ça avec tout le monde. Il est bien le seul à recevoir ce genre de traitement de faveur. Elle ne saurait pas réellement expliquer pourquoi elle fait ça. Tout ce qu’elle sait, c’est que par ces petits gestes anodins, elle se sent un peu apaisée. Aller, continue. Pose-moi d’autres questions.

@Ezra Rosenbach

Dylan hausse les épaules. Normal qu’il ne les trouve pas bizarres, ses questions. Il est lui-même beaucoup trop bizarre pour ça. La jeune femme esquisse un sourire mystérieux. Il est vrai qu’elle répond souvent très vaguement aux questions la concernant. De plus en plus, elle se demande pourquoi il insiste tant pour apprendre à la connaître à ce point. Rien ne les unit pourtant, seulement des nuits passées ensemble lorsqu’elle n’a pas un enfant à garder. Rien que ça. Aucune entente commune entre eux. Ils ne sont pas réellement des amants, pas d’amour entre eux. Peut-être de l’amitié, certes. C’est ce dont Dylan essaie de se convaincre. S’il souhaite tant en apprendre sur elle, c’est à cause de l’amitié qui les unit. Probablement. Sans aucun doute. Ou presque. Cependant, elle ne trouve rien à répondre, sa répartie légendaire s’étant fait la malle au même titre que l’envie de partir le plus vite possible une fois leur affaire faite qu’elle ressentait au début de leur relation.

Un grognement mécontent lui échappe néanmoins. Son passé n’est pas souvent quelque chose dont elle se vante ou dont elle parle très facilement. Blottie tout contre Ezra, le visage pour l’instant dissimulé dans son cou, elle réfléchit. Il n’a pas tout à fait tort. Non seulement elle n’est pas obligée de tout lui raconter, mais elle n’est pas non plus dans l’obligation de lui parler des passages importants. J’aurais pas du te demander ça… marmonne-t-elle alors qu’il peut sentir un petit sourire s’étirer sur ses lèvres, posée contre sa peau. Lentement, comme si le geste était le plus pénible à effectuer, elle se détache de lui, le repousse presque, puis se retourne vers son dîner en préparation. Okay, je le fais, si tu le fais aussi. Et de toute façon, tu n’as pas le choix.

Sans la moindre hésitation à présent, et sans lui laisser le temps de protester – sa manière à elle de le piéger – elle se lance dans ses anecdotes. Juste pour que tu le saches, j’ai jamais fait quelque chose d’aussi bizarre que ça. C’est comme écrire une autobiographie mais à l’oral… Elle prend une grande inspiration et ajoute : Je suis née en Mongolie parce que mes parents sont des hippies qui se sont dit que voyager à deux semaines de l’accouchement serait une bonne idée. Euh j’ai… cinq grands-frères. Dakota, Devon, Danovan, Darenn et Damian. On vit tous séparément maintenant mais maman a gardé la grande maison familiale. Hors de question de parler du tragique accident de papa. C’est quelque chose dont la famille parle avec beaucoup de difficultés car le paternel était leur rayon de soleil. Le ciel n’a jamais plus été aussi bleu depuis. Quand j’ai déménagé, j’ai bossé un an à Disney. Princesse Aurore, c’était moi. Elle lui adresse un sourire charmant et bat des cils de manière exagérément innocente. Et puis j’ai été serveuse dans un bar à chats pendant plusieurs années mais le bar a fermé. Alors je me suis dit qu’un changement de décors serait sympa donc j’ai quitté le soleil pour venir à New York, où tout le monde est pressé et agressif et où il fait froid tout le temps. Je pense avoir très bien choisi. Elle sait pertinemment qu’elle n’a effleuré que la surface, que ce ne sont pas des détails qui intéressent Ezra et qu’il sera probablement insatisfait mais pourquoi ruiner un bon moment ? Et maintenant je garde l’enfant d’une famille débordée. Mais ils sont vraiment gentils donc c’est pas une si mauvaise chose… A toi, maintenant.

@Ezra Rosenbach