Autant l'admettre, la solitude pèse depuis le temps. Tu n'as eu qu'une relation depuis ta femme et encore, ce n'était que des prises de tête et du sexe, bien loin de la romance et d'un véritable amour quelconque. Si tu abandonnes ton corps à des coups d'un soir, ton ancien colocataire aura sans doute pris conscience que tout ça menait à un besoin plus profond. Un peu de tendresse, des bras dans lesquels te réveiller. Et à défaut d'avoir la personne parfaite, il avait au moins de quoi occuper tes soirées. Quelqu'un, un type rencontré uniquement sur photos. Quelques échanges puis par vos caractères respectifs et cette franchise que tu portes, les messages devinrent plus vulgaire, salaces, pour un public averti seulement. Et tu n'auras pas hésité à faire perdurer la situation, les envies en éveil de façon fréquente. Il savait quoi dire pour t'exciter, pour garder ton attention, pour te donner envie de plus tout en gardant une bonne dose de mystère. Et toi, au travers des messages, tu n'auras pas hésité à envoyer quelques photos. Peu révélatrices, entre un début de buste encore couvert par un soutien-gorge, une main glissée entre les cuisses rien que pour agacer les sens. De quoi lui donner un coup de chaud, le faire fantasmer juste assez, sans tomber dans la vulgarité pure. Tu as un minimum de classe après tout, Alex. Sauf que ce soir, tandis qu'il se met alors à t'envoyer des sms pendant que tu es tenue de te retrouver prise derrière le bar, tu ne sais plus tenir. Tu lui demandes de se ramener, de mettre à exécution tout ce qu'il promet de te faire, tout ce qu'il dit avoir envie de te faire subir. Tu succombes et tu casses ce mystère de relation derrière un petit écran de téléphone. Tu insistes pour qu'il accepte, trouvant toutes les phrases possibles pour qu'il délaisse son appartement et te rejoigne. Des promesses de le garder occupé toute la nuit, qu'il n'allait pas regretter. Des promesses folles et pourtant, tu étais bien prête à les mettre à exécution s'il se voulait aussi prometteur que par texto. Ton ancien colocataire avait raison: Il avait bel et bien réussi à occuper tes soirées, te retrouvant parfois à préférer lui écrire et t'occuper avec ta main ou t'abandonner à une douche froide pour te ressaisir que de réellement aller te satisfaire auprès de quelqu'un.

Tes iris se relèvent lorsque la porte du bar s'ouvre pour laisser place à un bruit d'extérieur en trame de fond, cassant la musique à l'intérieur. C'était une soirée calme, assez tranquille, alors tu te permettais de mettre les mains au bar pour servir quelques clients, accompagnée d'un fidèle employé. Mais ton attention se défait aussitôt de ta tâche lassante d'essuyer ces verres avec un chiffon quand tu le vois là, entrer dans le bâtiment t'appartenant. Il existait bel et bien, exactement comme ses photos et ce regard qu'il te lançait en s'approchant pourrait te faire fondre sur place, te donnant qu'une seule envie: Lui demander de t'amener dans un coin discret et te plaquer contre un mur pour mettre à exécution toutes les choses promises. Plus il s'approche, plus tu l'observes, le regard brillant de satisfaction visuelle, un sourire étirant tes lippes et c'est plus fort que toi, il y a ces dents qui mordillent subtilement ta lèvre inférieure.

Alors qu'il te saluait, qu'il te parlait de cette voix rauque, tu n'avais qu'une chose en tête et c'était de t'approcher, te pencher pour capturer ses lèvres tant attendues. Il y avait quelque chose de complètement excitant de l'avoir finalement là, en face de toi. Mais tu te contiens, tu gardes tes allures, tu inspires discrètement pour calmer tes ardeurs qu'il avait tant réussi à réveiller au travers des textos. « Bonsoir vous. » C'est doux, un peu taquin, haussant un sourcil alors que tu dérives la tête pour regarder la bouteille pointée, revenant vers Lonny. « C'est toujours plus agréable, ça aide à se mettre dans l'ambiance. » Tu te détournes afin d'attraper la bouteille et servir à boire, deux fois, histoire de l'accompagner. Gestes habituels, devenus fluides avec le temps même si ce n'est aucunement ton métier de base. Tu l'as appris, comme bien d'autres choses, afin de passer le plus incognito possible. Tu n'as aucun diplôme, tu as simplement appris avec les années à tenir ce bar en vie. Tu approches les verres vers lui, ramenant la bouteille à sa place. « C'est offert, bien entendu. Laisse-moi juste quitter mon poste et je suis à toi. Toute entière. » Il y a plein de sous-entendus dans tes paroles, d'autant plus la voix charmeuse qui se mêle à ta phrase, t'éloignant quasi difficilement, comme si tu n'avais pas envie de le faire, mais c'était nécessaire. Tu parles très brièvement à ton employé, lui donne quelques instructions de base sur la soirée puis tu pianotes sur une petite caisse à écran tactile et finalement, tu contournes le bar pour venir prendre place sur le tabouret à ses côtés.

Tu prends une gorgée du liquide alcoolisé, les jambes croisées, assise face à lui plutôt que face au comptoir. Et c'est plus fort que toi, tes doigts ne résistent pas alors que tu laisses une main parcourir son avant-bras. Délicatement, légèrement, un geste effleuré jusqu'à sa main, tandis que tu prends de nouveau parole. « Alors, pas trop déçu d'avoir brisé le mystère de ces échanges derrière nos écrans? » Et tu te fais si douce, Alex, charmeuse à souhait. Te voir ainsi faire, probablement que l'on ne te croirait pas que tu as buté un type il y a de cela quelques jours à peine. Buté jusqu'au sang, jusqu'à lui casser des côtes et lui faire des menaces de mort. Mais tu as toujours su dissocier ta part de vie illégale du reste. Tu l'as toujours fait, même avec ta femme jadis. Tu avais bien droit à de l'affection charnelle, non? Criminelle ou non, tu avais bien droit de t'abandonner à la beauté d'un homme, après tout. De flirter avec lui à outrance derrière un écran, sans te soucier des autres problèmes de ta double-vie. Il n'en avait sans doute pas conscience encore, mais vos échanges t'ont réellement distraite de tes problèmes, te permettant de te détacher de la pression que pouvait t'offrir cette vie de trafiquante. Et pour ça, rien que pour ça, tu lui en étais reconnaissante.