Fin juillet

Apparemment mes pseudos parents se rendent à des soirées mondaines presque chaque mois. Et certaines demandent la présence de leurs enfants « ayant l’âge » de participer à des « bals ».
Non, mais j’ai l’impression d’avoir été arracher à mon chez moi en France pour servir de faire-valoir et jouer les chimpanzés ! Je vous jure que j’ai de plus en plus de mal à rester civilisée au milieu des réceptions auxquelles assistent mes parents ou qu’ils organisent. Autant que je peux, je les fuis. Mais ce soir, je n’ai pas pu. Ma mère considère que ça va me socialiser… Je crois surtout que c’est en train de me conforter dans l’idée que ce milieu n’est vraiment pas le mien.

J’ai demandé à Jahed, il ne participe pas à cette soirée. En même temps, il n’y a que le gratin judiciaire ce soir ! Et je crois qu’il m’aurait fui comme la peste avec la présence de mon beau père.
Ce cher beau-père… Il est l’heure de partir et Monsieur m’annonce qu’il a embauché un garde du corps assez jeune pour me protéger et me servir de cavalier si je veux danser. J’hallucine ! Je boue de rage. C’est quoi ce délire ? Il veut gérer ma vie de A à Z ou quoi ? Je n’ai même pas le droit de choisir mes cavaliers de danse. En plus s’il croit que j’ai l’intention de me laisser séduire par un avocat, il est à côté de la plaque ! Je suis furieuse et lui crie dessus un bon moment. Je finis même par retourner dans ma chambre.
Et bien sûr c’est la cuisinière qui vient me chercher, pas ma mère... Cette dame est un ange avec moi et je n’ai pas le cœur à ce que mes parents la dispute de ma faute. Je commence à les soupçonner d’utiliser ce fait contre moi d’ailleurs.
Je finis par sécher mes larmes et je me remaquille. C’est léger, je ne suis pas experte du tout. J’applique les conseils de mes grandes sœurs de cœur et « dame smoothie », comme j’aime la surnommer, m’aide un peu aussi.

Lorsque je rejoins mes parents, je ne prononce pas un mot. Ils me parlent. Je ferme les oreilles. Aucun son ne me parvient. Jusqu’à ce que la cloche d’entrée retentisse. J’angoisse. J’ai la sensation d’être un bout de viande qu’on trimballe comme un trophée. Je me sens nulle et incompétente. Même mes parents pensent que je ne suis pas capable de me choisir un cavalier digne de ce nom.
C’est en train de cogitée que j’attends assise et anxieuse sur le banc du salon d’accueil. J’entends les pas de mon beau père résonner avec ceux de ma mère, et ce troisième pas qui m’angoisse.


J’ai beau porter une magnifique robe, je ne me sens pas forcément à l’aise.

« Cannelle voici Ryan Thompson, ton garde du corps et cavalier pour la soirée. Allons-y maintenant ou nous allons être en retard. »

Retard ? Tu parles, on doit bien avoir une demi-heure d’avance !
Je lève la tête, le regard noir bien préparé. OK j’ai les yeux marrons, mais je sais le remplir de missiles. Et mes pupilles s’assombrissent quand je suis en colère.

- Bonsoir !

Je grogne plus que je ne parle. Mais quand je regarde réellement l’homme qui doit m’accompagner, j’avoue que j’apprécie la vue. Ce mec est en effet assez jeune, largement moins de la trentaine. Mais je note surtout qu’il est vachement canon ! Potentiellement je vais peut-être arriver à faire des envieuses parmi les pimbêches de filles d’avocats, à défaut d’y réussir par ma prestance inexistante.
Un sourire se dessine, tout doucement, au coin de mes lèvres. Je ne suis pas du genre à jouer sur le paraitre et me mettre en avant. Mais puisque c’est uniquement à ça que sert ces soirées et que je n’ai pas d’autres choix que de m’y rendre, autant que je joue un peu aussi. Je déteste l’hypocrisie. Mais dans ce monde d’hypocrite, il n’y a que ça qui te sort du lot et t’aide à survivre.

J’avance et attrape le bras du jeune homme. J’ai bien conscience qu’il a été briefé par mon beau-père et que non seulement il empêchera tout séducteur de m’approcher, mais qu’ il ne me touchera pas non plus autrement que pour me guider sur la piste de danse. Et bien, nous allons voir cela…

- Quel âge tu as, Ryan ? On peut se tutoyer, j’espère que ça ne te gêne pas !

Tenue de Cannelle (couleur grise) et coiffure:

J’avoue que je suis en colère contre mon beau-père. Mais voir la tête de mon garde du corps a réveillé en moi un petit quelque chose au goût de vengeance. Je ne sais pas encore jusqu’où j’irai, ni ce que je vais faire, ni comment. Mais je sais qu’au moins la compagnie est agréable à regarder. Me pavaner à son bras et rabattre le caquet des pimbêches de filles d’avocats est déjà une première chose qui va me plaire.
Je ne suis pas douée pour séduire et paraitre, même si Valya et Odeline m’ont aidé à avoir un peu plus confiance en ma féminité et mon potentiel de séduction, ce n’est vraiment pas la chose avec laquelle je suis à l’aise. Je ne sais même pas comment interpréter le regard du jeune homme sur moi. Il apprécie ce qu’il voit ou pas ?
Bon je ne vais pas lui demander devant mes parents, sinon ça risque de tourner au scandale. Mais peut-être plus tard dans la soirée.

Commençons par collecter quelques infos sur mon cavalier.
26 ans ? Je manque de m’étouffer. C’est l’âge de Jahed. Mon beau-père se fout ouvertement de moi, là ! Je boue encore plus. Et mon sourire devient complètement coincé. Je monte en voiture et remet mes mains sur mes cuisses. D’accord, cet homme n’y est pour rien et je pourrais être plus aimable, mais là je dois canaliser ma colère, sinon je vais exploser avant même d’avoir participer à cette soirée.

- 17 ans… Et ça ne te gêne pas de servir de cavalier et barrage pour une gamine ? Tu fais ça souvent ?

Mon regard sur lui est tout sauf amusée, je le sonde. Je veux aussi qu’il comprenne que je ne suis ravie de la situation et que je ne vais pas jouer la gentille petite fille. Je ne sais pas où je vais, mais certains que je ne satisferais pas mon beau-père en faisant ce qu’il veut. Le paraitre, ce n’est pas pour moi.

- Tu sais danser au moins ? Valse, java, polka, fox trot, rock, sloowwwww….

Parce que ça serait le pompon que mes parents aient embauché un garde du corps qui n’est même pas capable de danser.
Et j’insiste avec un petit sourire narquois sur le slow, parce que j’ai bien l’intention d’essayer de le rendre langoureux, histoire de faire chier mon petit monde. Mais ça Ryan ne le sait pas encore.
Je n’ai pas été élevée dans cette mentalité de soirée mondaine, mais papa adorait danser et c’est bien une des activités qu’on partageait souvent. C’est lui qui m’a appris ou entrainé suivre des cours en vacances. C’était notre petit plaisir père-fille. Et ça me manque véritablement de ne plus partager cela avec lui. Mais au moins je suis capable de rivaliser avec les pétasses sur la piste de danse. Et surtout ça m’occupe.

C’est très étrange. Je suis passée d’un mode victime, trainée de force à une soirée pourrie où je ne voulais pas aller, à une position de force. Bon je ne suis pas du genre à dominer mon petit monde et le manipuler pour mon profit. Je laisse ça à mes avocats de nouveaux parents.
Mais je crois que ma spontanéité émotive se transforme avec ces douze derniers mois. Trop de peines, trop de coups. Ma timidité est toujours ancrée en moi, mon manque de confiance en moi surtout, mais la colère m’habite. J’en prend de plus en plus conscience. Et surtout je commence à comprendre qu’elle est un très bon booster. Prendre les rênes dans un moment particulier, parfois j’y arrive. Rien que ma rencontre avec Julian en est un parfait exemple.
Ryan, lui, c’est différent. On me l’impose. On m’impose tout. Sauf que je reste maitre de mes actes. Je les assumerais. Quitte à me retrouver enfermé dans ma chambre tout l’été. Rien à foutre.
D’accord le pauvre gars il ne fait que ce que son client lui demande. Il est payé pour me tenir compagnie. Non, mais vous y croyez-vous ? J’ai l’impression d’être un bout de viande, genre de luxe qu’il ne faut pas permettre au commun des mortels de toucher. Bah le bout de viande a une volonté propre !
L’idée n’est pas encore claire dans ma tête. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre dans cette soirée, donc j’aviserai au fur et à mesure. Mais ce qui est sûre c’est que je compte m’amuser avec ce beau gosse.

- Mon avis n’a rien à voir avec ça. Je fais mon métier et c’est tout. Et cela ne vous regarde en aucun cas.

Je lui réponds juste par un sourire. Mais pas le genre sympathique et conciliant. Non ! non ! Plutôt le sourire à la « chat du Cheshire » d’Alice aux pays des merveilles. Vous savez le genre de sourire qui te dis : « OK ! On va bien s’amuser ». Enfin moi je vais essayer de m’amuser rien qu’en pensant aux colères de mon beau-père. Tant pis si le beau gosse est mal à l’aise. De toute façon, je ferai en sorte qu’il n’ait pas de conséquences au niveau professionnel. J’ai bien réussi pour Jahed. Mon beau-père a bien conscience que je n’aurai aucun souci à étaler l’abandon de sa femme dans la presse, et aucune peur à me barrer de chez eux et vivre sous les ponts. Imaginez le scandale et l’impact sur sa réputation. Oui, pour mes pseudos parents, leur réputation c’est sacré.

J’ai bien noté qu’il continue à me vouvoyer. Je déteste ça et ce n’est pas près de calmer mes nerfs. Je ne relève donc pas et continue la conversation.
Je m’enquière sur les compétences de danseur de mon cavalier. Et cette fois c’est un vrai sourire gentil que je lui offre.

- Génial ! Un bon point pour toi ! Tu fais ce métier depuis longtemps ? J’ai du mal à comprendre ce qu’on peut aimer dans le fait d’accompagner les gens et les isoler des autres.

Ma vision est surement restreinte. Mais mon amertume ne va pas s’envoler comme par magie, parce que je suis contente de savoir que je vais au moins pouvoir danser.
D’accord, je compte bien danser pour coller mon cavalier. En plus, il est assez grand, je vais avoir fière allure à son bras. Même avec mes petits talons, il me dépasse d’un bon 10 cm. Faudra que je monte sur ma pointe des pieds si je veux l’embrasser, mais ça le fera. Finalement mon beau-père a parfois des idées que je peux positiver. J’applique les conseils de mes amis. Positiver les moments. D’après eux, il y a toujours une bonne raison pour que les choses arrivent. Bon ne me demandez pas de tout positiver, parce que j’attend qu’on m’explique où est le positif dans la mort de mon père. Mais l’accompagnement par Ryan peut tourner à mon avantage.
Je dois me forger en séduction. Je suis nulle. Je vais essayer de m’entrainer avec lui. J’ai bien conscience qu’il a l’air d’un pro incorruptible. Ce n’est pas grave, je ne suis pas Al Capone, je veux juste voir ce que je suis capable de faire et si ça peut porter ses fruits.
Oublier Jahed est un peu la mission impossible. Mais peut-être que si je me laisse approcher par des garçons, respectables et qui me respecteront bien sûr, je me sentirais mieux.

- T’as une petite amie ? Ou un petit ami ?

Après tout, peu m’importe ses penchants. Ce qui m’intéresse c’est l’image qu’on peut donner aux « prout prout » de la soirée. Il y aura bien une photo ou un journaliste qui passe dans le coin.

J’ai bien compris que le gars n’est pas super heureux de me servir de chaperon. Au moins on est deux à être d’accord que c’est ridicule. Par contre, il n’a pas l’air très drôle. Il garde une distance qui ne me plait. Ce genre de distance froide et professionnelle que je vois très souvent chez mes parents quand ils parlent de leurs clients ou quand certains de leurs collègues passent à la maison. C’est bien un truc que je ne comprendrais jamais : comment les gens mettent une barrière entre le pro et le privé ? Papa n’était pas comme ça. Et ne me demandez pas de l’être. Les animaux sont tout ce que j’aime. Ce sont les seuls êtres qui t’aiment comme tu es, sans conditions.

Ryan me renvoie la balle à chaque fois que je le sonde. Et il continue à me vouvoyer ce qui m’agace prodigieusement. Mais j’ai de la patience. Beaucoup de patience ! Du genre à attendre des heures qu’un écureuil du parc vienne manger mon bout de fruit et se laisse toucher du bout du doigt. Le chat du Cheshire aussi est patient. Vicieux et patient.
Bon d’accord je suis aussi une super impatiente pour plein de choses, mais il faut savoir utiliser les bons outils au bon moment. Alors puisque c’est son métier de faire garde chiourme, je le questionne dessus. Une fois qu’il a répondu, je dérive aussitôt sur sa vie privée. S’il n’a pas de petite amie ou femme, ça va me faciliter les choses. Pas que je crois qu’il puisse m’apprécier et se laisser séduire. Je vais surement m’y prendre comme un manche. Mais les pétasses de mon âge pourront m’envier puisque je pourrais leur inventer n’importe quoi sur ma relation avec ce beau mec.
Il faudrait qu’il apprenne à sourire, par contre.

La voiture s’arrête devant le perron de la maison qui accueille la réception. Je ne sais pas chez qui je suis, mais c’est un autre avocat de renom. Trop attractif !
Je soupire de dépit.

- C’est parti pour le cirque ! S’il te plaît Ryan, affiche un sourire. Fais-en sorte que les gens te croient heureux de m’accompagner ! Et évite de parler de moi comme ton boulot. J’ai déjà bien assez honte comme ça !

La main sur la poignée prête à ouvrir la portière de la voiture, je ne lâche pas mon cavalier du regard avant sa réponse.

Je sursaute quand un portier ouvre la portière à ma place. Je ne vais jamais m’habituer à ces choses de riches. Je sors et m’accroche au bras de Ryan. Je lui fais un sourire qui se veut rassurer cette fois. L’air de rien, je stresse comme une malade. Je n’ai tellement pas envie d’y aller.

- On ne peut pas s’échapper et aller sur la plage ?

D’accord il es payé pour m’amener à cette soirée et me surveiller comme si j’avais 5 ans. Je n’attends donc pas une réponse positive. Entrons dans le cirque.
Il y a déjà beaucoup de monde. Je repère vite quelques filles de mon âge qui m’ont agacé à la dernière soirée. Je leur fais un immense sourire énamouré et me colle plus à Ryan.

- On va au buffet ? Ou tu préfères danser ?

Tout en lui posant la question, je glisse ma main libre pour caresser son avant bras, m’assurant que les pétasses voient bien mon attitude.

S’il est aussi joyeux dans la vie, sa meuf ne doit pas rire tous les jours ! Et qu’est-ce qu’il m’agace avec son vouvoiement !

- Pas de faux petit-ami. Pas d’échappée. Pas de contacts trop rapprochés. Pas de franches rigolades. Pas de tutoiement. Heureusement que tu danses ! C’est l’éclate avec toi !

J’attrape fermement sa main et l’entraîne directement sur la piste de danse où se joue une valse assez lancinante. Je place mes bras comme il se doit, restant à distance, histoire de voir sa réaction. Je ne doute pas qu’il joue le jeu du partenaire de danse !

- J’aimerai bien que tu ne me considères pas comme « à surveiller ». Je ne suis pas une môme dont les parents emploient un babysitter pour leur confort. Ta mission c’est empêcher les hommes de m’approcher, et m’occuper toute la soirée ! Histoire que je ne meurs pas d’ennui en quelques secondes.

Vous voyez le petit sourire du Chat du Sheshire ? Et bien mon visage l’affiche clairement avec mesquinerie en l’instant. En vérité, que les pétasses pensent ce qu’elles veulent, ce soir je m’entraîne. A quoi ? A passer au-dessus de mes peurs de petite fille. J’ai un homme à ma disposition qui doit rester près de moi en toute circonstance. Oui, d’accord, ça fait un peu « homme objet ». Il n’a peut-être rien demander que d’avoir du boulot, mais tant pis pour lui. Il n’a qu’à pas bosser pour ma mère, et encore moins accepter un tel contrat !
La gentille petite Cannelle Lou qui suit les directives et est sage comme une image, c’est fini !
D’accord je suis incapable d’enfreindre une loi ou de me lancer dans un défi dangereux, mais je peux bien essayer de me dépasser pour ce qui est des relations humaines. Ce n’est pas comme si j’avais l’intention de perdre ma virginité avec cet inconnu. Pas question qu’il me touche plus que ce qui est correct. D’ailleurs je crois qu’il en serait bien incapable.

Alors que nous évoluons sur la piste, je m’empresse de franchir ses limites du professionnel.

- T’as une femme ? une copine ? un mec peut-être ? un chien ? J’espère que tu es moins coincé avec !

En vérité, je me fous royalement de la réponse. Je veux juste le faire chier. Il prend pour mon beau-père et alors ?

Je glisse mon pied entre les siens pour la rotation suivante, mais ces chaussures neuves dérapent. Je m’accroche par réflexe à son cou.

- Oups !

Je dépose un baiser sur sa joue en riant. Il va surement croire que je l’ai fait exprès. Et même si ce n’est pas le cas, ça m’importe peu qu’il le croit ou pas. Je m’amuse. Je me fous du regard des autres. Remise d’aplomb, j’attrape ses mains et l’entraine vers le buffet.

- Allez viens j’ai soif !

Le seul bon point de ces soirées : le champagne hors de prix et succulent ! J’adore ça. J’attrape deux coupes et en tend une à Ryan. J’ai bien conscience que dans ce petit monde « prout prout » je fais tout à l’envers. La bienséance ? Je m’en contrefous. C’est moi qui tends un verre à mon cavalier et pas l’inverse ! Je suis une femme indépendante et affirmée.

- Et bien désolé, mais je dois te surveiller. Si votre père voulait quelqu’un pour vous divertir c’était un escort ou un baby-sitter qui vous fallait. Moi je ne fais pas l’animation de gamine.

Je fulmine. Entre « votre père », « baby-sitter » et « gamine », je ne sais même pas ce qui me fout le plus en rage. Mais je garde mon calme apparent. Je n’ai pas l’intention de lui donner satisfaction de penser que je vais arrêter de l’emmerder. Il a accepté le job ! Il assume !
Je danse et l’entraine. Je le questionne et insiste à nouveau pour en savoir plus sur sa vie allant bien plus loin. Je me moque de lui surtout. Il me le rend bien mais c’est avec un grand sourire que je reçois sa critique.

- Je colle à mon rôle de gamine écervelée ! ça devrait vous satisfaire !

Mais je loupe un pas et mes chaussures glissent. Me voilà accrocher à lui pour me rattraper. Je ne l’ai pas fait exprès et je me fous qu’il croit le contraire ou non. Je lui décoche une bise avant de l’entrainer au buffet. Evidemment Monsieur Propret refuse le verre. Je descends ma coupe et prend la sienne.

- ça m’en fera plus pour moi ! A moins que ça aussi, vous voulez le maitriser ! je ne joue aucun petit numéro, Monsieur le sinistre. Je veux m’amuser à une soirée de merde ! C’est un crime ?

Je hausse les épaules et me détourne de lui. Mon regard tombe sur un jeune homme, la vingtaine je pense, qui a l’air de s’ennuyer ferme au cœur d’une discussion entre deux hommes la quarantaine. Surement deux avocats, dont son père. L’audace coule dans mes veines ce soir, alimentée par ma colère sans aucun doute.
J’ignore complètement Monsieur Grincheux et me dirige vers le mec pour poser une main sur son bras. Les convenances d’interruption de conversation façon « prout prout mondaine », je m’en tamponne le coquillard !

- Salut ! Moi c’est Lou, tu danses avec moi ?

Bon ok ! Je crois que je viens de le sauver d’un ennuie mortel quand je vois son regard pétiller. Il est assez mignon, ça ne gâche rien. Mais par contre j’aime moins son regard qui me détaille des pieds à la tête.

- Enchanté ! Moi c’est John-Alyster. Je serais ravi d’être ton cavalier pour cette danse !

Le prénom bien pourri ! Je retiens mon fou-rire. Il me tend son bras. Je le saisis de bonne grâce en oubliant le regard précédent qui m’a mis mal à l’aise.

- Non, mais je ne suis pas votre jouet, je suis là pour vous protéger. Alors vous buvez boire tant que vous voulez, ne vous plaignez si vous êtes malade.

Et gna gna gna ! Et gna gna gna !
Il est vraiment content de rien ce mec ! Je plains sa nana, sérieux ! Tant pis pour lui, le champagne est bon, ça me fait une coupe de plus. Moi, malade ? Je tiens bien l’alcool de ce que j’ai pu constater à la dernière soirée. Ça me rend juste plus gaie et plus intrépide !
Apparemment mon beau père ne lui a donné aucune instruction à ce sujet, comme sur le fait que ça soit moi qui invite un garçon à danser ! Et bien allons-y !

J’ai repéré John-Bidule dès qu’on a approché le buffet. Il faut dire que Monsieur Grincheux me donne tellement envie de rester à son bras que je cherche une échappatoire. Semer le serviteur de Blanche-Neige va être compliqué, mais je peux toujours trouver un moyen de le faire tourner en bourrique !

Bon d’accord, je ne dois pas avoir l’air très crédible puisque je manque d’éclater de rire quand mon nouveau cavalier m’annonce son prénom. Je n’ai retenu que John. C’est quoi la manie des riches de créer des prénoms composés bizarres ? Soit c’est ça, soit ils ont tous le même prénom de grand-père en fils ! Pathétique. Jusqu’à maintenant je n’étais pas fan du mien mais c’est toujours mieux que John-Bidule ! A qui d’ailleurs je donne mon second prénom, je ne suis pas complètement demeurée, quoiqu’en pense Grincheux !

J’essaie d’ignorer ce regard malaisant qu’à John sur moi et l’emmène sur la piste. Je dois admettre que Monsieur Grincheux est bien plus doué comme cavalier, mais bon je me contente de ce que je trouve. Comme la valse est lente, j’en profite aussi pour regarder autour de moi et repérer quelques jeunes hommes. Pas qu’ils me plaisent, je m’en contrefiche pour être honnête. Je veux juste savoir si je peux leur plaire, et surtout faire chier mon beau père et son garde chiourme.

- Tu es vraiment canon, Lou ! Je ne t’ai jamais vu avant, tu es venue seule ?

J’évite de relever le compliment, déjà que j’ai le feu aux joues. Garder mon sarcasme intact est un bon moyen de me motiver à rester dans les bras de ce gars. Oui, parce que clairement je ne suis pas à l’aise, mais j’assume.

- Non, j’ai la chance de suivre mes parents adoptifs et de me coltiner un babysitter. Tu ne m’aiderais pas à lui échapper ?

John se met à sourire façon chat du Sheshire. Je ne sais dire si c’est de bon augure, mais s’il est d’accord je prends.

- Evidemment ! Tu veux faire quoi ?

- Me barrer d’ici ! La plage n’est pas loin non ?

John m’offre encore un plus grand sourire. Il va finir par se décrocher la mâchoire, non ?

- Juste à côté, il y a un accès privatif pour y accéder du jardin. Je connais bien cette maison, je suis ton guide !

Une mauvaise idée de suivre ce garçon de nuit sur la plage ? Ça ne m’effleure même pas ! Je suis bien trop obnubilée par ma colère envers mon beau-père et son roquet de service

- OK ! Mais comment on le sème lui ?

Je désigne d’un coup de tête Ryan qui est toujours à la même place à me fixer. C’est là que les trois pétasses de mon âge m’offrent une occasion sur un plateau d’argent. Elles ont fondu sur Monsieur Grincheux comme les vautours qu’elles sont. Montées sur leurs échasses, elle lui bloque la vue. J’attrape la main de mon danseur de pacotille et détalle. Il a compris et prend la direction de notre fuite m’entrainant dans les dédales de couloirs. Je ris tellement l’adrénaline me monte au cerveau. John passe une porte, je jette un œil en arrière, personne. Je sais combien ces trois nanas peuvent être collante telles les abeilles sur un pot de confiture. Je souris, heureuse d’avoir semé le grognon. Beau gosse certes, mais Grincheux à souhait !
Mais pas le temps de réfléchir, John m’emmène par une porte vitrée qui donne sur le jardin. L’air un peu frais de la nuit me saisit quelques secondes, mais j’oublie vite. Nous continuons de courir. Un petit portillon se dessine au bout du chemin balisé par des petits lucioles au sol. John maitrise la fuite ! En un geste il ouvre le portillon et m’entraine sur le sable. J’ai du mal à tenir debout avec ces chaussures dans le sol meuble. John m’accroche à la taille et m’entraine sous un ponton. Il fait très sombre. Je vois la lune en croissant qui nous éclaire peu, mais je ne m’inquiète pas. Je suis morte de rire et m’accroche à mon collabo d’évasion. Il s’arrête près d’un poteau où il appuie mon dos.

Aucune méfiance. Je suis bien trop contente de moi ! Et les bulles du champagne commencent à inhiber mes neurones.
Je ne me rends pas compte du côté glauque de la situation. Pas avant que je ne croise le regard avide de John. Et je n’ai pas le temps de réagir qu’il pose ses lèvres sur les miennes. Je grimace, grogne et plaquant mes mains sur ses épaules j’essaie de le repousser.

- Quoi ? Ne me dis pas que tu as changé d’avis !

- Mais je n’ai…

Pas le temps de protester qu’il plaque à nouveau sa bouche sur la mienne. Je refuse ce baiser, mais il s’en fout et sa langue vient lécher mes lèvres, insistant pour que j’ouvre la bouche. C’est… BEUUUURKKK ! Il a une haleine de chacal en plus ! La panique me gagne vraiment. Je n’ai pas assez de force pour le repousser et je suis coincée contre ce poteau. De plus crier et maintenir mes lèvres fermées ce n’est pas compatible. Je détourne la tête, mais il a de la force et mon regard suppliant au bord des lèvres de le convainc pas d’arrêter. Une de ses mains glisse sur ma hanche, puis ma cuisse. Et là je comprends qu’il ne s’arrêtera pas à un simple baiser. Dans quoi je me suis embarquée ? Pourquoi il a fallu que ces maudits parents de pacotille me traine encore à une de ces soirées mondaines ?

Dans ce mec, j’ai juste vu l’opportunité de m’échapper de la surveillance du Babysitter. Et aussi de le faire enrager, puisqu’il a décidé qu’il ne serait pas sympa. Mais dès le départ je n’aimais pas le regard de John sur moi et j’aurai dû écouter mon instinct. Depuis quelques semaines, je commence à comprendre que quand je suis mon feeling mes relations avec les gens sont bien plus saines. Le problème, c’est que cette foutue soirée ne m’inspirait pas. Mon instinct me disait de rester sous ma couette avec un bon bouquin. Il me tarde d’avoir 18 ans et faire ce que je veux !

Au début ça m’amusait. Echapper à Ryan, suivre John sur la plage. Je m’imaginer enfin décompresser et juste profiter du bruit des vagues. Mais ce mec est un gros nase comme beaucoup. A peine arrivés près du ponton, il commence à vouloir m’embrasser et me toucher. Je le repousse comme je peux, mais il semble sourd à mes refus. Et la panique m’envahit. Ses mains sur moi me brûlent et je ne sais pas comment faire pour m’échapper de ses griffes. Jusqu’à ce que j’entende la voix dure de Ryan. Je ne vais pas dire que je suis contente de la situation, ni heureuse d’être « sa cliente ». Mais sur ce coup, je suis contente qu’il fasse bien son boulot. Je ne sais pas comment il m’a retrouvée aussi vite, mais je remercie ma bonne étoile. Je tremble comme une feuille et la main de Ryan sur mon bras me fait mal, mais elle m’assure d’être en sécurité avec lui. John proteste, mais Ryan joue les gros durs. Et je crois que ce n’est plus un jeu. John se barre à mon grand soulagement. J’allais au moins dire « merci » à Ryan, mais il ne me laisse pas en placer une et me traine de force comme une gamine de 5 ans qui a merdé à l’intérieur.
Je ravale mes larmes et serre les poings. Je ne suis pas fière de ce qui s’est passé, prenant conscience de mon imprudence. Mais ce n’est pas pour ça que je suis une poupée qu’on parque et qui doit juste écouter les remontrances.

Je devrais le remercier, mais les mots de Ryan quand, revenus dans la maison, il me fixe, me percute de plein fouet. De leçon ? Oui surement. Mais pas que ça ! Et ma peur combinée à ma panique explose sur lui.

- J’en ai rien à foutre de crever sur cette plage ! C’est bien t’as bien fait ton boulot, mon beau-père sera bien content de toi. Ne t’inquiète pas je lui venterai tes mérites !

Furieuse et le visage noyé de larmes, je m’éloigne de lui et file vers les toilettes. Je me fiche de croiser des gens qui cancanent. C’est là que je tombe sur ma mère. La dernière personne au monde que je veux voir en l’instant. Son regard me dit qu’elle est inquiète. Mais son visage impassible, me dit aussi qu’elle est plus inquiète de l’image que je donne devant ses pairs que de ma propre santé mentale. Elle m’arrête en me saisissant aux épaules.

- Cannelle ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

Elle essuie mes larmes et je me débats refusant ce contact qu’elle force toujours. C’est comme un rejet dans toutes les vaines de mon corps.

- Mais foutez moi la paix ! C’est ta faute tout ça ! Pourquoi tu veux me jeter en patures devant tous ces singes de la bienséance ?

Je ne doute pas que les singes s’offusquent aux toussotements que j’entends. Et ça me fait plus sourire que me mettre plus mal. Et au visage contrit qu’affiche ma mère, je sens que je l’ai touchée alors je continue.

- Il n’y a que des bourges mal embouchés ici. C’est à qui fera le plus parler de lui ! Entre les pétasses qui cancanent et draguent tout ce qui passent et les pervers violeurs, tu veux que je trouve quelle place exactement ? Je ne fais pas partie de ton monde et je n’en ferais jamais partie. C’est un monde pourri ! Et ton garde chiourme, tu peux bien le payer il a bien fait son boulot ! Mais plus jamais ça ! Plus jamais !

Je retire mes chaussures qui me torturent et lui jette à la figure. J’y ajoute mon collier. Si je n’avais pas aussi honte de mon corps, je ferai pareil avec cette foutue robe.

- D’accord, calme toi s’il te plait Cannelle. Monsieur Thompson va te ramener à la maison. Je suis désolée… Je voulais juste que tu t’amuses et rencontres des jeunes gens de ton age…

Elle se tourne vers mon babysitter.

- Est-ce que vous pouvez la ramener en sécurité et vous assurer qu’elle se calme à la maison ? On vous paiera ce qu’il faut. Dites-moi ce qu’il s’est passé s’il vous plait…

Je n’attends pas de de savoir ce qu’ils se disent de plus. Mes pieds nus sont déjà partis vers la porte de service. Je m’en fous de ce que les gens vont pouvoir médire. Je veux juste être loin de ce monde pourri. Comme une automate, je marche. Le macadam rugueux me ramène peu à peu à la réalité. Je ne sais pas ce que fait Ryan, je ne sais pas où est la voiture qui nous a amené. Depuis des mois la seule chose qui me fait du bien, en dehors des livres et des animaux, c’est marcher ou pédaler sans fin. Je ne sais même pas où est la maison, puisque je n’ai pas mon téléphone pour faire gps. J’avance loin de cette maison. De même je ne peux écouter ma musique, alors je me mets à chanter. En français pour me rassurer et me souvenir de papa.

-  J'arrive au bord du lac,
j'aimerai bien que tu sois là


Et dans ma tête, il n’y a qu’une image : papa. Et des tas de questions du genre « pourquoi tu m’as abandonnée ? » « pourquoi tout le monde m’abandonne un jour ou l’autre ? » « pourquoi je dois vivre ici ? » « pourquoi elle me force à vivre dans son monde qui n’est pas le mien ? » « pourquoi elle insiste pour me garder ? Elle n’a jamais voulu de moi »

chanson : "le lac" d'Indochine:

J’ai eu peur, je ne peux pas le nier. J’ai conscience que Ryan m’a sortie d’un mauvais pas, très mauvais pas même. Mais cette peur duplique ma rage. Rage contre ma mère et mon beau-père. Et j’ai explosé quand je me suis retrouvée face à elle. Surtout avec les réflexions de Monsieur donneur de leçon. J’en veux au monde entier en cet instant et je fulmine. Alors je marche. Si je n’étais pas pied nu, je courrais. Vers où ? Aucune idée ! Je ne sais pas où on est et sans mon téléphone pour faire office de gps je ne peux rentrer à la maison. Alors je marche, je pleurs, je chante. Je pense à la seule personne qui ne m’ait jamais aimée sincèrement et j’en crève de ne plus pouvoir le serrer dans mes bras.

J’en suis à attaquer une seconde fois la chanson que je chante tout haut quand une voiture se met à rouler. Inquiète je jette un œil, mais je reconnais celle qui nous a amené à cette soirée. Et j’ai raison quand la vitre se baisse et la voix de mon babysitter se fait entendre.

- Monte je te ramène chez toi. Ça sera plus rapide que d’y aller à pied.

Je lui réponds le plus sèchement possible.

- Je n’ai pas besoin que ce soit rapide. Donne-moi juste le chemin ! Je suis capable de rentrée à pied.

Et je le ferai sans aucun doute, même si mes pieds vont encore plus souffrir après le traitement que ces chaussures leur ont fait subir.
Mais Ryan semble décidé à me faire chier jusqu’au bout. Il ne me donne pas la route. Ma rage ne se tarie pas, mais la fatigue de toutes ces émotions contradictoires et éprouvantes est en train de tomber sur mes épaules comme une chape de plomb. Alors je réfléchis. Est-ce que ces cons valent la peine que je me bousille les pieds ? Les pieds en carafe je ne pourrais plus faire de vélo plusieurs jours, je ne pourrais plus aller au skate-park papoter avec la bande de potes que je côtoie de plus en plus, je ne pourrais plus aller m’acheter de nouvelles lectures, je ne pourrais pas aller au zoo. Non, ils ne valent pas la peine que je me prive de ce qui m’est le plus important.
Alors je m’arrête et j’attends que la voiture en fasse de même. J’ouvre la porte avant du passager. Hors de questions de faire ma riche qui monte à l’arrière et se fait conduire !
Je monte, attache ma ceinture, sans un mot ou un regard pour mon chauffeur. Je ramène mes pieds sous mes cuisses, pose ma tête contre la portière ouvrant la fenêtre à fond pour sentir l’air sur moi. Mon regard suit les lumières des rues. Ma tristesse me rattrape et me mine complètement. C’est d’une voix amère, mais faible que je finis par rompre le silence.

- J’imagine que je vais avoir le droit à une autre leçon de morale… ça doit être sympa de savoir se blinder des sentiments des autres. Bosser sans rien ressentir, surtout pas un minimum de compassion et d’attention sympathique, voilà un drôle de boulot. En tout cas, t’as l’air fait pour ça ! T’es parfait dans ton rôle !

D’accord ma rage me fait foncer tête baissée sans réfléchir. Mais je n’ai rien demandé. Je ne voulais pas aller à cette soirée. Je ne voulais pas de cette tenue et de ce cavalier chien de garde encore moins ! OK, j’admets qu’il m’a sortie d’un très mauvais pas. Mais je ne vais pas apprécier un mec qui n’a aucune sensibilité !
De mauvaise grâce, je monte dans la voiture, bien que j’aie une énorme envie de faire avaler ses sarcasmes à Ryan en continuant à pieds. Mais j’ai mal aux pieds à cause de ces foutues chaussures, je n’ai pas envie d’aggraver les ampoules.
Je ne dis rien pendant un moment. Peu m’importe ce que ce mec en pense. J’ai besoin de me poser. J’ai déversé ma peur et ma colère sur ma mère. Elle les mérite, à mon sens. Mais depuis que j’ai entamé ce chemin de retour, c’est une vague de tristesse qui m’envahit. Le manque de mon père remonte à la surface à une vitesse fulgurante. Je mets du temps à ouvrir la bouche. Mais l’amertume ne s’envole pas si facilement. Je complimente mon cavalier sur sa parfaite neutralité. Je sais bien qu’il y a parfois nécessité de ce genre de personne, que certains font des métiers qui demande un blindage émotionnel. Mais moi je ne vis qu’au fil de mes émotions. Je ne sais pas faire autrement. Et ce sont elles qui guident mes mots quand je reprends la parole. Cet homme me parait tellement hermétique à ce que je ressens que je lui dis, pensant que ça ne le touchera pas. Et je m’attends tellement à une énième leçon de morale que je commence à me dire que La Fontaine à de la relève. Au moins lui généralisait à tous les gens !

Mais Ryan me surprend. Tout au long de son discours je tourne le regard vers lui, surprise et touchée.  Comme il conduit, il n’a pas trop la possibilité de refuser mes gestes. Et surtout ils n’ont pas d’intention charnelle.

Me redressant et donnant du lest à la ceinture de sécurité, je viens pose ma main sur son cœur. C’est symbolique, je ne cherche pas ses battements. Mais mon regard lui fait comprendre que je ne m’amuse pas, ou peu. Puis je viens tirer ses poils de bras et sa réaction de protestation confirme donc son état.

- OK ! Tu es un humain et tu as des sentiments.

Me rasseyant correctement, je repose la tête contre la porte.

- Mais je déteste ton boulot. Je n’aime pas les gens qui restent neutres. Je ne fonctionne pas comme ça. Je n’ai rien à voir avec ma mère. Et je n’ai jamais voulu allez à ces soirées prout prout. Je n’ai pas d’amis là-bas et je n’en n’aurais jamais. Trop de venins et de persiflages !  

Je soupire de dépit.
Le reste du trajet se passe dans un silence un peu tendu, mais qui me repose émotionnellement. Arrivée à la maison, je fais un effort envers ce garçon. Je comprends qu’il n’a rien demandé. Même si je lui en veux de sa neutralité et d’avoir suivi les directives de mes pseudos parents, je vois bien que c’est une bonne personne tout de même. Avant qu’il ne parte et de monter me coucher, je prends un gâteau sous la cloche et lui tend.

- Tiens ! C’est moi qui les ai faits. Promis ce n’est pas empoisonné. Ryan, je sais que tu ne m’aimes pas, et moi je t’en veux de faire ce boulot. Mais merci pour m’avoir sortie des pattes monstrueuses de ce John.  

Déposant un baiser sur sa joue, je lui souhaite une bonne nuit et le laisse repartir.
Je passe la nuit à ruminer, enrager contre mes parents et écrire mes peines. Quand mes parents rentrent, je verrouille ma porte. Ma mère tente de venir me parler, mais je ne bouge pas et ne dit pas un mot.
Le lendemain, elle a fait sa mielleuse et m’a assuré que le fameux John sera sanctionné. Mais qu’est-ce que ça peut faire qu’il prenne une tape sur les doigts ? Ça ne l’empêchera pas de recommencer avec une autre qui n’aura peut-être pas la même chance que moi. Ce genre d’individu est sans scrupule.
Et puis surtout, je lui dis clairement que plus jamais elle ne m’emmènera à une telle soirée. Désormais je vis ma vie à ma manière, que mes sorties ou mes amis lui plaisent ou non, ça sera pareil. J’ai plus de jugeotte pour juger les gens qu’elle. Encore faut-il me laisser être moi et ne pas me forcer à vouloir être une autre. Et elle n’a pas nié. Elle n’a pas protesté. J’ai pris mon vélo et me suis rendue au skatepark où j’ai passé la journée à lire et regarder les skateurs. Certains m’ont même parlé et c’était chouette.