Deux semaines sans la famille bonheur sur le dos… Mon bonheur absolu !
Evidemment M’dame Smoothie, l’intendante-cuisinière, doit faire son rapport à ma mère presque quotidiennement. Mais elle m’aime bien et m’aide à m’adapter dans cette nouvelle vie, bien plus que ma mère. En même temps je connais l’une et l’autre depuis presqu’autant de temps ! Et le fait que j’ai trouvé un surnom mignon à l’une et pas l’autre montre tout mon attachement à ma génitrice…

Bref, M’dame Smoothie me laisse une vraie liberté : celle d’être la jeune fille de 17 ans que j’ai besoin d’être. Elle me laisse me promener à mon gré sans pour autant rentrer à 20h pile. Je ne fais pas dans le nocturne à vélo, mais tout de même, un vent de liberté souffle en moi. Et en observant cet après-midi des jeunes de mon âge rirent et s’amuser au travers la vitrine d’un café, ça m’a donné envie. Aout est un mois calme, comme partout ailleurs. Il y a moins de monde un peu partout. Certains des skateurs que j’admire beaucoup sont en vacances avec leur famille. J’étais un peu seule cette après midi au parc. Alors j’ai décidé de rentrer tôt et m’apprêter pour sortir. Oui ! Oui ! Je brave l’interdit de sortir le soir. Et surtout je compte sortir. Peut-être pas très tard. Mais au moins rentrer quand il fera nuit. Je veux braver mes angoisses. C’est une première pour moi de sortir le soir, seule, sans parents. Je n’ai pas non plus beaucoup d’amies de confiance pour sortir. Je ne veux pas déranger Odeline, et puis j’ai envie de m’affirmer. Me prouver que je sais vivre comme tout un chacun. Allez prendre un verre dans un bar, ce n’est quand même pas insurmontable !

Histoire de me sentir à l’aise, je ne fais pas dans l’extravagant. Un peu de maquillage, mes cheveux relevés en chignon un peu flou, je n’ai pas opté pour une jupe ou robe. Un jean c’est très bien. J’ai quand même choisi un petit haut dénudé aux épaules, pas trop décolleté, de couleur pêche dans lequel je me sens bien. Il cintre un peu ma poitrine et mes hanches, mais je ne le trouve pas vulgaire. Je l’ai choisi avec Odeline, donc j’ai confiance. Ce n’est pas aguicheur. Mes nu-pieds enfilés, un petit sac et ma veste noire, je me rends en taxi dans le Bronx. J’aime bien ce quartier. Je sais que ce n’est pas le plus riche de New York, et que mes pseudos parents ne l’affectionnent pas trop… En vrai, je le trouve vivant. Peu m’importe qu’il soit le quartier pauvre de la ville, d’autant qu’il est en voie de réhabilitation. Et c’est fun pour les habitants. Il y a plein de coin sympa, dont le zoo, des tas de commerces animés et sympathiques. Et j’y ai repéré quelques rues avec restaurants et bars qui m’ont l’air fréquentables. Le chauffeur de taxi me conseille un bar par trop grands et avec une ambiance « chaleureuse, musicale et typique ». Ce sont ses mots. Ça me plait alors je suis son indication et m’y rend. Je m’installe à une table près des fenêtres après avoir commandé un cocktail à base de champagne et framboise. Je ne compte pas me saouler, juste un verre, un petit peu de lâcher prise.
Evidemment j’ai pris un livre. Mon sac contient toujours un livre. Je le sors et le pose sur la table. Je vais d’abord observer ce qui se passe dans le bar. Découverte de la vie nocturne ! J’observe, j’apprends. Esprit analytique un jour, analyser mon environnement toujours !

Au bout d’un quart d’heure, un jeune homme s’approche tout sourire.

« Je peux m’assoir ? »

- Heu…

Je suis surprise et incapable de réagir. Le mec s’assoit et me tend la main pour me saluer.

« Je m’appelle Tyler. T’avais l’air de t’ennuyer ferme seule ! Il ne faut jamais laisser une jolie jeune femme s’ennuyer comme ça. »

- Je ne m’ennuyais pas, j’observais !

Ma remarque tire un grand sourire au gars. Peut-être que je devrais revoir ma façon de parler sans filtre. Mes capacités de petit génie ont l’art de faire fuir les gens ou de me ridiculiser à leurs yeux.

« Etudiante en sociologie ? Et c’est quoi ton prénom, belle petite fleur ? »

Je le fixe avec des yeux ronds. Déjà prédéfinir ce que je suis est la chose qui m’agace au plus haut point. Mais ce surnom ? D’où il se permet ça ? Qu’est-ce que je dois faire ?

- Heu… Non en éthologie plutôt !

Ignorer la seconde question, c’est mieux. Je n’ai pas envie de lui donner mon prénom.
Pour la première question, je doute qu’il comprenne le sous-entendu moqueur.

« OK ! Et tu m’attendais je suis sûre ! »

Il est sérieux ? Je suis de plus en plus mal à l’aise. Je saisis mon sac et mon livre et les plaque contre mon ventre.

- Heu… Pas du tout… Je préfèrerais rester seule, s’il vous plait.

« Apprends à me connaitre. Je suis sûre qu’on va bien s’entendre, petite fleur ! Je t’offre un autre verre ! »

Il lève la main pour commander. Je regarde autour de moi paniquée. Mon regard au serveur ne semble pas du tout l’interpeller.

- Merci. Non. Ça va aller.

Je me glisse sur la banquette pour me lever, mais il est plus rapide que moi. Je me retrouve assis au bord avec un mec pas net debout devant moi. Je commence réellement à paniquer.

« Allez ! Ne fais pas ta farouche ! Aucune fille ne vient seule dans un bar sans l’intention de se trouver un mec pour la nuit. »

OK ! Là je suis en panique complète. Je secoue la tête les larmes me montant aux yeux. Pour le coup, je me sens comme une gamine de douze ans prise au piège. Je repasserai pour une sortie d’adulte assumée…

- Laissez-moi...

Ma voix supplie l’homme dans un murmure. Je dois absolument contrôler ma panique et reprendre la maitrise de la situation.

La panique me gagne vraiment face à cet homme. Il est insistant et ces derniers mots me font clairement peur. Mais pourquoi je suis sortie à 21h seule dans un bar ?
Bein, parce que je n’ai pas d’amis pour sortir, que je n’ais pas « l’autorisation » de sortir le soir, que quoiqu’il arrive je reste une enfant perdue. Quoique je fasse pour m’affirmer, je retombe toujours dans l’incapacité de me démerder seule.

Alors que le mec me colle et m’empêche de partir, une fille m’accoste. Non elle m’embrasse ! Pas une bise, non lèvre contre lèvre. Je suis tellement stupéfaite, que ça stoppe la montée de panique qui me prenait. Je ne sais pas comment réagir. Je la regarde. Elle est sûre d’elle. Je lui envie ça immédiatement. Mais je m’interroge. Et surtout la panique revient au galop. Elle aussi a des idées peu recommandables au moins de 18 ans (oui ok, là l’aspect « moins de 18 » m’est utile !). Ces paroles me choquent mais ont au moins le mérite de faire fuir le dragueur.

La fille s’assoit devant moi avec le sourire. Elle ne tente aucun autre contact. Ses excuses me rassurent enfin. Presque. Disons que c’est en bonne voie. J’acquiesce au moins de la tête et attrape ma coupe que je descends d’une traite. ça me calme un peu.

- Je crois que ça va aller. Je… Merci… Enfin… t’as des méthodes spéciales pour repousser les lourdauds !

J’esquisse un sourire. Mais j’ai toujours le cœur qui bât la chamade. Et quand les doutes s’instillent en moi, ils sont persistants.

- Je peux t’offrir un verre pour te remercier ? Enfin, t’es sûre, hein ? Tu ne me dragues pas ? Parce que ce n’est pas mon truc les filles, ni les mecs lourdauds. Et de toute façon, mon cœur est pris et je ne suis pas intéressée par ce genre de relation d’un soir.  

Les choses sont dites. Je repose mon livre et mon sac sur la table en signe que je veux bien me poser un peu avec elle. Enfin si elle ne m’a pas menti. Elle semble gentille et honnête, mais je viens de me rendre compte que je n’ai aucune connaissance pour me défendre dans le monde des soirées, alors je reste sur mes gardes. Ce lourdaud a réveillé toutes mes alarmes internes de protection.
Finalement c’était peut-être plus drôle de m’amuser au bras de ce garde du corps, que de sortir seule comme une ado en manque de sensations mais incapable d’assumer.

Je peux au moins accorder du temps à celle qui m’a sortie du pétrin. Ça ne m’empêche pas de rentrer dans une heure, comme je le prévoyais.

- Je m’appelle… Lou… Lou c’est bien. Appelles-moi Lou. Et toi, tu t’appelles comment ?

Oui prudence reste mère de sureté. Un pas à la fois vers la confiance.

Ce soir, je crois que je vais apprendre plein de choses sur les soirées de jeunes. J’ai bien conscience que j’ai du retard sur les filles de mon âge à ce sujet, mais ce n’est pas pour ça que je n’ai pas envie de sortir, danser, m’amuser.
Initialement je voulais juste m’installer dans un coin et observer. Mais ce lourdaud en a décidé autrement. J’ai eu peur. Il ne me lâchait pas. Mais la demoiselle qui est intervenu a fait fort. C’est la première qu’une fille m’embrasse. En même temps, c’est seulement la seconde fois qu’une personne m’embrasse. Ce n’est pas glorieux pour une fille de 17 ans, mais ça je ne compte pas lui dire. Je m’empresse de mettre les choses au clair bien que j’aie un peu de mal à retrouver mes esprits.
Mais de bonne grâce, je propose d’offrir un verre à la jeune fille. Au moins, j’aurai un peu de compagnie amusante avant de rentrer.

OK je la fixe avec des yeux ronds quand elle avoue apprécier les relations d’un soir, même si ce n’est pas avec le lourdaud de tout à l’heure. Là ça me dépasse ! Je suis peut-être trop nunuche, trop romantique, trop gamine. Mais je n’irai jamais dans le lit d’un mec sans l’aimer.
Je commande deux cocktails sans alcool et j’évite le débat sur ces mecs d’un soir en me présentant. Enfin, en donnant mon second prénom c’est mieux. J’ai retenu la leçon, je dois être prudente.
La jeune fille se présente à son tour. Mais elle me renvoie directement dans mes défauts de petit génie asocial. Je baisse les yeux de honte et soupire.

- Je suis si transparente…Oui, je n’ai pas l’habitude de sortir… Ici ou ailleurs. Mais je voulais essayer. Tu viens souvent, j’imagine ?

Le serveur pose nos verres et je le paye.

- Tu sors souvent le soir ? T’es déjà aller en boite ?

Je sais bien que je n’ai pas l’âge requis pour sortir seule, mais j’ai bien le droit de prendre des renseignements en prévision. Cette fille a l’air sympa, et puis surtout habituée à ces soirées. Elle doit pouvoir m’apprendre quelques trucs. Ne serait-ce que les endroits recommandés pour s’amuser ! Danser, j’aime danser !

La surprise passée, j’essaye de me montrer courtoise et sociable. Sauf qu’à mon habitude, je suis une pile électrique qui s’emballe dans les questions pour tout comprendre. Analyse, comprendre, détailler. C’est ça que je sais faire le mieux. Sauf que ça me porte souvent préjudice dans les conversations avec les humains. Et là encore, je ne suis qu’en attende d’apprendre à agir comme une fille de mon âge : sortir, m’amuser, danser, peut-être faire des rencontres (pas des lourdauds hein ?!). Bref ! J’assomme mon interlocutrice de questions et elle le prend mal. En même temps, je n’ai parfois (souvent ?) aucun filtre. Des questions qui me paraissent anodines deviennent inquisitrices pour certains. Le pire, c’est qu’une fois que je prends le temps d’y réfléchir, j’ai conscience que si on me les posait je réagirais aussi mal. Mais voilà, quand mon impulsivité prend le dessus, c’est mon image d’asocial qui s’affiche aux gens.

Je pique un fard à la réaction de Shana et reporte mon regard sur mon verre.

- Pardon… Je ne voulais pas être indiscrète… Je ne… Enfin je ne sors jamais le soir. Je voudrais. Mais je ne sais pas comment m’y prendre. Je lis beaucoup, c’est mon refuge. Mais ça ne m’aide pas à avoir des amis. Je voulais juste un exemple… Tu sembles à l’aise ici, j’aimerais être ainsi. Pourquoi tu ne serais pas un exemple à suivre ? T’as rembarré ce mec avec une telle facilité ? Jamais je n’aurai osé faire ça !

Je porte enfin mon verre à mes lèvres. J’ai la bouche tellement sèche, que je vais finir par cracher mes mots. Intérieurement, je prie pour que Shana ne soit pas contrariée au point de quitter notre table. Déjà parce que je reste persuadée qu’elle peut m’apprendre des choses. Ne serait-ce que cette assurance qu’elle affiche, ça me rassure. J’aimerai bien paraitre un peu plus ça. Et pas la gamine fragile que tout le monde s’efforce de mettre dans un petit coffre-fort en béton armé et verrouillé.

Je relève la tête et regarde Shana dans les yeux. J’y met toute la conviction du monde.

- Je te posais ses questions, juste pour savoir ce qu’une fille normale fait. Et comment ça se passe en boite. Tu peux vraiment danser toute une nuit ?

OK ! Il y a de grande chance pour que Shana me prenne pour une folle échappée de l’asile. Quelle fille de 17 ans n’est jamais sortie en boite avec ses amies ? Je dois être la seule sur Terre, non ?

Je me sens godiche et honteuse, encore une fois. Tellement pas douée pour tenir une conversion normale avec des jeunes de mon âge ! Je m’excuse. Enfin j’essaie. J’explique à Shana les raisons de mon interrogatoire. Finalement je ne suis pas bien sûre de ne pas continuer à être inquisitrice. Ma dernière question posée, j’attends. Les mains serrant mon verre, j’angoisse. S’il y avait possibilité de me faufiler par un trou de souris, je tenterai peut-être l’évasion. Ou pas. Parce que j’aimerai bien quand même qu’elle me réponde. Elle a l’air de maitriser l’art de sortir le soir.
Shana prend son temps. Mais reposant son verre elle se penche vers moi. Le sérieux de son visage m’inquiète. J’ai l’impression d’être une gamine de cinq ans qu’on va gronder. Ça craint trop ! Même si je dois admettre que c’est un peu ça. Je ne suis jamais sortie avec des amis, de jour comme de nuit. Je n’ai jamais eu de vrais amis, comme Ode par exemple. Alors même si ça ne me plait de me retrouver dans la peau de cette gamine qu’on gronde, j’écoute religieusement chaque mot prononcé par la jeune brunette.
Et finalement je souris. J’aime bien sa façon d’aborder les choses. Faire ce que j’ai envie. Mais c’est justement ce qui m’amène ici ce soir ! J’allais lui répondre quand elle se redresse contre son dossier de chaise, mais elle rebondit cette fois sur ma remarque concernant le mec et sa façon de l’avoir dégagé. Et là… Bah OK ! Je grimace car je ne peux pas nier que je n’ai pas vraiment préparé cette sortie comme il faut. En même temps, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Et clairement je n’ai pas du tout anticipé ce genre d’énergumène. Il aurait fallu que je sorte avec un ami pour me sécuriser. Oui, mais qui ? Ce n’est pas comme si les amis de mon age se bousculait au portillon. Oui, parce que soyons clair : il est hors de question que je sorte avec un mec bien plus qui fasse office de babysitter. J’ai déjà donné ! En vérité je n’ai pas beaucoup d’amis à appeler pour sortir prendre un verre. A part les skateurs du quartier, mais je n’ai même pas leur numéro de téléphone.
Je réponds avec honnêtement à Shana, et la grimace sur mon visage n’est là que pour admettre mes torts.

- Tu as raison. Mais voilà pourquoi je te pose toutes ces questions. Je n’anticipe pas les problèmes de ce genre. Et je n’ai pas de copine ou de connaissance pour m’accompagner. Je voulais juste prendre un verre dans un bar la nuit. Au moins une fois, avant que mes parents ne rentrent. Je suis pathétique, je sais…

C’est un grand soupir de dépit qui s’échappe de ma bouche.

- Franchement je t’envie d’avoir pu tester ça à 17 ans ! Je n’ai jamais gouter d’alcool fort, encore moins un joint ou une simple clope ! Et si tu veux mon collier, il n’y a qu’à demander.

Je hausse les épaules pour lui signifier que ce collier n’a aucune importance. Je ne doute pas qu’il fasse un certain prix. Ça m’étonnerait que mes pseudo-parents aient acheté de la pacotille. Ils me l’ont donné pour la soirée mondaine où j’ai rencontré Jahed. Mais en vérité je n’y attache aucune valeur. Et ce n’est pas comme si je manquais d’argent. Si cette fille en a besoin, moi ça me parait normal de lui donner si ça lui donne un peu de verdure dans le pré de son quotidien. Je lui souris naturellement.

- Tu ne veux pas m’apprendre les trucs à faire et ne pas faire pour sortir le soir ?

Pas sûr que ma demande fasse moins pathétique, mais elle sort du cœur !

J’essaie d’être cordiale et avenante, mais je me sens tellement godiche et pas à ma place que c’est difficile. Surtout que Shana a bien cerné mon décalage avec cet environnement. Et bien sûr c’est ma curiosité et ma manie d’assommer les gens de questions qui refait surface et rend les choses encore plus compliquées. J’ai l’exemple typique de mes relations avec les gens. Je veux m’améliorer et apprendre alors je questionne, sans filtre. Et les personnes en face se sente agressée par ma liste de questions, qui en plus peuvent paraitre intime. Le problème c’est qu’une ou deux heures plus tard j’analyse bien les réactions qui ont eu lieu. Mais sur le fait, je me sens tellement mal à l’aise, jugée et incomprise que ça n’arrange rien.
Je ne suis pas sûre que Shana mesure à quel point je suis paumée dans ce monde, en général. Mais je vois bien que je l’ai braqué en lui disant que je l’envie. Elle semble limite en colère et je ne sais pas trop comment réagir.

- Mais je ne…

Je m’arrête et la laisse continuer. Je voulais lui dire que je n’ai aucunement l’intention de me saouler à la vodka ou tester la drogue, mais ce n’est peut-être pas la peine d’insister. Je l’écoute et je vois bien que je la choque en lui demandant de m’apprendre les trucs qu’une fille de mon âge doit savoir pour sortir. Avant j’avais au moins Théa qui m’aidait à trouver mes repères dans ce monde qui me dépasse. Maintenant je n’ai qu’une mère autoritaire. Et si je l’écoutais je resterai enfermé dans ma chambre à vie.

« La première chose, arrête de te croire nulle et d’envier la vie des autres. On m’a appris il y a cinq ans qu’on pouvait être maitre de notre vie si on s’en donnait les moyens et c’est ce que j’essaie de faire aujourd’hui. »

Je souris. Bon pour la première partie « me voir plus positivement » c’est un travail de longue haleine. Mais pour le reste je suis bien d’accord. Il semble qu’on ait au moins une même vision de la vie. Mais la seconde suivante je grimace et rebaisse les yeux de honte. Ne pas montrer que je ne suis pas à l’aise… Je fais comment ? Je suis incapable de mentir. Ça se lit sur mon visage.
J’écoute avec intérêt les propos de la jeune femme. Parler plus fort, me lever. Je note ça dans ma tête. C’est tout l’inverse de ce que je fais naturellement, parce qu’on me demande toujours de taire ma spontanéité et d’être discrète. Peut-être bien qu’ils ont tort. En même temps, les adultes jusque maintenant ne m’ont pas vraiment aidé à être à l’aise dans leur monde, hormis Julian.
Penser à lui me rappelle qu’il me trouvait bonne comédienne. C’est vrai que ça m’avait beaucoup amusé cet instant où il s’est fait passer pour mon oncle célèbre qui connait Spielberg. Peut-être que je devrais penser comme ça, me considérer comme dans une scène, un jeu. M’amuser et être moi.

Shana me rappelle à elle quand je vois sa main saisir son verre pour le vider. Et là elle me surprend vraiment. Alors que je pensais qu’elle ne m’aiderait pas plus, que je l’avais vraiment contrarié, elle me tend son numéro de téléphone. Je la fixe un peu hébétée. Pas que je ne veux pas échanger nos téléphones, mais je suis un peu vexée qu’elle veuille devenir mon garde du corps ou babysitter. C’est un mauvais souvenir qui revient à moi. Je serre le poing sous la table pour éviter d’exploser la colère qui monte en moi. Et je fais bien. Shana semble moins directive que ce Ryan, et pas dans la même idée d’aider une personne. Peut-être bien qu’on peu s’entendre.
Avoir confiance en moi. Ne pas me dévaloriser.

Je soupire de dépit et desserre mon poing. Je saisie mon téléphone et lui tends.

- Je comprends Shana. Merci. Mais ce n’est pas si facile que ça. Je ne veux pas sortir pour me défoncer ou me saouler. Je suis une adepte des jus de fruit. Bon d’accord j’avoue que j’ai un faible pour le champagne, mais bon c’est plus qu’occasionnel.

Je souris en récupérant mon téléphone. Je lui envoie un sms pour qu’elle ait le mien, puis fourre mon tel et mon collier dans mon sac.

- J’ai 17 ans, mais c’est comme si j’en avais 12 niveau connaissance de ce que c’est que sortir avec des copines, prendre un verre dans un bar, sortir en boite. Je suis désolée je ne voulais pas te contrarier quand j’ai dit que je t’enviais. C’est ta liberté d’agir, ta force de vie et ta force de caractère que j’envie. J’aimerai montre de l’aisance et de l’assurance. Mais je ne sais pas faire ça.

Je regarde autour de moi et me rend compte que personne ne fait attention à nous. Peut-être bien qu’on a l’air de 2 copines qui prennent un verre ensemble. J’en souris de satisfaction.

- D’accord ! Je n’assure pas un iota pour ma sécurité. Ce n’est pas nouveau. Mais bon. Parler fort, m’agiter, attirer l’attention, embrasser la première nana qui passe. J’ai bien compris. Je saurais faire la prochaine fois qu’un poivrot m’embête. Tu sors souvent seule, toi ? Tu n’es pas venue avec des amis ? J’aurais bien aimé venir avec un ami, ça m’aurait donné plus d’assurance. Mais ils sont tous bien plus vieux et me chaperonnent comme une petite sœur. Mes parents, eux m’auraient mis dans les bras d’un babysitteur-garde du corps. La honte totale. Et je n’ai pas osé demander à des jeunes avec qui j’ai fait connaissances récemment. J’aurai peut-être dû...

Je grimace en me rendant compte qu’au pire je prenais un non pour ce soir, mais que peut-être ça n’aurait pas changé leur attitude la journée au skatepark.

Je rougis de honte. Je dois encore avoir l’air pathétique. La fille qui n’a pas d’amis avec qui sortir. Je n’ai pas peur de sortir seule en fait. J’ai juste envie de rire et danser, pas rester seule dans mon coin. Mais je n’ai pas non plus envie de tomber sur des sales mecs.

Voulant détendre un peu l’atmosphère de la conversion et me sentir moins gêné de tous mes défauts de gamine pas mature pour les sorties, je me penche vers Shana en souriant. Je chuchote pour ne pas être trop indiscrète.

- Je peux te poser une question sur ta tenue ? C’est juste une question pratique. Je te trouve super jolie. Mais comment tu fais pour marcher avec des talons ? T'as pas mal aux pieds ?

Voilà bien un accessoire féminin qui ne me plait absolument pas. Rien que les petits talons que ma mère m’a fait porter à cette fameuse soirée mondaine que je préfère oublier, m’ont bousillé les pieds pour deux jours. Alors des talons comme Shana… Je ne sais déjà pas si j’aurai fait deux pas avec !
Ma question est une vraie question pour comprendre, mais j’espère aussi que ça va détendre Shana comme moi, en espérant que je n’ai pas encore été trop loin dans l’indiscrétion.

« Je ne dis pas qu’il faut bannir l’alcool mais n’envie pas la vie des autres. Tu dois rester toi-même.»

J’acquiesce en lui souriant. C’est tout ce que je souhaite. Etre moi-même et qu’on m’accepte comme telle ! Et c’est ce que je fais en lui expliquant que je n’ai aucune expérience des « soirées entre amis » ou « sorties le soir ». Depuis quelques mois, j’ai quand même plus d’amis sincères que ces deux dernières années. Sauf qu’ils sont soit connus, soit très occupés, soit bien plus âgé et agisse toujours en protection avec moi.  J’apprécie l’écoute de Shana et à son tour elle m’en dit un peu plus sur elle. Je suis surprise de l’écart d’âge avec sa meilleure amie. Mais j’en souris. Finalement avec Ode et Théa c’est un peu le même écart d’âge. L’air de rien ça me rassure et je me sens moins « à part ».

« Tu veux un autre verre ? »

J’acquiesce et commande un sirop simple de grenadine au serveur. J’ai déjà pas mal de sucre dans le sang, je vais finir surexcitée et être incapable de dormir.
Je suis trop sérieuse là ? Hum… Peut-être ! Mais je suis moi. Une étape à la fois !

Une fois le serveur reparti et nos téléphones échangés, je me penche pour chuchoter une grande interrogation de fille à ma nouvelle amie. Les talons ! Engin de torture, selon mon point de vue.
Et finalement Shana ne dément pas ce que j’en pense. D’accord, je trouve que ça rend très joli, même sexy, un certain nombre de femme. Mais ça en vaut vraiment le coup ? Quand Shana conclue en m’avouant qu’elle rentre souvent pied nu, chaussures en main, je ne peux pas m’empêcher d’éclater de rire.

- Tu me rassures ! C’est comme ça que je suis rentrée chez moi la dernière fois. Quoique ! Moi, j’avais balancer mes chaussures sur ma mère. Mais je suis rentrée pieds-nus.

Je lui souris avec toute ma spontanéité et gentillesse innée. Finalement, Shana m’a appris des choses dont je n’avais pas conscience. Et surtout, avec cette histoire de talons, je ne me sens pas différente. Pourtant je la trouve super jolie, comparée à moi. Mais bon ça, j’évite d’aborder le sujet.

- Tu es étudiante ? Ou tu bosses peut-être ? Moi je reprends mes études en septembre pour devenir soigneuse animalière. Deux ans d’alternance au zoo du Bronx. J’ai hâte.

Cette fois j’ai réussi à contrôler ma soif de savoir et ma manie d’enchainer les questions. Et j’ai appliqué ce que Théa me disait souvent. « Si tu veux savoir quelque chose sur quelqu’un, pour le mettre à l’aise avoue lui cette même chose à ton propos. Ça aide à établir un contact de confiance. » C’est un peu le principe du donnant-donnant. En soi, je comprends bien l’idée, c’est juste que je ne me trouve tellement pas intéressante que ça ne me vient pas spontanément de procéder ainsi.

« Tu me rassures ! C’est comme ça que je suis rentrée chez moi la dernière fois. Quoique ! Moi, j’avais balancer mes chaussures sur ma mère. Mais je suis rentrée pieds-nus. » J’étais bien placée pour savoir que les relations avec les parents pouvaient ne pas être simple mais je n’avais pas envie de le lancer paraitre. Je me contentai alors de sourire et de boire une gorgée de ma boisson.

Lou reprit alors la parole, me posant une nouvelle question, plus posément cette fois-ci en revanche. « Tu es étudiante ? Ou tu bosses peut-être ? Moi je reprends mes études en septembre pour devenir soigneuse animalière. Deux ans d’alternance au zoo du Bronx. J’ai hâte. »

« Je suis serveuse dans un restaurant, je n’étais pas faite pour les études. » lui répondis-je avant de poursuivre. « C’est sympas ça soigneuse animalière, et c’est pas trop difficile ? » l’interrogeai-je. Je me demandais d’ailleurs si les études ressemblaient aux études de médecine ou bien si c’était totalement différent.

« Tu vois, tu es déjà plus calme que tout à l’heure et je doute que cela ne vienne que de ma baguette magique. Au fond de toi, tu sais plus de choses sur les codes sociaux que ce que tu crois. » ajoutai-je en posant une main sur la table. Elle semblait plus à l’aise et c’était déjà beaucoup plus agréable que le début de notre conversation. Comme quoi, il ne fallait pas s’arrêter aux premières impressions parfois.


HRP: désolée c'est super court

La conversation devient plus détendue. Ça me rassure autant que les propos de Shana. Je commençais à croire que je suis la seule fille qui ne supporte pas de marcher avec des talons. Bon ! Savoir que la plupart souffre en silence juste pour paraître, ça me reste incompréhensible. Mais peut-être que je suis encore une fois trop jeune pour comprendre. En tout cas, Shana sourit à l’anecdote de cette soirée horrible où j’ai fini en balançant ces chaussures à la face de ma mère.
Et ça me calme. J’essaye de me poser dans ma tête et le meilleur moyen de montrer à l’aise est d’aborder ma passion les animaux. J’utilise ce biais pour en apprendre plus sur Shana et ça semble marcher.

« Je suis serveuse dans un restaurant, je n’étais pas faite pour les études.»

J’acquiesce et avant que je ne commente elle poursuit :

« C’est sympas ça soigneuse animalière, et c’est pas trop difficile ?»

Je m’illumine et j’allais répondre quand Shana me fait remarquer que je suis plus calme et posée. Je suis contente. J’essaie. Ça semble fonctionner pour une fois.

- Merci Shana. Désolée si je t’ai semblée agitée ou mal polie. Ce n’était pas mon intention. Et pour te répondre, je n’ai pas encore commencé mes études, c’est pour septembre. Mais non ça ne sera pas difficile. Ce n’est pas un haut niveau, et surtout les études ne sont pas un problème pour moi. Ce qui m’intéresse surtout, c’est le terrain. Je fais mes études en deux ans par un contrat d’alternance. J’ai hâte de retourner travailler au zoo.

J’essaye de m’arrêter de parler. C’est compliqué, mais une grande inspiration m’y aide. Et je reviens sur le métier de mon amie. Je veux en savoir plus sur elle et je ne veux pas faire croire que je cherche à monopoliser la conversation. Je suis juste insatiable sur le sujet.

- C’est chouette aussi serveuse. Bon je serais nulle dans ce métier, vu mes difficultés dans les relations humaines. Mais tu ne dois pas t’ennuyer. Ce n’est pas difficile comme horaires de travail par contre ?

Je bois un peu de mon verre et je souris, presque je ris. Je regarde Shana avec des yeux ronds amusés.

- Rassures-moi, tu ne fais pas le service en chaussures à talons ? J’en vois parfois, c’est incompréhensible pour moi de se faire autant mal aux pieds.

« C’est bien ça l’alternance, il n’y a que le terrain pour vraiment apprendre un boulot.»

J’acquiesce en riant, le regard pétillant de plaisir en pensant aux animaux.

- Il n’y a que sur le terrain que je me sens moi-même. Les animaux sont vraiment simples dans leur façon d’être ou réagir. Ou en tout cas, je suis bien plus douée pour les comprendre que les êtres humains

Parlant du métier de Shana, je m’amuse à revenir sur ces fameuses chaussures féminines que j’associe à des engins de torture.

« Les horaires ne sont pas évidentes c’est sûr, mais j’arrive à avoir des soirs de libre tout de même. Et pour les talons, ça arrive que j’en porte mais ce ne sont pas des aussi hauts que ce soir, je te rassure. Au moins, soigneuse animalière tu seras à plat !.»

La jeune femme confirme que le rythme de travail n’est pas forcément facile à vivre, mais elle m’étonne en me précisant qu’il lui arrive de travailler avec des petits talons.

- C’est sûr qu’au zoo c’est chaussures de sécurité aux pieds, elles sont même montantes pour limiter les entorses !

Mon verre finit, je consulte mon téléphone et me rends compte qu’il est 23h passées. J’ai largement dépassé l’heure butoir que je m’étais donnée. Pour une première sortie nocturne, je ne veux pas forcer ma chance. Ma mère est capable d’avoir appelé le fixe. Mais ne pas avoir de milliers de messages sur mon portable reste bon signe.

- Excuses-moi je vais devoir rentrer. Comme tu as compris, c’était une première pour moi et je vais restée raisonnable. Merci encore pour ton aide, la discussion et le verre.

Je me lève et enfile mon gilet avant de faire un message pour commander un taxi.

- Peut-être à bientôt alors ?! Bonne fin de soirée Shana.

Finalement la soirée n’avait pas super bien commencé, loin de l’idée que je m’en faisais, mais j’ai rencontré une fille sympa et passé un bon moment. C’est une bonne première sortie nocturne.