La visite auprès du paternel avait été émotionnellement éprouvante pour le grand gaillard qu'était Ezekiel. Lui qui s'était pourtant éloigné si rapidement de sa ville natale pour construire sa vie d'adulte en Floride était tout de même le genre de fils qui sautait dans le premier avion possible dès que les siens subissaient une passe difficile. Aussi, lorsque sa mère l'avait appelé plus tôt au sujet de l'accident vasculaire cérébrale du directeur de McD Inc, il avait accouru, laissant son propre business, sa fiancée et ses projets de mariage en plan. Evidemment, il pouvait tout de même gérer son remplacement via son cellulaire, tout comme sa conjointe d'ailleurs qui avait une fâcheuse tendance à l'harceler de textos, en véritable cœur d'artichaut qu'elle était. Mais cette dernière n'était sûrement pas prête à ce qui l'attendait désormais que l'héritier McDavis avait accepté les volontés de son père : prendre la suite de la maison de disques, l'affaire familiale, pérenne depuis déjà deux générations.
"Je repasse demain maman, avait promis Ezekiel en quittant l'hôpital alors que sa mère se préparait à une nuit de veillée, profondément inquiète."
Il s'était ensuite engouffré dans un uber direction le manoir, sa maison d'enfance qu'il affectionnait tant malgré son aspect lugubre qui détonnait avec les demeures voisines. L'atmosphère de cette bâtisse ne l'avait jamais dérangé, au contraire. Zeke avait toujours su profiter des recoins sombres de l'habitacle pour se cacher, fuir les nounous qui devaient s'occuper de lui ou encore pour effrayer sa petite sœur en lui bondissant dessus alors qu'elle ne s'y attendait pas. Mais retourner à la maison signifiait aussi raviver des souvenirs, pas toujours très glorieux, et surtout déterrer les secrets de famille, ce dont il était beaucoup moins friand.
Personne n'était présent à son arrivée ou du moins le personnel devait être de repos puisqu'il n'y avait personne à servir durant la convalescence de Monsieur McDavis, alors Ezekiel s'empressa de monter à l'étage, chargé de ses deux sacs de luxe contenant ses affaires. Il comptait simplement se dévêtir rapidement, prendre une douche brûlante et se coucher, pressé d'être au lendemain pour rendre à nouveau visite à celui qui était un exemple à ses yeux. Car même si le trentenaire avait une fâcheuse tendance à la fourberie et qu'il lui arrivait parfois de penser à son futur héritage, ses parents restaient des modèles qu'il ne souhaitait pas décevoir, ni perdre trop tôt pour autant. La tête dans ses pensées, il avait commencé à déboutonner sa chemise, sans faire attention aux petits pas de souris dans l'escalier, ni à la voix fluette qui s'approchait peu à peu de son antre jusqu'à ce que la lumière s'allume tout à coup dans la pièce, sensibilisant ses yeux qui s'étaient habitués à la pénombre. Sans même apercevoir le visage de l'intrus, la voix féminine ne lui fit aucun doute : Tessa, la petite tornade familiale était dans les parages.
"Tess ? lança-t-il en pivotant alors pour la voir poser une statue sur la commode. Tu comptais me violenter avec ça ?"
Un sourire s'étira sur ses lèvres, amusé de la voir dans un tel état.
"C'est ma chambre et je comptais juste me coucher, fit-il en lui désignant ses bagages. Je m'installe ici le temps que papa aille mieux. Et toi, tu rentres enfin au bercail ?"
S'il tentait légèrement de la provoquer, c'était seulement pour en savoir plus sur elle. Les deux ne s'étaient pas vus depuis de longs mois, n'échangeant que quelques politesses à chacune de leurs rencontres depuis de longues années. Une gêne s'était finalement installée entre eux, pourtant si proches par le passé.
"Si tu reviens parce que tu as besoin d'argent, mon chéquier doit être par là."
D'un pas de loup, il s'approcha de la commode pour récupérer son porte monnaie, prêt à lui signer le montant de son choix. Au vue des vêtements que portait Theresa, elle ne devait pas se fournir auprès de grands designers comme le reste des McDavis alors, en grand-frère protecteur, Ezekiel était prêt à lui offrir un nouveau départ, ignorant totalement la raison de sa venue au manoir.

Les lumières complètement éteintes, tes parents absents, tu étais persuadée qu’il s’agissait d’un voleur rodant dans la chambre de ton frère, sûrement à la recherche de bijoux et autres objets de valeurs. Sinon qui d’autre évoluerait dans le noir ? Tu aurais dû fuir plutôt que t’approcher, mais tu n’es pas du genre à reculer devant le danger, bien au contraire ! Tu as toujours été une tête brûlée et si, avec le temps, tu t’es assagi, ce côté de ta personnalité n’a pas disparu pour autant. Alors, avec une arme de fortune pour te protéger, tu déboules dans la pièce en allumant la lumière, prête à attaquer l’intrus. Sauf que tu te figes en réalisant que ce n’est pas un inconnu en face de toi, mais ton frère. Rapidement, tu te reprends, n’hésites pas à quel point tu as pu avoir peur de par son attitude étrange. Tu reposes la statuette sur le meuble, avant de croiser les bras en le fixant. Son sourire te fait s’emballer ton cœur de plus belle, alors que tu luttes pour garder tes yeux encrés dans les siens et ne pas les dévier sur son torse apparent sous la chemise déboutonnée. S’il semble amusé, toi, en revanche, tu ne souris pas. Au contraire. Tu aurais dû être ravi de le voir. Et en d’autres circonstances, peut-être aurait-ce été le cas.

Tu demandes ce qu’il fait ici, bien que tu te doutes de la réponse. Votre père en convalescence est la clef de sa présence. Tu aurais voulu faire une réflexion quant au fait d’évoluer dans le noir, mais tu te retiens. En revanche, tu arques les sourcils en voyant les deux gros sacs posés au sol. La langue qui claque contre ton palet, détournant les yeux, tu te retiens à nouveau de faire une remarque, mais cette fois sur le fait qu’il n’a pas trouvé nécessaire de te prévenir de son retour. Ni même tes parents d’ailleurs. A croire que tu ne fais même plus partie de cette famille…. « Certainement pas ! » que tu réponds avec un peu trop de véhémence lorsqu’il demande si toi aussi tu es de retour au manoir le temps que votre père aille mieux. Sauf que pour toi, le fait qu’il soit hospitalisé ne change rien à votre situation. Tu n’as pas l’intention de revenir t’installer ici. Mais la suite… Oh ça, tu ne t’y attendais pas. Ton frère qui te propose de l’argent, alors qu’il s’approche de la commode tandis que toi tu recules instinctivement d’un pas, instaurant ainsi une distance presque nécessaire entre vous. Son parfum qui te parvient et ta respiration qui se coupe quelques secondes. « T’es sérieux là ? » que tu demandes alors qu’il sort son chéquier d’un tiroir, le geste répondant ainsi à ta question. Oui, il est sérieux. « T’es vraiment pas croyable ! » que tu lances en haussant le ton et levant les bras au ciel. Dépitée qu’il réagisse ainsi. Plus d’une année écoulée sans vous être vus, et il ne trouve rien de mieux à faire ! Certes, toi tu n’agis pas de la meilleure des manières non plus avec lui, mais tu ne t’attendais pas à ce genre d’attitude de sa part… « J’ai pas b’soin de ton argent. Je n’savais même pas que t’étais là. J’étais juste passée prendre quelques affaires » que tu lui réponds et te justifie d’une voix plus calme, en soupirant, avant de te détourner et retourner vers ta chambre à l’autre bout du couloir. « Bonne nuit Ezekiel » que tu lui lances dans le couloir, usant de son prénom complet, comme pour creuser encore un peu plus ce fossé qui s’est créé entre vous…

Face à sa vive réaction, l'aîné de la famille comprit tout de suite qu’il s’était totalement planté avec une telle proposition. La benjamine n’avait jamais été du genre dépensière, ni très intéressée par l’argent emmagasiné avec les années par la famille. Il aurait dû le savoir parfaitement, lui qui croyait la connaitre par cœur. Mais cela avait changé, car avec toutes ces années d’éloignement, sa sœur semblait différente, telle une nouvelle rencontre, une personne dont il ignorait les rêves et les passions, s’impatientant de la découvrir une seconde fois. Elle était devenue si grande, si adulte et surtout si femme… qu'il en restait perturbé. Plus il la regardait et plus le jeune homme se disait qu’il avait bien fait de s’éloigner de la ville. Leur relation avait embrassé une tournure étrange par le passé et Ezekiel avait prit soin de tout arrêter avant de franchir une certaine limite. Désormais, il ne fallait pas que cela se reproduise et en premier né, il devait s'efforcer de montrer l'exemple : conserver une famille soudée aux relations parfaitement normales.
Au fond, il espérait seulement réussir à renouer le contact entre leurs parents et Theresa, triste de les voir si éloignés pour de simples broutilles. Après tout, lui qui connaissait le secret de l’adoption de sa sœur, ne pouvait que constater le chagrin de sa propre mère face à l'éloignement de son unique fille, si distante de la maisonnée.
Lorsque la belle soupira et entreprit de retourner dans sa chambre face au comportement grossier de Zeke, ce dernier lâcha instantanément son portefeuille pour la rattraper par le poignet, créant ainsi un contact physique entre eux. Il avait tant de mal à la déchiffrer, à savoir ce qui lui ferait plaisir, ce qui la blessait…
"Tessa attends, s’empressa-t-il de lancer. J’voulais pas te vexer, j’ai cru bien faire. Reste, parle-moi, la pria-t-il en la retenant par la main, usant de douceur par sa voix, mais de fermeté dans sa poigne. Raconte-moi un peu ta vie, ça fait si longtemps qu'on ne s'est pas retrouvé juste tous les deux."
Et il disait vrai. A l'ordinaire, lorsque les deux descendants McDavis se trouvaient dans la même pièce, ils étaient généralement entourés des parents et des employés domestiques, autour d'un grand repas. Aussi, leurs échanges se résumaient à des banalités, des politesses atrocement gênantes entre frère et sœur. Comme s’ils ne souhaitaient qu’une seule chose : ne plus jamais se revoir, ni être assis l’un à côté de l’autre. Pourtant, durant tout ces instants de malaise, Ezekiel n’avait eu qu’une seule pensée, une seule envie : celle de se rapprocher de Theresa. La tentation de poser une main sur sa cuisse lorsqu’ils discutaient paisiblement à table, son obsession pour ses lèvres délicates lorsqu’elle buvait son verre de vin ou encore son désir de la serrer contre lui alors qu’il serrait sa fiancée, le hantait tous les jours. Sa sœur était dans toutes ses pensées, constamment. Mais il ne l'avouerait sûrement jamais, pour respecter la bienséance et surtout, pour ne pas briser la famille en dévoilant le secret le plus enfoui des McDavis.
"Je m’inquiète pour toi tu sais, personne n’a de nouvelles, ajouta-t-il en rajustant sa chemise pour ne pas la provoquer avec son torse nu. Je ne sais pas ce que tu fais dans la vie ni si… tu fréquentes quelqu’un."
Sa dernière interrogation n’était que pure curiosité. Car si Ezekiel cachait encore à sa famille ses fiançailles avec une sublime jeune femme, il espérait intimement apprendre que Tess était encore sur le marché du célibat, ignorant de quelle manière il réagirait le jour où elle s’engagerait auprès d’un homme.

Quand ton regard s’est posé sur lui, quand tu as réalisé qu’il s’agissait de ton frère, tu as eu envie de te jeter dans ses bras. En d’autres circonstances, sûrement l’aurais-tu fait sans hésiter une seule seconde. Mais là, ce soir, tu es sur la réserve. Bras croisés tu le dévisages, avant de te détourner, outrée par ce qu’il vient de te proposer. Tu ne le pensais pas capable d’une telle chose, de tels propos et pourtant, Ezekiel semble affreusement sérieux dans sa proposition de te faire un chèque, ne réalisant même pas à quel point tu te sens blessée par cette offre. Dans le couloir menant vers ta chambre, tu fulmines contre lui, poings serrés. Mais c’était sans compter sur ton aîné qui te rattrape rapidement, une main sur ton fin poignet, ce contact anodin te provoquant pourtant une décharge électrique jusqu’à ton cœur qui émet un seul et unique battement bien plus fort avant de revenir à la normale. Et au moment où ses doigts s’enroulent autour des tiens, tu retires ta main. De manière peut-être un peu trop virulente, comme si le contact sur ta peau t’avait brûlé. On pourrait croire que c’est parce que tu es en colère contre lui, mais ce n’est pas le cas. C’est surtout que tu n’aimes pas les sensations que sa peau contre la tienne te procure. Ces émotions que tu ne devrais même pas éprouver. Que tu ne peux pas éprouver. Et ce ne sont que ses doigts qui te touchent alors plus… tu ne préfères pas imaginer. Tu n’as pas le droit d’imaginer ce genre de chose… « Tu veux que je te dise quoi Ezekiel » que tu lui réponds après un bref soupir. Bras qui se croisent à nouveau, regard qui se détourne lorsque tu réalises que ton frère a la chemise ouverte et que tu retiens un instant ta respiration. Le brun semble remarquer ta gêne car en même temps qu’il te parle, il s’empresse de reboutonner sa chemise. Tu le laisses parler mais tu ne peux t’empêcher de rouler des yeux à ses propos, te mordant l’intérieur de la joue pour t’empêcher de dire des mots que tu regretteras ensuite. « Tu t’inquiètes pour moi ? » que tu répètes en écho, d’une voix qui laisse transparaître l’indignation. Et tu ris légèrement. Un rire forcé parce que tu n’en crois pas tes oreilles. « T’avais pas l’air inquiet pour moi quand t’as décidé de faire ta vie à l’autre bout du pays » que tu rétorques d’une voix acerbe, te décidant enfin à plonger ton regard inquisiteur dans le sien. Son départ, bien des années plus tôt, alors que tu n’étais encore qu’une adolescente, tu l’as pris comme un abandon. Pourtant, tu étais persuadée qu’il reviendrait. Qu’il te reviendrait une fois ses études terminées. Alors, tu as relativisé les choses… jusqu’à ce qu’il annonce s’établir là-bas, à Miami. Depuis, votre relation n’est plus comme avant, n’est plus aussi fusionnelle qu’elle a pu l’être par le passé. Un fossé monstrueux s'est créé entre vous. Tu le regrettes et tu voudrais que ça change, mais c’est plus fort que toi. Tu lui en veux tellement que tu ne parviens pas à passer outre…

Mais tout ça, quand ton regard croise la tristesse du sien, tu ne le dis pas. Tu le sens sincère, presque blessé et le voir ainsi te déchire le cœur. Alors, tu finis par baisser les armes. Les muscles qui se détendent, les épaules qui s’affaissent et les poings qui se desserrent. Tu fermes les yeux quelques secondes, inspire un grand coup en silence. Réalisant que tes parents ne semblent pas lui avoir parlé de toi, ne pas lui avoir dit ce que tu devenais… Peut-être aussi n’a-t-il pas demandé ? Tu n’en sais rien. Mais les deux suppositions te blessent bien plus que ce que tu veux bien t’avouer. « Je vais bien » que tu affirmes d’une voix plus posée. « Actuellement je travaille au Mandarin Oriental » que tu poursuis, sans préciser que tu n’es qu’une simple hôtesse d’accueil de cet hôtel luxueux. « Mais c’est provisoire » que tu te sens obligée d’ajouter, dans l’optique où ton frère voudrait en savoir plus. Sans réellement savoir ce que tu feras ensuite comme boulot. Sans vraiment savoir ce dont tu as vraiment envie. En attendant tu tâtonnes, fais des petits jobs parce qu’il faut bien payer ses factures. « J’ai mon appart à Brooklyn du coup, je ne viens que rarement ici. » que tu continues, ton regard qui se perd sur la tapisserie, justifiant ainsi le fait que tu ne vois que très peu tes parents. Enfin, surtout ton père, évitant ainsi de l’entendre rabâcher à quel point tu peux être une déception à ses yeux et Ezekiel le fils prodige. « Quant à ma vie amoureuse… » tu marques une courte pause, hésites entre lui dire la vérité ou mentir. « Je fréquente quelqu’un oui » que tu t’entends répondre à Ezekiel avec aplomb, le regard qui se porte à nouveau sur lui pour sonder sa réaction. « On apprend encore à se connaître mais… je pense avoir trouvé le bon » que tu ajoutes, t’enfonçant dans le bobard que tu lui serres. Lui mentant effrontément, le regard encré dans le sien. « Et toi alors ? Tu n’es pas venu avec... » que tu t’empresses de lui demander pour changer de sujet, te coupant en pleine phrase, faisant mine de réfléchir. « J’ai oublié son nom. » que tu termines en haussant les épaules pour dédramatiser la chose. Parlant bien évidemment de sa petite amie avec qui il est depuis des années et qu’il ne vous a jamais présentée. D’ailleurs, tu n’es pas pressée que ce moment arrive… Sa petite-amie… Une information que tu ne risques pas d’oublier. Comme le prénom de sa dulcinée qui, en réalité, est parfaitement imprimé, clair et limpide dans ton esprit. Mais c’est surtout que le dire à haute voix te brûle la langue et te serre le cœur… « C’est pour quand le mariage, les gamins, tout ça ? Maman s’impatiente de devenir grand-mère ! » que tu le questionnes d’une voix légère mais ironique, usant de ta mère pour minimiser les choses, un sourire factice venant étirer tes lèvres. Et pourtant, tu as le palpitant qui s’emballe parce que tu redoutes, plus que tout, la réponse à cette question…

@Ezekiel McDavis