Elizabeth Goldstein & Tino Ramírez

De retour au bercail

Putain, j’ai mal au cul. Je reviens d’une journée intense de tournage et j’ai pas mal donné de ma personne. C’était très intense, brutal même pourrait-on dire, je vous épargne les détails. Bon, j’ai l’habitude alors ça ne m’embête pas tant que ça et puis ça me donne une excuse pour rester chez moi. Parce qu’entre les tournages et mes autres projets, je n’ai pas souvent été chez moi, ces dernières semaines. Pour mon plus grand plaisir ; je ne suis pas du genre à rester à ne rien faire. J’ai toujours besoin de travailler sur quelque chose, ou au moins de bouger, un minimum – et ça tombe bien, j’ai beaucoup de choses à faire ces derniers temps ! Les tournages bien sûr, la gestion de la boîte, et ma marque de lingerie que j’ai peut-être un peu négligé ces derniers temps. Enfin, négligé … j’ai pas beaucoup à faire chez Liza de toute façon. La prochaine collection est prête, elle sort au début de l’été. Alors en attendant, je m’occupe du marketing, sur les réseaux sociaux et tout ça.

Et même si ça prend du temps mine de rien, ce n’est pas ça qui occupe le plus mes journées, et mon esprit aussi. Nan … le truc sur lequel je travaille le plus en ce moment, c’est mon livre. Ca faisait un certain temps que j’y pensais et je me suis enfin lancée, parce que, merde, qu’est-ce que je risque ? Même si ça ne se vend pas et/ou si c’est nul, ça m’aura quand même fait plaisir de l’écrire. Parce qu’à la base, on écrit surtout pour soi, nan ? Ou bien c’est une excuse à la con que les écrivains ratés utilisent, j’en sais rien. Bah, en tout cas, c’est très différent de ce que je fais d’habitude, c’est certain. Et c’est assez plaisant, je dois l’avouer. Assez facile aussi, plus que ce que je m’étais imaginée … mais en même temps, je connais très bien mon sujet. Le bouquin parle de moi, et du porno. Les clichés que les gens ont dessus, les trucs vrais, les trucs faux … tout ça. Je pense pas avoir assez d’imagination pour écrire de la fiction de toute façon. Enfin bref … je me suis mise à l’écriture.

Depuis une bonne heure, je suis couchée sur mon canapé (je peux pas trop m’asseoir depuis le tournage d’hier, hum) avec mon ordi portable devant moi et j’écris. J’ai coupé le Wi-Fi, mon téléphone, tout ce qui pourrait me distraire ou me déconcentrer et ça semble bien marcher parce que j’ai plutôt bien avancé. Bon, je dis ça, mais en tout et pour tout je n’en suis qu’à quatorze pages. Un peu léger, hein ? Mais je m’inquiète pas, j’ai tellement de choses à raconter. Et aujourd’hui, je suis plutôt inspirée. Trois pages. Après, c’est peut-être nul, ça l’est probablement, mais je me contenterai de ça pour l’instant.

Bon, j’ai été pas mal productive, alors je m’accorde une petite pause. Je sauvegarde le document, referme l’ordi et rallume mon téléphone. Ça m’a fait du bien d’être déconnectée du reste du monde pendant quelques temps, mais ça va bien deux minutes. Je suis chef d’entreprise, je vous le rappelle ! Ainsi qu’une pornstar que tout le monde connaît ne serait-ce que de nom. Et mannequin. Et peut-être, bientôt, auteure aussi ? Ah, la bonne blague.

Bon sang, toutes ces notifications ! Twitter, Instagram, Facebook (je suis une vieille personne), Tinder … six appels manqués aussi. Putain, tout ça en une heure ? C’est ça d’être une star ? Alors, voyons ça … un numéro masqué, un autre numéro masqué, mon père, mon agent qui m’a appelée deux fois et Tino ! Merde, Tino ! Je l’ai appelé il y a quelques temps, pour prendre de ses nouvelles et tout ça. Il n’avait pas répondu et je n’avais pas insisté parce que je suis dit qu’il devait être occupé, genre à pourchasser des gangsters, vivre de folles et dangereuses aventures à l’étranger et tout ça, pendant que je me faisais sod— bref, passons. Et il y a quelques jours, il a tenté de m’appeler. Mais comme j’ai jamais de chance, j’ai pas pu répondre ; la première fois, j’étais sortie acheter des trucs et j’avais oublié mon portable à l’appart. La deuxième, j’étais au boulot donc forcément je n’avais pas mon téléphone sur moi, et là, il a appelé alors que j’avais éteint mon téléphone. Je sais, j’aurais très bien pu le rappeler, mais une femme doit se faire désirer, non ? Bon, ok, c’est juste une excuse … en vérité, j’ai juste oublié. Faut me comprendre, j’avais plein de choses à faire ces derniers temps ! J’espère qu’il ne m’en voudra pas. Sinon, je pourrais toujours lui dire que j’avais plus de crédit, ça marche toujours, nan ?

Bon, une petite cigarette et je le rappelle, en espérant que je n’oublie pas cette fois. Je saisis un briquet, une clope et commence à la fumer en faisant le tour du salon histoire de me dégourdir un peu les jambes. Je regarde par la baie vitrée. Il fait super beau ! Un grand soleil presque comme si on était déjà en été. Y a foule à Central Park, qu’on voit très bien d’ici. En même temps, il y a foule à Central Park presque tout le temps à vrai dire, enfin, façon de parler parce que c’est tellement grand que même s’il y a plein de gens on est jamais les uns sur les autres, bref. Ça me donne envie de sortir moi aussi. Hé, qu’est-ce qui m’en empêche ? J’ai bien avancé sur mon bouquin alors j’ai le droit de faire un peu autre chose, sans compter que ça finit par être chiant au bout d’un moment. Fatiguant aussi, mine de rien. Pas physiquement bien sûr, mais rester focalisé sur la même chose trop longtemps …

Ça m’a même donné un peu mal à la tête, en fait. J’ai mal aux deux extrémités du coup, c’est marrant. Bon, avant de faire quoi que ce soit d’autre, j’ai besoin d’une aspirine. Et d’une douche, aussi. Oh et puis mince, un bain même carrément. Un bon bain bien chaud avec plein de mousse.

Tiens, on sonne à la porte ! C’est qui ? Peut-être mon père, il aime bien passer de temps à autre à l’improviste pour discuter un peu. Ma cigarette entre les doigts, je me dirige vers la porte.

- Tino ! Salut ! je m’écrie en voyant le visage du visiteur.

Pas besoin de le rappeler, du coup. Je m’approche de lui pour lui faire un câlin et l’invite à entrer.

- Entre, je t’en prie ! C’est sympa de me rendre visite ! J’allais t’appeler.

Je le laisse faire quelques pas dans l’appart et referme la porte derrière lui en souriant. C’est très différent de son appartement à lui, j’imagine. Chez lui, c’est douillet, chaleureux, très bien rangé et charmant comme tout – petit, aussi. Chez moi, c’est beaucoup plus grand, plus moderne, peut-être plus froid et plus impersonnel aussi. Et étrangement, plus en bordel que chez lui, pourtant homme célibataire (enfin, aux dernières nouvelles). Mais attention, c’est pas sale pour autant, grâce au boulot impeccable de ma femme de ménage.

- Fais comme chez toi, je reprends en lui souriant, je reviens dans une minute !

Ou deux, ou trois. Le temps de prendre une douche rapide et de changer de vêtements – ce vieux pantalon de jogging et ce tee-shirt trop large, c’est moche. Je sais que Tino s’en fiche de ça, mais bon, j’aime bien être tout le temps à mon avantage. Après ça, on pourra se poser et parler ; je sens que l’un comme l’autre avons beaucoup de choses à nous dire.

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Elizabeth Goldstein & Tino Ramírez

De retour au bercail

- J'ai pensé que tu aurais besoin d’une petite pause.

Je souris. Je sais pas trop ce qui lui a amené à penser ça – il a peut-être juste dit ça comme ça, mais il n’a pas tort. Bon, en l’occurrence ma pause a déjà commencé mais ce sera franchement pas un mal de la passer avec lui ; j’ai bien envie de causer à un vieux pote après être restée tout ce temps seule chez moi à bosser sur divers trucs – mon livre principalement. Et la solitude, même si elle est volontaire, c’est pas tellement mon truc. Enfin, « solitude », le mot est sans doute un peu fort … quoiqu’il en soit, je suis bien contente que Tino soit là ! Ca fait littéralement des semaines qu’on s’est pas vus et même si je sais que ça ne sera jamais pareil que quand on traînait ensemble il y a vingt ans, on a du temps à rattraper. Et puis je suis sûre qu’il a des tonnes de choses à raconter ! Moi aussi, d’ailleurs. Même s’il y a certaines choses qu’il vaut mieux que je garde pour moi, hum. Il n’a pas vraiment besoin de connaître le détail de tous mes tournages, par exemple – et de toute façon, ils sont toujours plus ou moins pareils, nan ? Ou pas. Vous lirez ça dans mon bouquin, hi hi.

- Tu n’as pas tort, je lui réponds avant de l’inviter à entrer.

Je laisse Tino observer une seconde l’appartement avant de prendre congé pour aller me doucher rapidement et enfiler une tenue un peu plus présentable. Je fais vite, promis ! parce que j’ai pas envie de le laisser en plan comme ça trop longtemps, ça se fait pas. Bref. Je file dans ma chambre prendre des vêtements puis à la salle de bain pour prendre une bonne douche. Bon, je vous raconte pas les détails, vous savez ce que c’est, une douche. Bref, j’essaie de ne pas trop prendre mon temps histoire de ne pas laisser Tino tout seul comme un con.

- T'en a pour longtemps ? J’espère que le résultat vaudra l’attente, me demande-t-il depuis le salon alors que j’étais en train de me laver les cheveux.
- J’essaie de ne jamais décevoir, que je lui réponds d’une voix forte pour être sûre qu’il m’entende.

Deux minutes après, je reviens dans le salon, habillée d’un tee-shirt jaune pastel, d’un jean et de chaussettes blanches, et mes cheveux coiffés en chignon parce que pourquoi pas.

- Du café ! que je m’exclame avec beaucoup trop d’enthousiasme en voyant les gobelets qu’il a apportés.

C’est super sympa ! Je prends celui qui reste sur la table basse et vais m’asseoir juste à côté de Tino. J’aime tellement le café. Beaucoup trop. C’est une vraie institution en Italie. Mais bon, je m’y connais pas pour autant, je peux juste dire que je le préfère bien serré et sans sucre. Passons.

- Alors, les nouvelles ? je demande à Tino, j’suis sûre que t’as plein de choses à raconter depuis la dernière fois qu’on s’est vus !

Ouais. Parce qu’il a une vie bien remplie, comme moi, même si on est dans des domaines très différents évidemment. Je sais qu’il était à l’étranger il y  a peu, pour son travail. Agent de la DEA. Ca claque, quand même. Je serais bien incapable de faire ça, je pense. Et puis c’est pas vraiment un endroit pour une jolie blonde toute frêle comme moi, hein ? Enfin je dis ça mais j’ai connu quelqu’un qui était à la fois une magnifique femme et une agent, certes du FBI mais ça revient au même. Ma tante – la femme de l’ex-femme du petit frère de ma mère (c’est assez clair ?) était directrice du bureau du FBI de Los Angeles jusqu’à il y a peu ; elle a pris sa retraite peu après avoir eu soixante ans. Bref. Elle était super belle donc, malgré les difficultés de ce boulot qui usent bien vite les corps et les esprits ; je me souviens très bien d’elle, une latino petite et mince, mais très forte. Elle … pourquoi j’en suis venue à penser à ça, moi ? Passons.

- Et les amours, ça va mieux ?

Je demande à mon ami avec un clin d’œil en buvant lentement mon café. La dernière fois qu’on a parlé de ça, c’était pas très glorieux. Il sortait à peine d’une relation avec une femme beaucoup plus jeune qu’elle et il avait du mal à l’oublier … enfin, un truc comme ça. Je ne suis pas certaine, il s’est écoulé pas mal de temps depuis, pas mal de verres d’alcool et d’excès de ma part aussi. Yes, tu fais une excellente amie, Elizabeth … bah, je lui ai sans doute raconté des trucs dont il a du mal à se souvenir, lui aussi. C’est pas grave. De toute façon, c’est du passé ça. J’espère qu’il a trouvé chaussure à son pied depuis le temps. Je n’en doute pas, c’est un sacré beau pied !

- J’imagine que c’est toujours moins pire que moi de ce côté-là, je reprends en me lamentant un peu, moi c’est le calme plat. Je baise à ma convenance tu imagines bien, mais pour ce qui est des sentiments …

Pas la peine de continuer, je pense qu’il a compris. Ah, l’amour … ça me manque de savoir que l’on compte pour quelqu’un. Ça me manque vraiment … enfin bon, si je n’ai pas perdu mon légendaire franc-parler, c’est que ça ne va pas si mal ! Alors je n’y pense plus et je continue à regarder Tino avec un petit sourire espiègle.

- D’ailleurs, t’aurais pas un copain à me présenter ? Ou une copine ?

On sait jamais. Fais croquer, poto, comme disent les jeunes (pitié …). Je reprends une gorgée de café.

- Au fait, jolie voix ! Tu m’avais caché ça ! je m’écrie en désignant la télé.

Je passe du coq à l’âne ouais, mais bon, il sait que j’ai forcément dû entendre parler de The Artist. J’avoue que je ne m’attendais pas à le voir dans une émission comme ça, ni même dans une émission télévisée tout court, mais ce fut une surprise agréable ! J’ignorais qu’il savait jouer de la guitare, et chanter. Peut-être que ce n’était pas le cas lorsqu’on s’est rencontrés la première fois, il y a un paquet d’années. Ou qu’il ne m’en avait juste pas parlé, aussi, même si on était amis on ne se disait pas forcément tout non plus. Je sais que je lui avais dit que je savais chanter et jouer du piano, moi. Depuis l’âge de cinq ans – mon père espérait sans doute faire de moi une grande musicienne, ha ha ! Il voulait que je devienne une artiste, dans tous les cas ; ça s’est réalisé, même s'il ne s'attendait sûrement pas à ça !

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Elizabeth Goldstein & Tino Ramírez

De retour au bercail

N’empêche, c’est tellement bien d’avoir un ami comme Tino. Un homme à qui je peux parler et tout raconter sans qu’il n’y ait la moindre … ambiguïté entre nous. Parce qu’on ne va pas se le cacher, beaucoup de mes amis hommes espèrent obtenir quelque chose de moi un jour ... une … faveur. Ils oublient quelque peu la différence entre celle que je suis dans mes films et celle que je suis dans la réalité. Quoi que, j’exagère un peu. La plupart se contentent de me regarder, de me reluquer plus ou moins discrètement et même s’ils font mine de rien je le sais très bien, je sais quand on me mate ou pas. Beaucoup d’hommes que je connais seraient bien incapables de dire de quelle couleur sont mieux mais reconnaîtraient mon cul entre mille. Mais bon … c’est plutôt plaisant, de se savoir aussi regardée, désirée même. J’aime qu’on me regarde. Prenez cette phrase dans le sens que vous voulez.

- Et bien... Je suis pas certain que t’ai envie d’entendre les détails d’une tuerie au Brésil, répond Tino lorsque je lui demande les dernières nouvelles.

Pour être honnête, ça peut être intéressant. Mais j’suis sûre qu’il a envie de parler d’autre chose que de son boulot. Et moi je vais certainement pas lui parler du mien, pour des raisons évidentes. Il n’aura qu’à regarder le film. Il est bien. Je suppose, j’ai pas toujours envie de regarder un long-métrage d’une heure de moi en train de me faire démonter. Ils finissent par tous se ressembler à la longue.

- J’imagine que de ton côté tu ne veux pas entendre les détails de mon boulot non plus ! je lui réponds en riant.

Et même si mon travail était un peu plus normal, je ne lui en parlerais quand même pas parce que j’aime pas penser au boulot lorsque je suis chez moi. Nan, je veux juste penser à autre chose et me relaxer dans ces moments-là ; même si ces derniers temps je n’ai pas respecté ce principe, hein ? Ecrire mon livre, c’est comme du boulot … ah, n’y pensons plus pour l’instant ! C’est la pause, là.

- Ouais ça va, répond mon ami lorsque je lui demande si ses amours vont mieux.J'ai ... Rencontré une fille et ... Ça va.

Ce « ça va », sa phrase entière même, sonne comme un « je veux pas en parler », alors je n’insiste pas. Je suis contente pour lui, quand même. Il semble enfin avoir oublié cette fille dont il m’avait vaguement parlé et être passé à autre chose. J’espère en tout cas. C’est toujours compliqué les histoires d’amour. Mais étrangement addictif, aussi. Ça me manque un peu. Mais bon, je m’inquiète pas plus que ça. Mon heure viendra, je trouverais bien quelqu’un qui m’aime réellement et pas que pour mon cul (aussi beau qu’il soit). Tino pourrait peut-être me rencarder à ce sujet, d’ailleurs …

- Compte pas sur moi.
- Oh, je dis en faisant semblant d’être réellement déçue, tu veux que je finisse vieille fille entourée d’une dizaine de chats, c’est ça ?

Je rigole de bon cœur. Je suis de super bonne humeur ! alors que j’étais au bout de ma vie il n’y a même pas cinq minutes, épuisée par ce foutu bouquin et le fait que je ne sois pas posée une seule seconde ces derniers temps. Un café, une douche et une discussion avec un bon ami, c’est tout ce dont j’avais besoin pour me sentir mieux. Bref, la conversation se poursuit, on en vient à évoquer la participation de Tino à The Artist, une erreur de parcours selon lui. Ah. Il est beau, il est fort, il traque des mafieux dans tous les Etats-Unis et même le monde entier, mais il semble manquer d’une certaine confiance en lui, le Tino. Ou il est juste super modeste – je penche pour la deuxième proposition.

- Hé, Tino, ne soit pas si modeste. Si tu as été retenu c’est bien que tu valais quelque chose, non ?

Bon, je ne l’ai jamais entendu chanter ou jouer de la guitare en « direct » devant moi et peut-être que tout paraît meilleur à la télé, mais bon. En fait, je connais pas assez – pas du tout – le monde de la télé pour en juger. Mais moi, j’y crois, au talent de Tino. Je pense qu’il peut aller loin. On verra bien. Au moins, qu’il perde ou qu’il gagne, il aura eu un aperçu de ce qu’est la célébrité. Je me demande ce qu’il en pense de ça. Ça ne m’étonnerait pas que cela le mette un peu mal à l’aise.

- Et toi alors, tu t’es lancé dans quelque chose nan ?

Je bois les dernières gouttes de café qui restaient dans le gobelet et sourit. Il l’a remarqué ? Bon, c’était pas difficile. Il y a pas mal de papiers qui traînent. Des notes que j’ai écrites il y a plus ou moins longtemps ayant toujours eu cette idée de bouquin dans un coin de ma tête, des idées de titres, des citations et plein de trucs à la con. Faudrait que je fasse un peu de tri là-dedans, d’ailleurs. Y a pas mal de mes idées qui relues des années plus tard et d’un œil nouveau ne paraissent pas aussi bien.

- Euh … oui. Enfin … rien de trop concret pour l’instant.

J’hésite un peu à lui en parler, parce que si ça se trouve ce bouquin va rapidement me soûler et je vais tout foutre en l’air. Même si je suis pas du genre à renoncer à mes projets, d’habitude. Bah, ça coûte rien de lui en toucher quelques mots. Tino sait bien que je suis une bosseuse, que je multiplie les projets, ça ne le choquerait pas que plus tard je lui annonce que j’en abandonne un. D’ailleurs … plus ça va, et plus je me dis que ce ne serait pas un mal. De moins … m’éparpiller, de me concentrer sur quelques projets seulement. Je veux dire … tous ces projets, la boîte, Liza, je les ai surtout lancés pour assurer mon avenir, économiquement parlant, après le porno. Pour qu’on continue de parler de moi, aussi … ce n’est pas comme si tous ces projets comptaient réellement tous pour moi. Y a certaines de mes activités que j’apprécie plus que d’autres, c’est sûr. Je devrais peut-être en laisser tomber quelques-uns, me retirer quelques obligations, me laisser plus de temps pour moi.

Ou pas, en fait. L’avenir est incertain, alors je ne vais rien changer, pour le moment.

- En fait, je reprends, j’avais repensé à ce dont on a parlé l’autre fois, tu sais cette idée de livre qui me trottais dans un coin de la tête, alors, euh … je me suis lancée. Il n’y a pas très longtemps. Je ne peux pas trop t’en parler, je n’en suis qu’au début et, tu sais, c’est qu’un premier jet, tout ça.

Je m’attends à ce qu’il me demande s’il peut y jeter un œil. Ça ne me surprendrait pas, c’est une réaction logique. Mais bon ami ou pas, c’est mort. Je ne suis pas prête à montrer mon texte à qui que ce soit, pour l’instant. J’aurais trop honte – même s’il n’y a encore rien de tendancieux dans mes écrits.

- Je sais pas trop si c’est une bonne idée de m'engager là-dedans, mais de toute façon je n’ai rien à perdre.

Il faut toujours tenter de nouvelles choses. Tino le sait bien lui-même, sinon il n’aurait jamais tenté sa chance dans ce télé-crochet.

- Mais tu me connais, je me donne toujours à fond dans tout ce que j’entreprends ! Je ferai en sorte que ce ne soit pas complètement nul et illisible, je poursuis en riant légèrement.

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Elizabeth Goldstein & Tino Ramírez

De retour au bercail

J’ai bien fait de ne pas coucher avec Tino l’autre soir, maintenant que j’y repense. Sur son fameux canapé … je suis sûr qu’il s’en souvient encore, de cette histoire ! Moi aussi, bien sûr … parce que ça m’avait fait beaucoup marrer et surtout parce que c’était le jour où l’on venait de se retrouver après … ouais, presque vingt ans mine de rien. On s’est connus en 99, j’avais quatorze ans, et on s’est vus la dernière fois en 2001. J’étais jeune, belle et innocente. Aujourd’hui je suis moins jeune, encore plus belle et plus du tout innocente … et lui aussi, il a changé. Evidemment. Les gens changent, avec les années … parfois en mal. Heureusement, ce n’est pas notre cas, à Tino et à moi. Enfin, je ne pense pas. Bref … je suis bien contente qu’on ait rien fait qui puisse tout gâcher, créer une ambiguïté entre nous. Et je dois avouer que je suis bien contente qu’il n’ait jamais rien tenté, non plus.

- Si j'suis seul et décrépi aussi, j’te promets que je fais tout pour qu’on partage le même foyer pour vieux ! s’exclama mon ami, surenchérissant sur ma blague.
- Tu veux que j'en cherche un pas trop mal pour réserver nos places ? je répondit en riant.

Putain, ça fait du bien de se marrer ensemble comme on le faisait à l’époque. La bande qu’on formait à l’époque … maintenant que j’y pense elle me manque, merde. Faudrait qu’on se retrouve tous, un soir. Mais bon, c’est pas aussi facile qu’à l’époque. On a tous des responsabilités, un boulot, des enfants pour certains, peu de temps à consacrer à des futilités. C’est comme ça … c’est déjà pas si mal qu’on se soit retrouvés Tino et moi, par pur hasard. Et maintenant, on rattrape le temps perdu. Comme on peut.

Passons. On parle de The Artist. Tino semble douter de son talent. Je le rassure, en lui disant que s’il n’a pas été recalé dès le début, c’est bien qu’il vaut un minimum.

- On verra si je survis déjà au premier prime !
- Oui, c’est sûr. Et si tu ne passes pas, tu pourras au moins te dire que tu auras essayé, je lui réponds en posant ma main sur son épaule.

Bon, l’idéal c’est de gagner c’est sûr, et je pense que malgré ce qu’il dit, il en a envie. Sinon, il aurait même pas prit la peine de participer. J’imagine. N’empêche, quel dépaysement ce serait pour lui ! Passer de l’ombre à lumière – même si, et j’espère qu’il en a conscience, ce ne serait qu’une gloire éphémère et le public l’oublierait vite, passant à une nouvelle vedette. C’est triste mais c’est comme ça. C’est le monde actuel où tout va très vite. Après, je dis tout ça mais j’en ai aucune idée de ce qu’il peut se passer, en vérité. Tout ce que je sais, c’est que Tino a tout intérêt à ne pas prendre goût à sa soudaine nouvelle notoriété parce qu’elle peut disparaître tout aussi soudainement … mais vu son humilité, je ne pense pas que cela arrive. Je pense suffisamment le connaître pour dire qu’il préfère largement rester dans l’ombre.

La conversation diverge sur mes propres projets. Mon livre, même si on ne peut pas le qualifier de tel pour l’instant. C’est encore genre … un embryon de livre. Loin d’être arrivé à son terme, il ne ressemble pas à grand-chose, tout reste à faire. J’espère que l’accouchement ne prendra pas autant de temps que celui d’un bébé humain, cependant. Ça s’écrit en combien de temps un bouquin, normalement ? Je suis pas certaine que ce soit nécessaire de le savoir. Chacun à son propre rythme nan ? C’est pas suffisamment avancé pour que je le montre à qui ce soit en tout cas, même pas à Tino, ni même à mon père qui pourtant me soutiendrait à 100% dans ce projet.

- Et bien, ça j’le lierais ! s’exclame Tino.

Wow, merci ! C’est vrai qu’il ne peut pas trop voir mes autres œuvres … enfin, j’ai absolument rien contre mais je comprendrais qu’il ne souhaite pas me voir dans ce genre de situations. Même si ça m’étonnerait pas qu’il l’ait déjà fait, ne serait-ce que par pur hasard. Y a pas tellement besoin de me chercher pour me trouver …

- Au pire des cas, aucun éditeur n’en veut. Au meilleur des cas, il se fait éditer, se vend, et tu gagnes ne serait-ce qu’un peu de rentes, reprend Tino.

Oh, je ne fais pas ça pour l’argent. Pas que. Mais c’est vrai que je ne dirais pas non à quelques deniers supplémentaires, à mettre de côté pour mes beaux jours … même si, honnêtement, j’ai suffisamment d’économies pour vivre confortablement pendant quelques temps. Je ne suis pas millionnaire, peut-être en potentiel, mais je n’ai pas à me plaindre.

- Honnêtement, je pense qu’il fera forcément quelques ventes, avec mon nom sur la couverture …

C’est là que je suis contente de ne pas avoir choisi un pseudonyme ou un faux nom, comme tant d’autres pornstar. Enfin, je parle de ventes, mais si ça se trouve le bouquin sera nul à chier. J’essaierai de faire en sorte que ce ne soit pas le cas, quand même, dis-je à Tino.

- Et c'est moi qui suis trop modeste ? ironise mon ami avec un sourire. Avec tout ce que tu parviens à faire, et à réussir, je ne doute même pas que ça encore, ce sera une victoire. Je suis pas mal impressionné, par cette façon que tu as de savoir gérer autant de choses, différentes.

Je … je crois que c’est la première fois que Tino me fait rougir. Oh, c’est tellement adorable de sa part !

- Merci ! je lui réponds avec un sourire vraiment sincère.

J’ai envie de le prendre dans mes bras, alors je ne me gêne pas et je le fais.

- Franchement, Tino … je crois que te revoir est la meilleure chose qu’il me soit arrivée depuis longtemps.

Sans déconner. Il ne me juge pas malgré mon choix de vie et de carrière, il ne m’en a jamais voulu de m’être éloignée de lui si longtemps, et … il est juste super gentil avec moi. Et sans arrières pensées, je le sais. J’ai tellement de chance de l’avoir retrouvé, d’avoir un pote comme lui ! Sincèrement.

- Bon, je reprends en m’asseyant en tailleur sur le canapé, on fait quoi maintenant ? J’ai envie de m’amuser un peu. On sort ? On reste là ? Y a plein de trucs à faire ici ! J’ai un jacuzzi, un piano, un home-cinéma … j’avais un billard aussi avant mais je n’avais jamais personne avec qui jouer. Comme tu veux !

Je ne sais pas pourquoi je suis si enthousiaste. En tout cas, ça me donne l’impression d’être revenue au temps de mes quatorze ans. Franchement, ce n’est pas désagréable …

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Elizabeth Goldstein & Tino Ramírez

De retour au bercail

- Tu rougis ou c’est du blush ?

- Crois-le ou non, je n’ai pas une once de maquillage ! je réponds en souriant sur le même ton.

Enfin, juste un trait noir sous les yeux et un rouge à lèvres discret, quoi. On sait jamais, si on sort … et puis être tout le temps à mon avantage. Déformation professionnelle ? En partie j’imagine. C’est la seule chose qu’on me demande au boulot, d’être belle. De ne pas trop grossir ni maigrir, également. Parfois, on me suggère de faire de la chirurgie esthétique aussi, pour avoir une plus grosse poitrine ou je ne sais quoi – alors que bon, on la voit assez comme ça, non ? Croyez-moi, elle attire déjà bien les regards. Bon … qu’est-ce que je disais ? Ah, oui Tino. Ça fait peut-être niais, c’est peut-être un cliché, mais je crois que le retrouver est la meilleure chose qu’il me soit arrivée ces derniers temps ... et quelque chose me dit que ce n’est que le début, que j’en vivrai d’autres, des choses formidables. Je ne sais pas pourquoi … sans doute juste mon optimisme naturel, et le fait que tout ce soit toujours bien passé pour moi dans ma vie, globalement. Je veux dire, je suis une star du X célébrissime, millionnaire en potentiel, proprio d’une boîte de nuit qui ne marche pas trop mal, d’une marque de lingerie qui fait son petit bonhomme de chemin elle aussi, et peut-être bientôt je pourrais me dire auteure. C’est … un peu trop parfait, même. A un moment ou à un autre, ça va se casser la gueule. Mais bon, j’aimerais autant ne pas y penser, et profiter de ma situation tant que je le peux.

- J’suis pourtant pas vraiment certain d’être un cadeau, répond Tino à mon compliment.

Ouais, il est décidément bien trop modeste, ce garçon. Ou bien il n’a pas une grande opinion de lui-même, je ne sais pas … peut-être qu’il a raison de le dire, aussi, je ne sais pas tout de lui et de sa vie.

Bon, c’est pas tout ça, merci pour le café Tino, mais j’m’emmerde un peu là ! Je propose quelques activités à mon ami ; sortir, rester là pour traîner un peu dans mon jacuzzi, mater un film (pas pornographique bien sûr … sauf s’il me le demande, hi hi) dans mon home-cinéma … peu m’importe au final, tant qu’on est tous les deux.

- T’as vraiment un jacuzzi ?

Me demande-t-il avec un sourire. Bah, ouais, je vais pas mentir, surtout sur un truc que tu pourrais vérifier par toi-même en deux secondes, mon pote. Il est dans la salle de bain, en face de la grande douche qui fait aussi baignoire. Et puis vu ce que je paye tous les mois, j’espère bien avoir un peu de luxe ! même si en soi c’est superflu. Mais c’est pas mal quand on reçoit du monde. Ce qui ne m’arrive pas très souvent.

- Ouais ! Il y était déjà lorsque j’ai acheté l’appart il y a quelques mois. Autant en profiter !

- Tu l’as plus l’billard ? Attends, personne avec qui jouer, tu ne reçois jamais personne ?

Oui, je m’attendais à ce qu’il me pose cette question. C’est compréhensible. Je vis dans un appartement de rêve idéal pour tous les fêtards, et pourtant je ne reçois personne ? Bah, si, en fait. J’organise des soirées de temps à autre, parfois je reçois des amis. Ou des plans cul … mais ça reste rare. Je travaille beaucoup depuis que j’ai quitté Milan, je ne me suis pas forcément fait beaucoup d’amis par ici … et puis j’ai la bougeotte, je ne reste pas souvent à la maison. Je suis en tournage, ou à mon club ou que sais-je. Je voyage pas mal aussi …

- Si, parfois. J'exagère un peu … mais je n’ai pas souvent eu l’occasion de faire la fête, tu comprends ? Je travaille beaucoup, et puis je ne suis pas à New York depuis très longtemps au final. Et il y le fait que ça prend de la place aussi, je continue en souriant. Même si j’en manque pas. En fait, le billard était dans une pièce à part, une espèce de salle de jeux dont je n’avais pas vraiment besoin … à la place, j’en ai fait une salle de musique, insonorisée et tout. Ça peut servir de studio de tournage aussi, ou pour des shooting photo.

J’ai l’impression d’étaler un peu ma richesse avec cette réponse, mais bon. Au moins il sait tout ! Faudrait que je lui fasse une vraie visite de l’appart un de ces jours, d’ailleurs …

- Alors, on fait quoi ? je lui demande en le regardant dans les yeux.

- Comme tu veux, ça fait longtemps que je n’ai pas fait un billard. Je suis jamais allé dans un vrai jacuzzi. Et je suppose que le home-cinéma à la maison, non plus …

Tino, tu m’aides pas vraiment là, tu le sais ? Mais pas grave.

- Va pour le jacuzzi, alors ! je m’exclame avec enthousiasme, il est dans la salle de bain. Et tu sais quoi, je vais même nous prendre quelque chose à boire. Tu crois que c’est trop tôt pour du vin ?

J’ai toujours une bouteille de ma boisson préférée au frais. J’espère que ça ne me fait pas passer pour une alcoolique. Bref. Je commence à aller faire la cuisine, puis je m’arrête net quand je me rends compte d’un détail auquel je n’avais pas pensé.

- Oh mais j’suis bête, tu n’as pas de maillot de bain. J’y avais pas pensé … hum, comment on va faire ?

J’ai bien une petite idée, mais je sais qu’elle ne lui plaira pas alors je vais me taire. Sinon, il peut juste y aller en sous-vêtements. Il ne faudra pas plus de quelques secondes pour que ça devienne très gênant pour lui (vous voyez ce que je veux dire), mais je ne regarderai pas, promis. Ou juste un peu.

- Bon écoute, en attendant je vais aller chercher un peu de vin à la cuisine, et aussi un truc que je voulais te donner, avant que j’oublie à nouveau, me rappelant soudain.

Ouais, y a ce truc que je voulais lui donner depuis quoi … des semaines, depuis qu’on s’est revus ? Nan, c’est pas mon corps, j’vous voit venir. Bref, je prends congé une minute de temps d’aller prendre une bouteille de vin et deux verres à la cuisine, et le cadeau que j’avais rangé dans un tiroir de l’entrée.

- C’est pas grand-chose, je lui dis en revenant vers lui, mais j’ai pensé que ça te plairait.

Je lui donne le tout petit paquet, le laisse l’ouvrir, puis lui explique :

- C’est une carte de membre VIP pour ma boîte de nuit. Ça te sert à entrer sans devoir faire la queue, à accéder à l’étage réservé aux VIP et à avoir une réduction sur toutes les boissons au bar. Ça te sert à accéder aux soirées réservées aux membres aussi. Je te dois bien ça … tu es mon ami, après tout.

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