“Mom, I'm pregnant...
Emy & Diane
Assise sur le rebord de la baignoire, Emy fixait nerveusement le test de grossesse posé un peu plus loin, sur le lavabo. Dans sa main, elle tenait fermement son téléphone portable qui devait sonner la fin du délai de deux minutes conseillé sur la notice. Les deux minutes les plus longues de toute sa vie auxquelles aucune pensée ne parvenait à la distraire. C’était même tout l’inverse. Emy avait à peine le résultat définitif qu’une multitude de scénarios fusaient déjà dans son esprit. Elle avait l’impression de perdre pieds et la sonnerie du minuteur de son téléphone n’arrangea strictement rien… Fébrile, elle se leva péniblement de son assise de fortune pour récupérer le bout de plastique d’une main tremblante. Emy pouvait sentir le sang battre contre ses tempes au fur et à mesure que son souffle se faisait de plus en plus rare malgré son besoin d’oxygène. Elle trouva tout de même la force de poser son regard marron glacé sur le test de grossesse.
Positif.
Emy se sentit défaillir. Autour d’elle, la pièce se mit à tanguer dangereusement. Son visage devint soudainement brûlant, son cœur se mit à battre dans un rythme anarchique, son corps tout entier fut parcouru de frissons et de fourmillements caractéristiques. Elle espérait que fermer les yeux empêcherait la pièce de tourner, mais elle dût se tenir au bord du lavabo pour ne pas faillir. Prise d’une sueur froide et d’une nausée soudaine, Emy se rua au-dessus des toilettes pour y rendre le contenu de son estomac. Elle resta agenouillée au sol encore un petit instant, à attendre que les vertiges cessent, puis se redressa et passa de l’eau froide sur son visage devenu livide. Son regard inerte tomba de nouveau sur le test de grossesse, espérant presque qu’il ait changé de couleur. En vain. Emy était belle et bien enceinte. Machinalement, elle souleva son haut pour observer son ventre encore plat, prenant cette fois-ci toute la mesure de la situation. Elle avait 21 ans, encore étudiante, pauvre, une mère à la santé fragile dont il fallait s’occuper et maintenant un bébé ?! C’était tout simplement un cauchemar. Emy se sentit soudainement en proie à une rage profonde et en grande partie dirigée contre elle-même. Pourquoi diable fallait-il qu’elle soit aussi naïve ?! Des larmes de colère et de désespoir commencèrent à couler le long de ses joues tandis qu’un nœud de chagrin lui oppressait la gorge.
« Emy ? Tu peux venir m’aider ? » l’interpella sa mère derrière la porte.
La rouquine plaqua sa main contre sa bouche pour étouffer un sanglot et prit plusieurs inspirations dans l’espoir de reprendre un peu contenance avant de lui répondre sur un ton qu’elle voulait maîtrisé.
« J’arrive tout de suite, maman ! » répondit-elle.
Emy cacha le test de grossesse, tira la chasse d’eau, se débarbouilla une fois de plus le visage et ne quitta la pièce qu’après s’être assurée d’avoir une meilleure mine. Elle retrouva sa mère dans le fauteuil du salon, visiblement en train de s’administrer ses traitements.
« Me voilà. » lança-t-elle dans un sourire furtif.
Diane redressa la tête et accueillit sa fille d’un sourire franc.
« Peux-tu m’aider avec les injections ? Je ne suis toujours pas habituée et je crois que je ne m’y ferais jamais… » dit-elle en désignant la seringue posée sur la table.
« Bien sûr. » répondit Emy, esquissant un sourire qui ne resta pas sur son visage.
Telle une automate, l’étudiante infirmière prit toutes les précautions avant et après l’injection, tout ça sous le regard inquisiteur de sa mère.
« Voilà, c'est terminé. » dit-elle en séparant l’aiguille de la seringue pour les mettre dans les containers adaptés.
« Merci. J’ai de la chance d’avoir une future infirmière à la maison ! » La fierté perceptible dans sa voix rendit Emy profondément mal à l’aise. Elle détourna le regard, mais sentit la main de sa mère se placer sur sa joue.
« Chérie… Que se passe-t-il en ce moment ? » s'enquit-elle d'une voix douce.
« Rien. Tout va bien. ».
Mensonge. Elle savait que c'était peine perdue puisque sa mère arrivait toujours à la percer à jour.
« Non. Tu ne vas pas bien. Depuis plusieurs semaines déjà. Tu es ailleurs, je t’entends te réveiller la nuit, tu manges à peine et je t’entends aussi te faire vomir… »Emy redressa la tête avant de la secouer vigoureusement, rejetant en bloc les hypothèses de sa mère.
« Non, maman ! Ce n’est pas ça ! » lui assura-t-elle.
Diane caressa de nouveau sa joue affichant un sourire tendre et bienveillant.
« Emy… Nous aurions dû avoir cette conversation depuis longtemps déjà. Je sais que tu as choisi tes études par rapport à la maladie et que tu subis une grosse pression entre tout ça et ton job étudiant. Je suis fière d’avoir une fille aussi courageuse, dévouée et attentionnée que toi, mais je refuse de voir t’éteindre à petit feu. Si tu veux changer d’orientation professionnelle, alors tu devrais le faire. C’est ton avenir. Pas le mien. On trouvera un autre moyen. »Sa voix était douce, ça aurait dû rassurer Emy, mais ça ne fit que de la rendre plus mal à l'aise.
« Non, maman. Tu n’y es pas du tout. Ça n’a rien à voir avec tout ça. »« Alors quel est le problème ? Tu sais que tu peux m’en parler… » insista Diane, manifestement très inquiète pour son unique enfant.
Emy acquiesça. Il était vrai que sa mère s’était toujours montrée à l’écoute et indulgente concernant les petits écarts de sa fille, mais la situation actuelle était sans précédent...
« C’est à cause d’un homme que j’ai rencontré lors d’une soirée... » avoua-t-elle.
« Oh ! Je vois… »« Je n’étais pas à l’aise. Nos regards se sont croisés, il est venu me rejoindre et je ne sais pas comment, mais sa présence m’a rassurée. On a discuté. Il avait une prestance, un charme à la britannique, un je-ne-sais-quoi dans ses manières. On a… On a couché ensemble cette nuit-là et… le lendemain il n’était plus là. »« Oh chérie ! Je suis désolée… Mais s’il t’a brisé le cœur, n’appelles pas ça un homme. Tu trouveras la bonne personne. Quelqu'un qui t'aimera vraiment pour qui tu es. »Bien sûr que sa mère ne penserait qu’à une simple peine de cœur. Elle ne pouvait sûrement pas croire sa fille assez stupide pour coucher avec quelqu’un sans se protéger, et pourtant…
Comment aborder la chose ? Emy lâcha un soupir, fermant les yeux pour se donner du courage avant de fixer de nouveau le regard de sa mère.
« Je ne me fais pas vomir, maman... » lança-t-elle d'un ton plaintif. Elle aurait tellement voulu que sa mère puisse lire en elle à ce moment précis pour ne pas avoir à y mettre les mots.
« Je suis enceinte. »Sa mère était à présent aussi pâle qu'elle.
« Tu veux dire que vous ne vous êtes pas... ».
Elle n'eut pas besoin d'achever sa phrase. Le teint blafard d'Emy vira au rouge tandis qu'elle secouait la tête à la négative cachant son visage dans sa main.
« Je suis tellement stupide ! » Alors qu'elle s'attend à un savon de la part de sa mère, celle-ci recule la main de son visage pour s'en saisir et l'obliger à la regarder dans les yeux.
« Tu n'es pas la seule responsable, Emy. Ce sont des choses qui arrivent. »Ce sont des choses qui arrivent. Cette phrase peut sembler anodine et pourtant, elle est le leitmotiv de la famille Jameson depuis des années maintenant. Elle y revient constamment dans les situations compliquées : le meurtre de Louis, la maladie de Diane, sa perte d'emploi et maintenant ça...
« Ce sont des choses qui arrivent. » répéta-t-elle à son tour dans un chuchotement.
Elle se sent déjà mieux. Sa mère le perçoit et aborde donc le sujet épineux.
« Que comptes-tu faire, maintenant ? »Il y eut un flottement. Emy avait eu le temps de réfléchir dans la salle de bain, pendant les deux longues et interminables minutes d'attente. Garder un enfant avec sa situation, ce n'était pas raisonnable du tout.
« Je suis trop jeune, je n'ai pas de diplôme, pas de travail et... Il... n'aura pas de père. Je ne veux pas de cette vie-là pour moi ou... pour lui. Je... Je ne le garde pas. » assura-t-elle.
La main de Diane glissa alors dans sa chevelure rousse et elle l'attira contre elle pour serrer sa fille dans ses bras.