Il était sept heures et des brouettes lorsque Aaron quitta la caserne, finissant sa toute première garde de vingt-quatre heures en tant que lieutenant d'une des unités de Rescue du service incendie New-Yorkais.
Le démarrage s'était effectué tout en douceur à son grand soulagement; peu d'appel et le temps pour lui de s'acclimater à ses nouveaux collègues, au rythme de travail ainsi qu'aux outils qu'il allait désormais utiliser. Travailler dans une ville qui n'avait de cesse de bouger, qui ne s'arrêtait jamais n'était pas de tout repos et il le savait. Ou du moins il se préparait à s'en rendre compte par lui-même.
Le repos, c'était exactement ce qu'il avait réussi à s'adjuger durant la nuit et ce, malgré un appel de détresse vers une heure du matin.

En sortant de la caserne, il avait pu voir le soleil se lever et les belles couleurs qui en avaient émergé. Le ciel orangé s'était alors reflété dans les vitres des grattes-ciel, offrant au jeune homme un spectable de verre et de lumière fabuleux.

Il n'était arrivé que depuis deux jours et même s'il avait déjà vécu pendant plusieurs années dans la grande pomme, son retour allait lui demander à nouveau quelques jours d'adaptation. Cela ne l'effrayait pas pour autant, lui qui avait été habitué à voyager et à sillonner les villes du pays.
En pensant à ce qu'il venait de quitter, il eut le sourire. Il était revenu pour une bonne raison et rien que le fait d'y penser suffisait à le mettre de bonne humeur. Il ne regrettait en rien son poste de garde-côte, même en ajoutant le privilège qu'il avait eu de travailler avec son père. Il l'avait vécu et c'était tout ce qui importait. Il avait désormais tourné la page de cette partie là de sa vie, voulant se concentrer et se consacrer totalement aux nouvelles aventures qu'il s'apprêtait à vivre ici.

C'est donc avec le sourire qu'il rentra chez lui. Mais pas question de dormir, il se sentait en forme et prêt pour attaquer cette nouvelle journée qui s'offrait à lui.
Il se changea et alla courir, profitant d'habiter près de Central Park pour aller faire quelques foulées entre les arbres et les espaces verts. Malgré l'heure matinale, il croisa de nombreux joggeurs, les saluant d'un signe de tête ou d'un signe de la main lorsqu'il les doublait. Garder une activité en dehors du travail était primordial pour lui, c'était sa manière de souffler, de décompresser et d'évacuer le trop plein d'émotions qu'il gardait en lui. Il avait toujours fonctionné ainsi, pratiquant du sport plusieurs fois par semaine et conservant une hygiène de vie irréprochable, ce qui lui permettait d'être un sauveteur hors-pair.
Plusieurs personnes lui jetèrent des regards insistants tandis qu'il s'était arrêté pour effectuer pompes et tractions mais il n'y fit pas attention; il n'était pas revenu pour agrandir sa liste de conquêtes. Il n'y avait qu'une personne qui comptait à ses yeux. Une seule femme, celle qui avait, il y a plusieurs années de cela, obtenu la clé de son coeur. Il était là pour elle, dans l'espoir de la reconquérir et de faire repartir leur amour.

Aaron enleva ses écouteurs un instant, le temps d'entendre les oiseaux chanter dans les arbres. Cela faisait partie de la magie New-Yorkaise, se retrouver à la fois en plein centre ville mais être également assez coupé de cette atmosphère la pour ne plus entendre ni le brouhaha des passants ni le klaxon des voitures. C'était comme si plusieurs mondes co-existaient en même temps au même endroit.

Après presque deux heures passées à se dépenser, il rentra de nouveau chez lui et se doucha. Il passa ensuite une grosse heure à réviser les protocoles de sauvetage de son unité mais se démotiva rapidement en voyant le ciel bleu et le soleil qui pointait déjà haut dans le ciel. Les beaux jours approchaient de plus en plus et il avait déjà envie d'en profiter pour ne pas rester cloisonné dans son appartement. Midi sonnant à sa porte, il se prépara un bon repas pour compenser avec l'énergie qu'il avait perdue dans ses activités matinales. Après quoi, il sortit de nouveau et se dirigea encore vers l'étendue verte plantée en plein milieu de Manhattan.
Il commença par écouter des compositions instrumentales à l'ombre d'un arbre et ferma les yeux, se délectant de la légère brise qui venait lui caresser la peau. Aaron aurait pu s'endormir ainsi, berçé par les notes, tantôt de piano, tantôt de violon, plus douces les unes que les autres. Ses pensées s'envolèrent loin, le laissant revivre des moments passés qui l'avaient marqué; allant du cri du marin emporté par l'Océan, passant par les rires d'un enfant rencontré à Houston et revenant au beau et doux visage de celle qu'il chérissait toujours. C'est en pensant à elle qu'il rouvrit les yeux et s'aperçut en regardant l'heure qu'il s'était effectivement assoupi.
Il se leva alors et entreprit de continuer la promenade qu'il avait commencé. Soudain, alors qu'il marchait tranquillement, une balle de baseball roula jusqu'à ses pieds. Il la ramassa et tourna la tête dans sa direction de provenance. Un petit garçon qui ne devait pas avoir plus de huit ans le regardait et il devina au gant en cuir qu'il portait à la main que la balle lui appartenait.
- Attrape. lui dit-il en la lui renvoyant doucement.
La balle termina sa course dans le gant du garçon qui lui sourit et le remercia. Aaron leva son pouce pour le féliciter puis reprit son chemin.

Arrivant à un banc se trouvant à l'ombre d'arbres, il décida à nouveau de s'arrêter et, après avoir remis ses écouteurs, il s'allongea, voulant profiter du cadre idyllique dans lequel il se trouvait.

- Qu'est ce qui m'attends cette fois dans la plus belle ville du monde ? se demanda-t-il intérieurement.

Le printemps était arrivé sur la grande pomme et Nina n’avait que très peu mis le nez dehors depuis quelques jours. Ressassant les rumeurs sur son ex et surtout, l’épisode d’ivresse du quarantenaire chez elle, elle passait son temps à attendre de ses nouvelles, attendre qu’il en ait fini avec sa copine et sa maitresse, espérant que leur histoire puisse redémarrer.

Ce matin-là, elle n’avait une nouvelle fois que très peu dormi. Un ras le bol d’être dans ces quatre murs et surtout, le jour de la finale de The Artist. Elle allait le revoir, au moins sur l’écran ce soir-là et cela ne faisait que de lui tordre l’estomac. Un besoin de prendre l’air la prit subitement tandis qu’elle posait son téléphone sur la table basse. Elle avait l’impression de décrépir dans son appartement insipide. Peut-être faudrait-il d’ailleurs qu’elle commence à songer à le décorer, à en faire quelque chose qui lui ressemble après tout. Cela faisait plus d’un an qu’elle y vivait et il représentait toujours aussi bien l’exemple parfait du logement témoin.
Enfin bref, après s’être douchée et avoir enfilé une robe, elle prit des baskets en toile et son sac à main, sans oublier son gadget favori, à savoir son smartphone pour tout savoir sur tout, n’importe quand, n’importe où. Une veste sur les épaules, elle descendit les escaliers de l’immeuble et arpenta les rues de Manhattan en direction de Central Park. La brise fraiche la réveillait un peu plus et cela lui faisait le plus grand bien. Elle devait aussi se rendre à un entretien professionnel la semaine suivante, pour travailler pour une boutique de prêt-à-porter. Le monde des réseaux sociaux l’attirait mais elle savait bien qu’elle ne pourrait pas gagner sa vie facilement par ce biais, du moins, pas eu début.

Elle s’arrêta à l’entrée du parc, prenant un Starbucks au passage pour tenir éveillée et avança au milieu des promeneurs et des sportifs. Les pelouses commençaient à fleurir et les arbres à être bien garnis. La française n’était pas une amoureuse de la nature mais, après autant de temps à ne vivre qu’à travers des écrans, le parc était le seul endroit où elle avait envie de se rendre. Le parc était tellement grand qu’elle avait peu de chances de tomber sur des connaissances. Ses amis, elle les aimait plus que tout mais, clairement, elle n’avait pas envie qu’on la regarde, l’épie pour évaluer comment elle se portait, comment elle supportait la chose, si elle mentait dans ses messages, si elle avait continué à perdre du poids, si elle s’était maquillée, coiffée ou autres détails que les proches aiment remarquer quand on n’est pas bien.

Nina n’arrivait cependant pas à décrocher totalement de son téléphone, continuant de texter avec ses amis. Elle s’installa sur un banc, son café à la main et les réseaux sociaux ouverts, s’instruisant des moindres potins, au lieu de profiter de ce qui se passait devant elle. Quand elle releva la tête, elle se trouva nez à nez avec un couple d’amoureux transits sur le banc d’en face. Une image qui la mit mal à l’aise, et surtout, la ramena à des souvenirs la rendant nostalgiques. Elle termina sa boisson chaude et se leva. Elle n’avait pas envie de voir ça et en avait assez de tout ramener à cette histoire, d’autant qu’elle avait de plus en plus de mal à savoir si elle était terminée. Sa vie ne tournait qu’autour de ça en ce moment et ce n’était plus possible, pas soutenable.

Arrivant près d’une poubelle, elle lança son gobelet, mais rata sa cible, tombant à quelques centimètres d’un homme allongé dans l’herbe. « Merde. » marmonna-t-elle avant de s’avancer pour le ramasser. « Je suis désolée. » s’excusa-t-elle auprès de l’inconnu en ramassant le contenant. Elle lui sourit cependant, pas certaine qu’il l’ait entendu avec ses écouteurs, avant de venir poser l’objet à l’endroit où il devait être. Elle regarda à nouveau l’homme qu’elle avait dérangé. « J’ai jamais été très douée pour le sport. » tenta-t-elle, ne sachant pas s’il était le genre de personnes à prendre la mouche pour ce genre de choses.

Cela faisait déjà un bon quart-d'heure qu'il était là, allongé dans l'herbe. Il avait tout d'abord commencé par fredonner les paroles des chansons qu'il écoutait puis s'était mis à somnoler, se laissant emporter par la fatigue de sa première garde à New-York.

Alors qu'il continuait à divaguer entre rêves et réalité, un objet tomba non loin de sa tête, accompagné d'un "Merde." qu'il parvint à entendre du fait du faible volume de sa musique.
Il se redressa et entendit dans le même temps la femme qui avait lancé l'objet lui présenter ces excuses. Il jeta un coup d'oeil à la poubelle, non loin de lui. A vrai dire, ce n'était pas vraiment non plus de la faute de la demoiselle, quelle idée aussi avait-il eu de s'allonger aussi près d'un contenant à déchets ?
Elle lui fit un sourire avant de reprendre son gobelet de chez Starbucks pour cette fois le mettre dans l'endroit prévu à cet effet puis le regarda à nouveau.
Aaron plissa les yeux, cherchant à réadapter sa vision à la luminosité plutôt forte de l'instant. Il put ainsi détailler la femme qui était toujours devant lui. Elle semblait plus jeune que lui, était blonde, plutôt grande et portait une robe qui la mettait en valeur. Le jeune homme la trouva un peu pâle de peau, sans savoir si c'était là son teint naturel ou pas. A vrai dire, elle n'avait pas vraiment l'air dans son assiette, comme si elle était préoccupée, que quelque chose n'allait pas. Peut-être se trompait-il bien sûr, mais c'était son premier ressenti en la regardant.
- J'ai jamais été très douée pour le sport. lui dit-elle, tentant sans doute d'une manière détournée de détendre l'atmosphère.
Cette phrase le fit sourire. Il n'était pas du genre à se mettre en colère pour si peu; il en fallait même beaucoup pour réussir cet exploit et ce n'était pas un petit gobelet presque tombé sur sa tête qui allait le mettre en rogne. Son visage arbora alors une expression amusée tandis qu'il se levait de son coin d'herbe et enlevait ses écouteurs, se mettant ainsi au niveau de la jeune femme.
- Je ne savais pas que le lancer de gobelet dans des poubelles était un sport. lui répondit-il, cherchant à lui montrer par en même temps qu'il ne lui en voulait pas. Il associa sa déclaration à un autre sourire, plongeant par la même occasion son regard dans les beaux yeux de cette inconnue. Au premier abord, elle semblait plutôt charmante.
- Vous devriez ranger votre portable et profiter du soleil. C'est une très belle journée. commenta-t-il en levant les yeux vers le ciel bleu, voyant également au travers des branches et des feuilles des arbres l'astre solaire.
Il espéra à son tour après coup qu'elle ne prendrait pas cette remarque comme une pic. Il n'avait en aucun cas l'intention de la juger, cela ne faisait pas partie de sa manière d'être.
- Je sais que cela ne me regarde pas; mais vous n'avez pas l'air très en forme. Est-ce que tout va bien ? lui demanda-t-il, sérieusement cette fois, sans pour autant vouloir se mêler de choses qui ne le concernaient pas. Il était dans sa nature de s'inquiéter pour les gens et il faisait toujours du mieux qu'il pouvait pour les aider, s'il en était capable.

@nina leroux

- Vous donnez des leçons à tous les inconnus que vous croisez ? lui demanda-t-elle en le dévisageant.

Aaron aurait dû s'attendre à prendre une réflexion en retour. Il s'était rendu compte au moment de parler que sa suggestion pouvait être mal interprétée, ce qui avait vraisemblement été le cas. Il était souvent trop honnête, au point de donner le fond de sa pensée de manière soudaine, sans chercher à adoucir le sens de ses mots.
De plus, la jeune femme avait raison. Il ne la connaissait pas et à première vue, on aurait pu croire qu'il la jugeait. Ce n'était pas le cas mais cela pouvait être perçu comme tel.

Elle allait s'en aller, poursuivre sa route. Il aurait pu la laisser partir, en rester là, sur cette phrase. Mais si Aaron n'aimait déjà pas de base que les choses se finissent sur un mauvais point, il ne voulait surtout pas que ce soit le cas lorsque la personne en face de lui avait en plus l'air de ne pas aller très bien. Il lui posa alors cette question, voulant cette fois entrer dans le dialogue avec elle et non pas tourner son interrogation comme une autre réflexion.
La jeune femme leva les yeux au ciel et il pensa alors qu'elle avait à nouveau prit sa question comme une remarque déplacée de sa part. Il la regardait, attendant qu'elle s'en aille simplement ou qu'elle lui envoie à son tour une pic mais à sa surprise, elle vint s'asseoir à côté de lui et commença à faire tourner les brins d'herbe entre ces doigts.

- Ca se voit tant que ça ? lui demanda-t-elle en crevant finalement le silence qui s'était installé. A son intonation de voix, il n'avait pas l'impression qu'elle voulait discuter avec quelqu'un. Pourtant, grâce à cette question, peut-être parviendrait-il à engager la conversation avec elle et à comprendre ce qu'il se passait dans sa vie.

- Suffisamment pour que je le remarque. lui répondit-il simplement. Sa réponse était simple mais il ne voulait pas la braquer encore plus.

- Vous êtes psy ? lui demanda-t-elle ensuite. La question sonnait presque comme une réflexion à elle seule, comme pour lui rappeler à nouveau que ses mots précédents avaient été déplacés. Mais Aaron ne se vexait pas facilement. Il n'était pas non plus très susceptible et la question le fit sourire. Il ne savait même pas si c'était une vraie question ou une manière de lui faire comprendre qu'elle ne souhaitait pas parler de ça avec lui.

- Oh non, pas du tout ! Loin de moi cette prétention. lui dit-il honnêtement tout en s'asseyant à côté d'elle. Le regard de la jeune femme fuyait devant elle et lui se demanda ce qu'il pouvait bien se passer dans sa tête pour qu'elle ai le teint si triste.

- Je vous prie de m'excuser pour ce que j'ai dis. Mes mots n'avaient pas pour but de vous juger... Enfin bref, je suis désolé. lui déclara-t-il en souriant malgré tout. Il se rendit compte qu'il était lui-même en train de triturer l'herbe avec ses doigts, effectuant aussi rapidement qu'inconsciemment des noeuds de bateliers avec les brins qu'il arrachait.

- Si vous avez besoin de parler, je vous écoute. Et sinon, je peux toujours chercher une manière de me rattraper.. dit-il en tournant la tête dans sa direction. Il espérait capter une émotion, une expression de visage, quelque chose qui lui dirait comment faire avancer tout ça.

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