Très matinal comme d’habitude, en me levant et sortant de ma chambre je m’aperçois que je ne suis pas le premier à être debout. Effectivement, Luciano est déjà debout et il est en train de préparer le petit déjeuner dans la cuisine. Je m’approche et lui tapote doucement le bras pour capter son attention. Il sursaute. Signant que je suis désolé et que je ne voulais pas lui faire peur, je lui adresse un sourire. On termine de préparer le petit déjeuner puis Maria nous rejoint. Après le petit déjeuner je vais me préparer. J’enfile donc un jogging, un débardeur et des baskets. Comme tous les matins avant d’ouvrir le garage je vais faire un footing. Ça me permet de m’aérer l’esprit et de profiter de l’air frais. Une fois prêt le trio quitta l’appartement. Maria partit en direction du métro pour se rendre en cours. Ensuite le plus jeune regarda son aîné tout en se concentrant.

- J… oon. Joon.

Regardant mon petit frère un peu surpris, j’hochai la tête avec un sourire bienveillant. J’étais très fier de Luciano. Sur le coup quand il m’avait demandé de lui apprendre à parler après avoir vu un film sur Disney +, j’étais un peu sceptique. Pour moi, ça relevait un peu de l’impossible qu’un sourd puisse parler. Bon ok, mon frère n’est pas complètement sourd mais quand je lui parle il ne m’entend pas. Mais je n’ai pas pu résister à son regard suppliant. En nous aidant du film je lui ai appris cerf-volant, car c’était le premier mot dans le film. Ensuite même si elle n’est plus là depuis des années, il a voulu apprendre le mot "maman" - comme dans le film. A ma grande surprise Luciano a réussi. Depuis nous continuons de temps en temps. Il connaît nos prénoms et sait dire le sien. Pour l’instant il est incapable de faire une phrase, il sait juste dire certains mots. Bref, revenons à nos moutons ! Le brun me demanda s’il pouvait venir avec moi faire le footing. Je le dévisageai de la tête aux pieds avec un sourire. Il s’était habillé de manière à faire du sport, un footing. Bien sûr j’acquiesçai. Ce qui me valut un sourire de sa part.

Courant tranquillement, on profitait du paysage et de la fraicheur du matin. Soudain le plus jeune me tapota l’épaule pour attirer mon attention. Mon regard se reporta sur lui et il me montra une silhouette un peu plus loin en m’indiquant que c’était Hiiro. On disait souvent que les personnes handicapées qui avaient un sens en moins – comme Luciano – avaient les autres sens un peu plus développés. Visiblement c’était vrai avec mon frère, parce que pour moi c’était une silhouette de là où j’étais. En se rapprochant, il se trouvait qu’il avait raison. Je saluai alors mon ami de la main.

- Salut Hiiro ! Ça va ?

Alors que ma sœur était parti en direction de la fac, mon frère m’avait demandé s’il pouvait venir avec moi. Evidemment j’avais accepté et nous étions partis faire notre footing. Luciano aimait beaucoup courir du côté de Shore Park et Parkway. Je n’étais pas rassuré avec l’eau, mais je courais le plus loin possible. Après il fallait avouer que le paysage était sympa malgré tout. De temps en temps on écoutait un peu de musique, parce que le plus jeune sentait les vibrations. Mais aujourd’hui il n’avait pas envie, donc ils resteraient juste avec le bruit de l’eau qui frappait de temps en temps contre les rochers. Puis Luciano repéra un jeune homme familier au loin, Hiiro. C’était un client du garage et un ami. Une fois qu’on fut tous les trois au même niveau, je le saluai et lui demandai comment il allait.

- Oh ? Salut, Joon ! Tranquille, et toi ?

J’hochai la tête avec un sourire.

- Tranquille aussi. On fait notre petit footing et après je vais travailler. Les voitures ne se réparent pas toutes seules malheureusement.

Un petit rire s’échappe de mes lèvres. Soudain je vois Hiiro s’adresser à mon frère en langage des signes. J’observe ses signes. Puis je regarde Luciano pour voir s’il a compris. Ce dernier adresse un sourire au japonais et lève son pouce en hochant la tête pour répondre à la question du jeune homme et montrer qu’il a compris. En gros ça veut dire qu’il a bien réussi les signes. L’américano-espagnol est touché de voir son ami lui parler en langue des signes. Il pourrait très bien communiquer à l’écrit avec un bloc notes après tout. Mon frère me tapote le bras et me demande – en langage des signes évidemment – de lui apprendre à dire Hiiro. Il aimait beaucoup apprendre les prénoms. Je pense que pour lui ils avaient une certaine importance, car ça lui évitait d’appeler les gens en leur tapotant l’épaule. Une idée me vint en tête. Je reporte mon attention vers mon client.

- Il veut apprendre à dire ton prénom. Ça te dit de lui apprendre ? T’inquiète pas je te lâche pas comme ça, je te montre comment faire et tu le fais.

Regardant mon frère, je lui demande s’il est d’accord si c’est Hiiro qui lui apprend directement son prénom. Il me dit qu’il est d’accord, ça ne le dérange pas. J’attends de voir si le nippon est d’accord avec l’idée ou s’il préfère que je lui apprenne moi.

- Je vois ça, en effet. Vous avez raison, ça du bien le footing du matin.

D’un hochement de tête j’acquiesçai. Ça faisait toujours du bien, surtout en été avec la fraicheur du matin. Luciano fut content qu’Hiiro lui adresse quelques mots si l’on peut dire. Il n’avait pas l’habitude que les autres lui parlent en langage des signes. Avec Maria, on était les seuls à le faire. Bien que maintenant il y avait le japonais aussi. Quand Hiiro m’avait demandé de lui apprendre le langage des signes pour pouvoir communiquer avec mon frère, ça m’avait étonné sur le coup mais ça m’avait aussi touché. Je trouvais ça gentil de sa part. Puis mon frère me demanda de lui apprendre à dire Hiiro. Une idée me vint alors en tête et je la proposai à notre ami.

- Ah oui mon prénom ? Moi ?

- Non le père Noël ! dis-je en lui tirant la langue et en riant.

Il le faisait exprès ou quoi ? On était que tous les trois. Il n’y avait pas d’inconnu dans le lot. Ah ! C’était peut-être le fait que Luciano veuille apprendre son prénom qui le surprenait. La première fois que mon frère m’avait demandé de lui apprendre à parler j’avais été surpris aussi. Luciano buvait un peu d’eau et ne nous regardait pas.

- Je pense que les prénoms ont une signification particulière pour lui. Disons que la seule manière qu’il a d’interpeller les gens c’est de tapoter le bras pour attirer l’attention. A la longue, ça doit être gênant, triste. Les prénoms c’est personnel, donc ça rend la chose plus jolie.

J’avais remarqué qu’il me demandait beaucoup de lui apprendre des prénoms. Pas tous les prénoms bien sûr mais uniquement ceux des personnes qu’il aimait. Il avait commencé avec le mien, ensuite il avait appris celui de sa jumelle et le sien. Il m’avait même demandé à apprendre Roselya, le prénom de ma professeure de coréen. Pour celui-là, j’avais une idée de la raison pour laquelle il avait voulu l’apprendre. Mais je ne lui ai jamais posé de question concernant ce sujet.

- Comment peut-on lui apprendre ça ? Il sait dire des trucs ?

Luciano, qui avait à nouveau reporté son attention sur les deux asiatiques, observa la situation. Même s’il n’entendait pas et ne comprenait pas ce que disait Hiiro, il avait l’impression que le nippon ne croyait pas son grand frère. Le malentendant n’aimait pas qu’on ne croit pas Joon à cause de lui.

- Luciano…

Mes yeux se reportèrent sur mon petit frère, un peu surpris. Il avait compris ce qu’avait dit Hiiro ? Non. C’était seulement son merveilleux pouvoir d’observation et d’analyse des situations, qui lui venait sans doute du film qu’il adorait. Comme à chaque fois après avoir prononcé un mot, son réflexe était de me regarder. En voyant son regard presqu’un peu inquiet je lui adressai un petit sourire rassurant. Son inquiétude laissa place à un sourire. Puis je lui demandai – en langue des signes – s’il voulait que je lui apprenne un nouveau mot, comme ça on montre à Hiiro. Evidemment il accepta d’un mouvement de tête. Nous allâmes nous asseoir sur le banc juste à côté, l’un en face de l’autre. Ensuite je reporte mon attention sur mon ami pour lui expliquer.

- Je vais lui apprendre un mot pour que tu vois comment il faut faire. Je précise qu’il ne le connaît pas. dis-je avec un sourire. Quand on parle ça fait des vibrations. dis-je en mettant ma main sur ma joue. C’est ça qu’il va capter en même temps que le mouvement des lèvres. Maintenant écoute et observe.

Reportant de nouveau mon attention sur mon frère, je lui dis de faire comme si on était que tous les deux, de faire abstraction de ce qui nous entoure (y compris Hiiro). Une fois qu’on fut tous les deux prêts, la leçon commença. Luciano me tendit sa main, je l’attrapai doucement et la posa contre ma joue, tout en gardant ma main contre la sienne.

- Ami.

Je le répétais plusieurs fois lentement et en articulant bien. Le malentendant était très concentré. Je n’avais peut-être pas choisi le mot le plus simple. Mais j’avais retenu la leçon, mon frère avait beaucoup de volonté.

- A... mi…

Un sourire sur les lèvres je lui fis signe que c’était ça et de le répéter encore une fois. Il me regarda avec un sourire.

- Ami… Ami…

Mes lèvres s’étirèrent davantage. Je connaissais mon frère, même si nous n’étions pas lié par le sang. Puis je décidai de lui montrer quel signe il avait appris. En voyant le signe ses yeux s’écarquillèrent de surprise. Je pense qu’en réalité c’était un mot qu’il voulait apprendre mais qu’il ne pensait peut-être pas que je lui apprenne de mon plein gré et par surprise comme ça. Je lui confirmai donc que c’était bien ce mot qu’il venait de dire. Son sourire s’agrandit, tellement il était content de l’avoir appris.

- Ami…

Soudain Luciano me serra dans ses bras. Je fus un peu surpris sur le coup mais je refermai mes bras contre lui pour accepter son étreinte. Connaissant mon petit frère, c’était pour me dire merci de lui avoir appris « ami » sans qu’il me le demande et par surprise. Il mit rapidement fin à l’étreinte et se repositionna correctement sur le banc, prêt à apprendre le prénom. Je reportai alors mon attention sur Hiiro.

- Alors tu veux essayer ? Ou je le fais moi ? demandai-je avec un sourire.

Explication:

- Mmh... Je comprends. J’imagine son ressenti même si ce n’est pas très évident de se mettre à sa place.

C’est toujours difficile de se mettre à la place d’une personne avec un handicap comme celui de mon frère. On ne fait qu’imaginer mais ce n’est pas évident. La vie avec un handicap n’est jamais facile de toute façon, surtout quand le handicap ne se voit pas. Quand on voit Luciano dans la rue on ne dirait pas qu’il est malentendant et muet, parce que dans un certain sens c’est invisible.

- Mais, c’est d’accord.

Soudain mon frère se met à dire son prénom, comme s’il avait compris de quoi on parlait. Je lui adresse ainsi un sourire pour le rassurer. Attentif à la réaction d’Hiiro je vis sa surprise et son étonnement en entendant la voix de mon petit frère.

- Incroyable !

Un sourire s’afficha sur mes lèvres. Je traduis le mot que venait de dire notre ami en langage des signes pour que Luciano comprenne la réaction. L’espagnol était rassuré, parce que cela voulait dire qu’Hiiro croyait Joon maintenant. Il fut même un peu surpris en voyant les applaudissements du nippon. Puis je m’installai sur le banc avec mon frère et montrai comment faire pour lui apprendre un mot. J’avais décidé de lui apprendre le mot « ami », car je savais que c’était un mot important pour le plus jeune. Réussissant à prononcer le mot correctement, Hiiro s’exclama stupéfait.

- Oh, c’est génial cet exercice. Je ne savais pas que c’était possible de faire ça !

Avant de répondre à mon ami je préférais terminer la session d’apprentissage avec Luciano, histoire qu’il ne se mélange pas. Tout fier, il redit le mot que je venais de lui apprendre. Ensuite je lui avais montré dans sa langue quel mot il venait d’apprendre. Il en fut très touché. Puis je reportai mon attention sur Hiiro en lui demandant s’il se sentait de lui apprendre ou s’il voulait que je le fasse pour lui.

- Mh... Oui, je vais essayer, mais je ne promets rien !

- T’inquiète pas ! dis-je en souriant. Moi non plus je savais pas que c’était possible. C’est lui qui a découvert ça en regardant un film sur Disney + qui le montrait. Il m’a fait regardé le film en me disant que lui aussi voulait apprendre à parler.

Laissant donc ma place à Hiiro je les observe donc tous les deux. Je souris intérieurement en voyant la main hésitante du japonais. Mon frère sourit gentiment en sentant l’hésitation de son interlocuteur et lui donne sa main sans aucune appréhension. Quand Hiiro demande à mon frère s’il est prêt, Luciano n’a pas besoin d’entendre ce qu’il dit car il a très bien compris. Donc il lui répond avec un hochement de tête et un sourire décidé.

- Hiiro. Hii-ro.

Sa main sur la joue du nippon, il se concentra attentivement sur le mouvement des lèvres d’Hiiro et les vibrations qu’il sentait sur la joue. Ainsi il essaye de reproduire la même chose.

- Hi…

Je décide de les aider un peu et reporte mon attention sur Hiiro pour le guider un peu dans l’enseignement de l’élocution.

- Redis-lui juste la première syllabe. Ne me regarde pas, regarde uniquement Luciano.

Hiiro ne doit pas détourner son regard de celui de mon frère. Il faut qu’il reste très concentré sinon ça ne marchera pas. Il n’a pas besoin de me regarder pour comprendre le guidage. Mon ami s’exécute tandis que Luciano est toujours aussi déterminé.

- Hii…

Mes lèvres laissent apparaître un sourire.

- Parfait. Maintenant uniquement la dernière syllabe. Par contre ne t’attends pas à ce qu’il roule parfaitement le r. Il ne pourra jamais le dire comme nous.

Deux fois sont nécessaires pour que mon frère comprenne.

- Ro…

N’ayant pas vraiment rouler le « r », il se reprend aussitôt en le roulant davantage et enlève sa main du visage de notre ami.

- Ro… Hii-ro… Hiiro…

Ensuite il me regarde pour savoir s’il l’a bien dit. Je lui adresse un sourire avec un petit hochement de tête pour lui montrer que d’après moi oui. Techniquement ce n’est pas à moi qu’il devrait poser la question, mais je sais que je suis un peu comme son repère. Un sourire apparaît sur son visage puis il m’adresse quelques signes. Je reporte mon attention sur Hiiro.

- Bien que j’ai validé en ce qui me concerne, il te demande si c’est ça.

- Hiiro… Hiiro…

Content d’avoir appris un nouveau prénom, Luciano regarde un instant l’eau au loin, sans vraiment attendre la réponse du concerné.

- Hiiro… ami…

L’espagnol reporte à nouveau son attention sur Hiiro et moi.

- Hiiro… mon… ami… dit-il avant de regarder le japonais.