Il est donc revenu. Officiellement. Il en avait eu des échos, mais jamais de preuve tangible, jusqu’à ce que la radio de la ville s’en prenne à lui. A Ezra. A Tino aussi, mais ça, c’est une bien autre histoire. Rosenbach s’est enfuit, pour revenir aussi vite qu’il est parti, l’air de rien. Enfin presque. Parce que son trafic n’est plus entre ses mains, ça il l’a découvert assez vite. Il y a le patriarche, visiblement, que Tino pensait pourtant innocent depuis le début. Ça expliquerait l’amertume qu’il lui montrait, aux repas de famille, quand il était à deux doigts de se fiancer avec Lou. Quoi qu’il en soit, pour Lou, et pour Lizzie, le flic s’était décidé à ne pas tourner autour des affaires du patriarche. Pas pour le moment en tout cas. Il avait besoin de plus d’informations. Et si jusqu’ici, il s’était entêté à utiliser Alex pour ça, petit à petit, il ne pouvait que reconnaître qu’il en était de plus en plus incapable. Parce qu’il tombe sous son charme, et parce qu’il s’attache à elle, bien plus qu’il ne pouvait l’avouer. Au fond, tout ce qu’il espérait, c’était de ne jamais rien découvrir de compromettant sur elle. Qu’elle soit bien différente de tout ce qu’il avait pu s’imaginer.  
En revanche, tourner autour d’Ezra, ça, il n’en n’avait pas terminé. Aussi longtemps que le brun ne serait pas en taule, il le surveillerait, de près ou de loin. Pour protéger Lou, il ne peut pas le nier. Lizzie aussi. Et parce que la rancœur qu’il a envers le géant est inégalable. S’il ne s’était pas mêlé de sa vie, plus d’un an auparavant, il serait probablement marié à Lou, et près de famille à l’heure qu’il est. Ezra n’est qu’un fléau pour lui, alors l’enquêteur comptait bien en faire de même de son côté.

D’après ses dernières sources, Ezra ne s’est donc pas rapproché de son ancien bizness, mais il ne s’est pas blanchit pour autant. Il a laissé le monde de la drogue et des diamants pour les enchères. Des enchères illicites. Il n’en fallait pas plus à Tino, pour se rapprocher de cette “secte” comme il la décrivait auprès de ses associés. Ça tombe bien, ces derniers temps, il est en manque d’action. Nul besoin de se cacher sous une paire de lunettes, ou un costard hors de prix. Un pantalon foncé, une chemise assortie, le tout caché sous son manteau, pour affronter le froid New-Yorkais. Et le voilà parti pour le lieu de rendez-vous. C’était ce soir, visiblement. A ce qu’il avait pu tirer. Il ne restait plus qu’à vérifier.  

Sur place, il découvrait assez vite la réalité des faits. Restait à trouver comment entrer, dans invitation, et avec cette tête de flic placardé sur Gossip New-York. Rien n’étant impossible pour le guatémaltèque, le voilà parti à fouiner tout autour du manoir. Jusqu’à trouver une fenêtre non verrouillée. Ni une, ni deux, il se faufilait par l'ouverture, comme s’il était encore aussi agile qu’à ses vingt ans. Ce qui n’est nullement le cas, évidemment. Le craquement qu’émit son dos au même moment, lui rappelait vite ses quarante ans. Mais qu’importe. Se redressant, digne, il tirait sur sa veste et victorieux d’être entré, il commençait à scruter les parages. Il est dans une salle de bain... Vide de toute âme. Un rapide coup d’œil dans le miroir pour se recoiffer, et le voilà sortant de sa cachette, cherchant le chemin vers la soirée. Il suffisait de suivre les lumières et le son, rapidement, il était sur place. On ne faisait pas trop attention à lui, tout le monde étant concentré dans de vives discussions. Il ne tendait pas spécialement l’oreille non plus, trop absorbé par ses recherches. Ses yeux n’espéraient se poser que sur une seule personne : Ezra. Et enfin, il l’apercevait. Il semblait lui-même scruter quelque chose, ou quelqu’un. Suivant son regard, Tino remarquait un homme, dans un coin, seul et nerveux. Une fouine, certainement. Un journaliste, ou un apprenti journaliste. Un gars de Gossip NY si ça se trouve. Il n’a pas l’air très professionnel, et surtout, ne semble pas avoir réalisé ou il a mis les pieds... Alors Tino l’observe lui aussi, du coin de l’œil, jusqu’à ce qu’Ezra bouge enfin. Sans avoir compris la présence de son ennemi juré, l’héritier des Rosenbach s’empare du bras de l’intrus et l’emmène un peu plus loin. Sans même avoir à réfléchir, le flic le suit, sachant pertinemment comment est Rosenbach. Il n’a aucune indulgence. Il fait disparaître les traces de ses actes. Il risque de vouloir le descendre, sans même chercher à savoir qui il est vraiment. Alors en silence, Tino les suit, de loin, jusqu’à qu’ils disparaissent dans une pièce, loin de tout. La musique du salon couvrant tout ce qui pourrait se passer ici. Alors cette fois, Tino s’approche doucement de la pièce ou s’est engouffré Ezra et son prisonnier. Mains sur son arme, à la ceinture, il se plaque au mur et espionne discrètement par la porte entre-ouverte. « Oh mais… vous êtes Ezra Rosenbach, n’est-ce pas ? Je ne vous ai pas reconnu tout à l’heure- » « La ferme » Ezra se tient là, plaquant l’inconnu contre un mur, son arme s’enfonçant contre sa tempe. Agacé, Tino s’empare de la sienne, et rentre dans cette pièce, subitement et sans bruit. Droit, à seulement deux mètres d’Ezra, il braque son gun sur lui, les yeux rivés sur le géant, le visage impassible, sérieux et dur. Un cliquetis se fait entendre, émanant de son pistolet, près à tirer.

« Chassez les vieilles habitudes, elles reviennent au galop... »

Lance-t-il calmement, pour prévenir de sa présence. Juste assez pour surprendre Ezra, le déstabiliser quelque peu, et ainsi, permettre à l’autre type de s’échapper de son étreinte s’il le voulait.

« Je suppose que te ne tiens pas à refaire la déco de la pièce avec ta cervelle, Rosenbach ? »

C’était vachement satisfaisant de le tenir comme ça. Un petit sourire en coin des lèvres pouvait presque se dessiner, sous cette allure si froide qu’il avait pourtant adoptée, face à son ex-beau frère.

« Lâche ton arme Rosenbach. »

C’est fou comme Ezra semble impassible, même là, à deux doigts d’ôter la vie d’un pauvre type, dont il ignore tout. Peut-être qu’il a une femme, des enfants, mais rien ne l’affecte. Comme si pour lui, tuer n’est qu’un jeu d’enfant. Un passe-temps. Un hobby. Bien sûr que Tino est loin d’être blanc de ce côté-là. Il en a prise des vies. En Afghanistan, au Pakistan, ou en Irak. De pauvres gars qui comme lui, se battaient pour leur pays, leurs croyances. Eux aussi peut-être qu’ils avaient femmes et enfants qui les attendaient. Mais tout était différent. Peut-être qu’aujourd’hui, s’il n’arrache à la vie que les trafiquants, les virus de cette société, c’est pour tenter de racheter tout ça... Quoi qu’il en soit, ôter une vie pour lui n’a rien d’aussi excitant, que semble le savourer Ezra. Bien que dans son cas, planter une balle entre les deux yeux de l’héritier Rosenbach le ferait tressaillir et jubiler. Mais il ne le fait pas. Il le pourrait là, face à lui, l’inconnu ayant déjà disparu. Il en est pourtant incapable. Parce qu’à chaque fois qu’il tente d’appuyer sur la gâchette, il y a devant lui le visage de Lou qui se dessine. Et Lou, il ne peut pas s’imaginer lui faire du mal. Il devine aisément que depuis leur dernière altercation, elle ne doit plus porter son frère dans son cœur, pas autant qu’avant en tout cas. Pourtant, elle l’aime, malgré tout. Il reste sa famille. « Ça ne sert à rien d’être si théâtral, Tino. Je sais que tu ne vas pas oser me tuer. »

« Ce serait pourtant grisant! »

Rétorque le flic, les dents serrées. L’attitude toujours aussi hautaine d’Ezra l’agace déjà. Et tandis que ce dernier s’avance, Tino laisse son arme pointée sur lui, menaçant d’appuyer sur la gâchette à tout moment. Et cette envie est là, elle cogne dans sa tête, dans ses veines. Il serre ses doigts contre son arme, sentant son corps entier se crispant. Ezra s’arrête juste devant lui, le défiant sans aucune peur sur le visage. C’est comme s’il n’attendait que ça, que le flic tire. Il était si assuré, que Tino en arquait légèrement un sourcil, alors qu’il observait avec la plus grande curiosité, et défiance, la silhouette du plus grand. « Vas-y, tire. Qu’est-ce que t’attends ? » Tino fronce les sourcils, frustré par l’attitude de Rosenbach. Il s’avance à son tour, les traits du visage serrés, fermés et durs. Martyrisant sa lèvre inférieure, il vient enfoncer le bout de son arme contre le torse du géant, alors qu’il inspire difficilement tant il se bat avec sa conscience. Il n’a qu’une envie, tirer. Mais Lou est là, dans sa tête. Il voit ses larmes, et il ne parvient pas à presser cette fichue gâchette. « Je sais que t’en as envie. »

« Tu n’imagines même pas à quel point... »

Crache le guatémaltèque, alors que ses yeux s’enfoncent dans ceux de son ennemi, avec insistance. Trahissant toute la haine qu’il avait pour lui. Ouai, c’est vrai que quelque part, Tino a gagné une bataille cet été. Mais a-t-il réellement gagné la guerre ? Si tel était le cas, il ne ressentirait pas encore toute cette haine. Ezra a gagné le jour où il lui a arraché Lou. Et ça, rien ne pourra jamais le réparer. Le soulager. Il enrage depuis ce jour, persuadé qu’Ezra ne mérite qu’une chose : La prison, ou la balle en pleine tête. Mais pour Lou, mieux vaut la première option.

« Mais contrairement à toi, j’ai encore un peu d’humanité faut croire. »

Il baisse son arme, comme s’il allait en rester là. Il le pourrait, après tout, l’autre fou est sauvé, probablement déjà loin d’ici. Mais ce serait trop facile. Alors, sans réfléchir plus, brusquement, et sans prévenir, il relevait son poing qui s’abattait brutalement sur le visage d’Ezra. Tellement fort, comme s’il dégageait toute sa haine en un seul geste, qu’il s’était fait mal à la main. Le temps qu’Ezra n’accuse le coup, il secouait cette dernière en grimaçant légèrement. Trop absorbé par cette tête à tête, la douleur n’était pas encore réellement vive.

« Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, put*** ?! »

Hurlait-il finalement, rattrapant son arme qu’il pointait à nouveau sur Ezra, contre sa tempe, l’enfonçant autant que ses yeux dans les siens.

« Tu avais l’occasion de te racheter, de te refaire un nom propre, pour Lizzie, pour Lou, mais non, t’es encore dans une put*** d’affaire de merde! Tu ne pouvais pas rester en Europe ?! »

Loin d’elles, loin de lui. Là où il ne serait pas obligé de fouiner dans ses affaires. Le cœur battant si vite, par la colère, Tino sentait cette affreuse envie en lui, d’attraper le visage d’Ezra pour l’exploser contre la table non loin derrière eux. Mais il n’en faisait rien, gardant sans savoir comment, un minimum de self contrôle. Un put*** de self contrôle qu’il aimerait ne pas avoir ce soir. Alors les lèvres serrées, le regard figé dans celui d’Ezra, il relâche une nouvelle fois la petite pression commencée sur la gâchette. Puis d’un revers de main, il finit simplement par venir frapper brutalement l’une des épaules d’Ezra avec le manche de son pistolet. Il ne peut pas le tuer, mais lui refaire le portrait lui fait le plus grand bien.

« T’as raison, ça défoule. »

Crache-t-il encore, se reculant, sans pour autant lâcher son arme qui reste scotchée à ses doigts.

Non, il ne l’a pas suivi en Europe. Là est tout le problème. S’il y était resté au moins, il n’aurait pas à lui tourner autour. A surveiller ses faits et gestes. Sauf que le voilà revenu. Et le dossier de Tino s’est rouvert. Il n’a pas vraiment le choix, il a déjà fallu expliquer à ses supérieurs, pourquoi Rosenbach s’était envolé en Italie, plutôt que derrière les barreaux. Alors si en plus à son retour, Tino n’est pas à ses trousses, tous vont commencer à douter de son travail. Il ne pouvait pas simplement expliquer qu’il est incapable de l’arrêter, juste par sentiment pour la sœur de l’héritier. A moins d’espérer perdre toute crédibilité. « Tu me suis maintenant, Ramirez ? T’as que ça à faire de tes journées ? » Ezra crache ses mots avec haine, et rage. Autant que Ramirez frappe. L’un comme l’autre, ils sont à bout de cette relation malsaine qu’ils entretiennent, depuis longtemps maintenant. Ezra ne peut s’en vouloir qu’à lui-même pour ça. C’est lui qui a posé la première bombe, en arrachant Lou à Tino.

« J'suis payé à te tourner autour, tu crois que je vais m’en priver! »

Rétorque l’agent, remontant son arme qui visait dès maintenant, la tête du grand brun. Il n’en n’a pas vraiment fini avec lui. Il veut gagner du temps aussi, pour s’assurer que l’autre imbécile est déjà loin. Puis il faudra le retrouver, et lui faire la morale. Comme s’il n’avait que ça à faire. « Donne-moi une bonne raison pour ne pas demander aux gardes de te jeter d’ici. » Parce qu’il pourrait faire arrêter toute la maison peut-être ? « Non attends, donne-moi une bonne raison pour ne pas te tuer. Parce qu’en soit, qu’est-ce qui m’empêche de te faire la peau, là maintenant ? » Ezra est toujours aussi hautain et narcissique, le sourire pendu aux lèvres, mesquin, ignorant presque que jusqu’ici, c’est Tino qui a mené la danse. Il en porte les marques, de plus en plus gonflées au visage. Mais le flic lui-même n’y porte pas plus d’importance. Il est rivé sur les yeux de vipère de son ennemi juré. Qu’est-ce qu’il donnerait cher pour le faire enfermer. Il en vient à se maudire, de tenir autant à Lou. Peut-être que dans le fond, ses sentiments pour elle sont toujours bien plus forts qu’il ne peut l’avouer. Peut-être est-ce pour ça que la bague qu’il avait tant rêvée lui passer au doigt, est toujours là, dans ce petit tiroir de commode, dans son salon. Lou est spéciale. La première et la seule femme qu’il a envisagé d’épouser. Celle avec qui il espérait fonder une famille. Et à cause de cette ordure, qui se tient si fière face à lui, rien de tout ça n’est arrivé. Lou lui a tourné le dos. Le haïssant même, pendant longtemps. Trop longtemps pour le capitaine. Alors plus frustré encore, il vient briser la faible distance qu’il restait entre leurs deux silhouettes. Le visage toujours aussi dur et fermé, les dents et les lèvres serrées, il enfonce le bout de son gun sous la gorge d’Ezra. Sa respiration est forte, et ses poings bien fermés. Nul doute sur la haine qu’il ressent à cet instant.

« Elle porte le même nom que la mienne, espèce d’ordure! »

Lou, Lou, toujours Lou. Si Tino sait qu’il ne peut pas blesser Ezra sans que son ex-petite amie lui tombe dessus, c’est exactement la même chose pour le grand brun. Si Tino venait à mourir, ou disparaître étrangement, Lou comme Lizzie, se douteraient vite qu’Ezra y est mêlé. Et c’est donc une boucle sans fin qui s’ouvre à eux. A moins qu’un jour, l’un des deux prenne la décision d’oublier son amour pour Lou. Échappant un profond soupir de rage, Tino fini par ôter son pistolet en reculant légèrement.

« T’es quand même tombé bien bas. »

Finit-il par ajouter après un léger silence. Il avait quand même une sacrée situation, à la tête de son ancien trafique. Et le voilà rangé parmi de petits “trafiquants” paumés. Il en échappe un léger rictus, saoulé et désabusé par la situation. Fatigué aussi, des frasques de ce crétin.

« Qui a repris ton bizness ? »

Allait-il en profiter pour mener un interrogatoire ? Certainement. De toute façon, quitte à perdre son temps... Il renifle, passe une main sur son menton mal rasé et grisonnant, avant de se reculer un peu plus, sans pour autant quitter des yeux Rosenbach. Son arme non plus. Il est prêt à tirer, au moindre faux mouvement de héritier.