Aujourd'hui Jake s'était enfin accordé un jour de congé. Bien qu'alcoolique, le quarantenaire ne s'autorisait que très peu de repos, ayant été habitué à travailler avec acharnement à l'armée, il avait gardé ce côté bosseur qui ne déplaisait pas à son ancien chef. Qui plus est, et c'est important de le préciser, le temps c'est de l'argent! Et Jake étant à son compte, sa rentrée d'argent ne dépendait que de lui. La grasse matinée avait été cependant très bénéfique au détective, pour une fois, il se sentait mieux, ne se réveillait pas avec un mal de crâne et ne ronchonnait pas parce que les heures de sommeil n'avaient pas été suffisantes. Non, rien de tout ça, il avait bu un café, s'était installé devant netflix comme toute bonne personne l'aurait fait. Cela faisait bien des années qu'il ne s'était pas senti ainsi. Pas de gueule de bois, rien! Appréciant cette matinée fort sympathique, Jake fût cependant vite ramené à la réalité lorsque son corps ressentait déjà l'envie d'alcool. Il n'était pourtant que 14 heures et ne pouvant se priver davantage, il s'était accordé une bière, se disant que s'il voulait se saouler, il irait dans le bar de son ami dans la soirée. Chose dîtes, chose faite, quelques heures plus tard, ne tenant plus, le détective s'était levé de son canapé d'un bond, ce qui avait fait sursauté son pauvre canidé puis avait empoigné son petit porte-feuille qu'il avait enfoui négligemment dans sa poche de jean. Sortant en trombe sans même prendre la peine de fermer sa porte à clé -de toutes manières il n'avait rien à voler chez lui, n'étant pas matérialiste, il n'avait qu'un vieil ordinateur et une petite télévision pour seuls biens précieux, le reste n'était que babioles. Dépassant alors les gens à vive allure, le quarantenaire pénétra dans le bar où il salua le propriétaire d'un grand signe de la main avant de s'installer au comptoir. « Héé chéri... tu pourrais me servir à nouveau de ce fabuleux cocktail qu'on appelle mojito stp ? » Contemplant sa voisine, Jake se dit qu'elle ne devait pas avoir bu que de l'eau avant de venir ici. Cependant elle avait un corps à se damner et un minois fort sympathique à regarder. Ne cachant pas son intérêt pour ce petit bout de femme, l'alcoolique s'accouda au comptoir tout en fixant la jeune femme.


— Commencer par un simple mojito, vous jouez la carte de la sécurité. avait-il dit d'un ton taquin. J'me prends un verre de vodka, je peux vous en offrir un, quitte à venir ici autant ne pas faire les choses à moitié.

Oui, cette femme il l'a connaissait, il l'avait déjà vu quelque part. Peut-être l'une de ses conquêtes, une cliente ? les deux ? Jake voyait tellement de demoiselles passer dans son lit qu'il en venait à oublier leur visage et leur nom. Goujat, ça il l'est, y a pas de doutes! Il faut dire que l'on se souvient plus de lui pour son comportement inacceptable et ses prouesses sexuelles que lui ne se rappelle de son entourage. L'alcool y faisait pour beaucoup, mis à part Tony, sa famille et quelques rares personnes, le détective n'enregistrait que peu de visages. « Mais... y a pas du rhum ou de la vodka dans le mojito? J'avoue, je ne suis pas au premier verre, ne me demande surtout pas combien j'en ai bu.» Du tutoiement, bingo, elle le connaissait. Tripotant son verre, le quarantenaire se mordilla la lèvre inférieure. Merde...où l'avait-il vu ? Qui était-elle et pourquoi était-elle si familière avec lui ? Pour sûr qu'il avait couché avec elle mais compte tenu du nombre incommensurable de ses conquêtes, impossible qu'il fasse la distinction de l'une d'entre elle...

— Ce sera toujours moins que ce que je bois en une demie-heure.

Tristement vrai. « Ah oui? Bah écoute pourquoi pas, je te suis pour le verre de vodka, [...] Vous êtes bien Jake c'est ça?  » Oh, quelqu'un qui lui paye une deuxième tournée! La rareté de ce si sympathique geste était telle qu'il n'allait certainement pas refuser! Quand bien même il est galant -ou légèrement vieux-jeu et qu'il, d'ordinaire, n'accepte pas l'argent d'une femme hormis professionnellement parlant, là, il n'allait pas se laisser prier! D'un geste expert, l'homme engloutit alors son alcool d'une traite avant de regarder la jeune femme de plus près, ah oui, voilà ça lui revenait, bien sûr qu'il l'a connaissait!

— Oooh, c'est toi!  Désolé je ne t'avais pas reconnu, j'ai du trop boire. mentait-il. Oui, oui, moi c'est Jake! répondit-il. Et bah, ça fait un moment! ça va toi ? Quoi de beau dans ta vie ?

« Ouaip c'est moi... je dois dire que c'est étonnant de la part de quelqu'un qui ne me reconnait pas mais quel bien ça fait! » Ah oui, maintenant ça lui revenait. Une mannequin, brune, joli visage, belles courbes. Pas étonnant que le fait de ne pas se faire reconnaître tout de suite par quelqu'un lui plaisait, elle devait être bien embêtée au quotidien, par ses admirateurs, que Jake imaginait pervers narcissiques. Aurait-il pu supporter la vie de célébrité ? non, certainement pas. S'il avait été populaire, il ne se donnait pas une semaine pour qu'il y ait déjà une dizaine de mauvaises rumeurs à son encontre. Bien trop fêtard et excentrique pour ce monde qu'il ne connaissait strictement pas -et qu'il ne cherchait pas à connaître non plus, le quarantenaire s'était mit d'accord pour ne jamais fricoter avec une célébrité...bon là en l'occurence c'était un peu foutu, il l'avait fait par le passé et ne le regrettait pas, mais il ignorait s'il prendrait le risque de recommencer, sans doutes pas.

— J'imagine bien ouais. se contentait-il de dire.
 
« Tu m'as aidé à surveiller mon copain de l'époque et disons que nous avons fini par partager le même lit le temps d'un soir, tu me remet maintenant? Je vais bientôt sortir ma collection de produits sur le marché, bientôt les promotions, les mondanités, les journalistes... sinon le reste rien a changé... je fais peur aux hommes sans doutes.» Les mondanités...s'il y avait bien quelque chose qu'il ne supportait pas c'était bien cela. Son travail l'avait souvent obligé à côtoyer ce genre de soirées de trou d'cul, s'il pouvait éviter d'y assister, il le ferait...peut-être devait-il penser à prendre un stagiaire qui ferait toutes les tâches ingrates ? oui, il y penserait à l'avenir.

— Ouais c'est bon, j'te remets désolé. commençait-il. Le prend pas mal, l'alcool fait des dégâts, des fois j'oublie même mon propre nom.

Tristement vrai. « Jake... Jake, je suis contente qu'on se retrouve ce soir... deux vodkas? Ou alors on se prend directement la bouteille ? » Parce qu'il pouvait choisir ? sans hésiter la bouteille. Un verre ce n'était pas assez pour notre détective, il tenait bien trop l'alcool pour se contenter de si peu. Sa relation avec l'alcool était bien compliquée, de premier abord, l'on pouvait penser que son ancien métier de militaire y était pour beaucoup dans sa boisson mais même si elle y contribuait, c'était le décès de sa femme qui avait déclenché sa descente aux enfers.

— Bah écoute, j'te dirais bien la bouteille ? avait-il dit.

« Et toi Jake? Quoi de neuf? Toujours à la rescousse des demoiselles en détresse ? » Oh ça oui, ça ne changeait pas. Bien que son travail l'y obligeait, c'était essentiel pour lui de venir en aide aux femmes malheureuses tandis qu'elles doutaient de leur couple. Le quarantenaire lui adressa donc un sourire avant de jouer avec son verre de vodka. Il croisa donc le regard de son interlocutrice pour ensuite dévier ce dernier vers son verre.

— Moi, pas grand chose, toujours à la rescousse des demoiselles en détresse ouais, des damoiseaux aussi mais c'est plus rare. répondait-il. Qu'est-ce que tu fais ici alors ? t'as pas peur d'être dans tous les journaux demain ? c'est pas très prudent.

« T'inquiète pas, je ne le prend pas mal. Après tout, je suis comme tout le monde ici. Je crois que je suis au même stade que toi, l'alcool commence à faire effet oui. Ah oui d'oublier son propre nom c'est assez embêtant.» Au même stade serait trop grave, non, elle devait avoir bien bu certes, mais pas autant que le détective. Lui était arrivé à un tel taux d'alcoolémie qu'il en était encore surprenant qu'il ne tienne sur ses deux jambes. Trop habitué à être dans cet état, il parvenait toujours à paraître un peu moins saoul qu'il ne l'était vraiment. Mais oui, parfois il en venait à tel point qu'il oubliait sa propre identité, dans ces moments-là c'était généralement son meilleur ami qui le ramenait à la réalité, qui s'occupait de lui malgré sa lourdeur incomparable.

— Au même stade que moi j'crois pas, personne ne m'bat! s'exclamait-il. Bon, pas sûr que j'dois en être fier m'enfin quand même, pour une fois que je suis premier quelque part!

Si Jake était idiot ? non, idiot est un petit mot pour le décrire! Complètement abruti était déjà un peu plus convenable. Le plus vieux n'était pas le plus sage, bien au contraire! Et pourtant il était loin d'être bête, il était même surdoué à vrai dire, mais il n'avait jamais su comment exploiter cette habilité et, au final, avait décidé de ne pas mentionner cette capacité à quiconque, il pouvait se montrer intelligent certes, mais ce serait donner aux autres l'espoir qu'il ne guérisse un jour de son alcoolisme et l'américain ne pouvait leur promettre une telle chose. « Parfait! Tu nous met la bouteille stp? Si on arrive à la finir, alors là...» Un petit rire émanait alors de la bouche de Jake. Oh, qu'elle ne s'en inquiète pas, ce n'était certainement pas lui qui laisserait une seule goutte d'alcool au fond d'une bouteille.  

— Oh on arrivera à la finir, t'inquiète pas pour ça! répondait-il.

« Ah les journalistes, c'est pas les pires, c'est les paparazzis, eux c'est les pires, ils s'incrustent partout, si ça se trouve, y en a peut être dans ce bar. [...] en toute discrétion pour boire cette bouteille alors si tu connais un endroit, je te suis... sinon on reste ici et j'assumerai toutes les conséquences possibles.» Les paparazzis hein, un travail pas si différent du sien au final, lui aussi s'était déjà caché dans les arbres pour prendre des photos compromettantes pour des clients...pas sûr que ce soit la meilleure manière de parvenir à ses fins mais elle s'était montrée efficace et c'était tout ce qui l'importait. Quant à un autre endroit, qu'ils aillent dans un autre bar ne serait pas plus malin, s'il y avait vraiment des paparazzis ici, pour sûr qu'ils les suivraient, connaissant à peu près l'état d'esprit qu'il fallait avoir pour exercer ce métier, Jake savait bien qu'ils n’arriveraient pas à leur échapper bien longtemps.

— Honnêtement, j'crois pas que changer d'endroit soit hyper judicieux, si y a vraiment des paparazzis, ils nous suivront où que nous aillions! Crois-moi, pour faire un métier pas si différent du leur, j'sais bien qu'il faut être hyper tenace.

Et fourbe aussi, mais ça l'ex-soldat se gardait bien de le dire car lui aussi n'était pas des plus honnêtes pour clore une "mission". Il usait même très souvent de stratagèmes illégaux. Il se faufilait dans les maisons de ses cibles pour en trouver le moindre indice, demandait souvent à une connaissance de l'aider sans avoir reçu la moindre formation, bref, il n'était pas en mesure de juger les parasites qui lui collait aux basques. « Ne passe pas par la sortie, semblerait que ça grouille de photographes dehors... surtout si te décide à partir, je te préviens juste..» S'était alors exclamée une fille, visiblement amie de Lilly. Oh, ça c'était ni une bonne nouvelle pour elle, ni une bonne nouvelle pour lui! Autant Jake comprenait la position de son ancienne cliente, lui aussi ne se préoccuperait pas de son image s'il était célèbre, mais là s'il était concerné dans la rumeur, si on les prenaient en photo, ce serait tout de suite beaucoup moins drôle. En tant que détective, si son visage était partout dans les presses à scandales, cela pouvait nuire à ses affaires. « Et voilà, la rançon de la gloire... vive la liberté! » Haussant les sourcils, le quarantenaire bu une gorgée d'alcool avant de répondre.

— C'est peut-être pas une super idée que tu sois vue avec moi alors, parce que tu sais que j't'adore mais j'tiens vraiment pas à être pris en photo, c'est pas bon pour les affaires. se contentait-il de dire. Franchement, je compatis, ça doit être chiant à la longue, t'as jamais pensé à porter plainte ? Parce que tu devrais!

« Alors dans ce cas, tu nous serres un verre ? » D'ordinaire, Jake ne partageait jamais son breuvage avec quiconque hormis son meilleur ami, or là, malgré le fait que son ex conquête ne semblait pas tenir l'alcool aussi bien que lui, partager son alcool avec elle ne lui déplaisait pas, surtout si cela impliquait quelques heures en sa compagnie. Le quarantenaire avait pour habitude de donner rendez-vous à ses sexfriends à l'endroit exact du coït, rares étaient les fois où il passait du temps avec elles. Cependant il les respectait, il avait traité chacune d'entre elles comme elles le méritaient et bien que porté sur la boisson, il n'avait jamais levé la main sur elles. Non, il n'était pas du genre violent avec ces dames, Jake était simplement un peu trop frivole et ce n'était pas Lilly qui en dirait le contraire.

— Avec joie ma belle. se contentait-il de dire en lui servant un verre.

« Soit tu as sûrement raison, alors restons ici, ça vaut peut être mieux. Peut être que je devrais me mettre une perruque, je serais moins reconnaissable, tu préfères quoi ? Rousse ou blonde ? Ah ouai ? Raconte ? T'a sûrement du te planquer dans des endroits bizarres avec ton job. » Effectivement, le détective avait dans son répertoire un nombre impressionnant de cachettes toutes aussi improbables les unes que les autres, les arbres pourraient sembler bien ordinaires à côté de ses planques étranges. Jake était capable de tout pour parvenir à ses fins et si cela impliquait de pénétrer chez un inconnu pour l'y aider, il n'hésitait pas. S'il vous arrive de voir des jumelles à travers un buisson, une poubelle ou une mascotte de fast-food, pour sûr que ce sera lui! Ce n'était certes pas toujours discret mais bien souvent, ces méthodes s’avéraient bien utiles.

— J'crois que tu te ferais encore plus reconnaître avec une perruque! ajoutait-il en riant. Pi' honnêtement, je préfère de loin les femmes aux cheveux foncés. avouait-il. Bah, y a rien d'hyper intéressant à raconter...des fois je me déguise juste en sans-abris, avec ma dégaine j'ai pas trop de mal à faire croire que j'ai pas un rond! Sinon bah, j'vais dans des poubelles, je me déguise, j'entre par effraction chez mes "suspects", tout ce qu'il y a de plus ordinaire.

Peut-être devrait-il revoir la définition d'ordinaire...« Ecoute moi, déjà je m'en fou de ce que pense les autres. Si j'ai envie d'être en ta compagnie, je suis avec toi. [...] J'ai porté plainte une fois oui mais bon, ils continuent quand même. J'avais gagné le procès ceci dit, ils étaient allé beaucoup trop loin. » Jake aussi se fichait bien de l'impression qu'il donnait mais il n'imaginait pas que ce serait aussi le cas de la jolie brune. La savoir si peu intéressée par le fait de se montrer sous son meilleur jour h24 le confortait dans l'idée qu'il s'était faite d'elle, la mannequin était une femme intéressante, le genre avec qui l'on ne s'ennuie pas...peut-être était-ce aussi l'une des raisons qui l'avait poussé à coucher avec elle ?

— Ah oui ? bah tu m'en vois ravi alors! Même si ça m'inquiète un peu, ce genre de vermine, ça te pourri la vie. commençait-il. Ah ouais, ils t'avaient fait quoi ces sous-merdes ?

« Enfin peut être que toi tu n'as pas envie d'être avec moi du coup ? » Jake, ne pas vouloir passer la soirée avec une ex-conquête, mannequin de surcroît ? c'était mal le connaître! Au diable sa réputation de détective sans histoire, s'il fallait être la cible de rumeurs pour protéger une amie des médias malsains alors il ornerait le chapeau de victime des paparazzis avec fierté. Sur cette pensée, l'alcoolique posa son verre contre le comptoir avant de fixer son interlocutrice d'un regard certain. Sans même se préoccuper du monde qui les entouraient, le plus vieux passait ses doigts dans la chevelure de la belle, caressant au passage la joue de cette dernière.

— Ce serait bien dégueulasse de ma part de ne pas vouloir être avec toi. avouait-il. Surtout après ce qu'il s'est passé entre nous. lui avait-il chuchoté à l'oreille.

Sans attendre, l'homme échangea un regard entendu avec le propriétaire des lieux, ce dernier le connaissait bien, Jake l'avait aidé à de maintes reprises lorsqu'il était victime de clients un peu trop violents. Après un bref échange à peine audible, le détective tourna le visage en direction de son interlocutrice.

— On peut passer par derrière si tu veux éviter les paparazzis, j'ai l'autorisation du boss! ajoutait-il. Et si jamais ça te dit de passer un peu plus de temps en ma compagnie, je connais aussi le boss du motel à 200 mètres d'ici. avait-il conclu, la main contre le menton, l'air innocent.