Encore un matin à ses côtés. Un très beau matin. Un matin parfait. Depuis quelques soirs, leur relation avait pris un tournant plus qu’étrange, mais il s’en réjouissait déjà. Elle dormait à ses côtés, contre lui, sans que jamais il ne se passe quoi que ce soit pour autant. C’était plus que bizarre, mais rien que ce petit pas en avant lui donnait du baume au cœur. Il ignorait toujours s’il voulait vraiment aller plus loin avec elle, après tout, leurs vingt ans d’écart restaient un fossé qui à ses yeux, était presque infranchissable. Mais il était si bien avec elle, même par de simples petites caresses, et des regards se perdant l’un dans l’autre, que franchement, il ne voulait plus y réfléchir. Il voulait juste savourer l’instant présent.

Il était donc parti au travail le sourire aux lèvres, s’étant réveillé à près d’elle. La journée s’annonçait bien, vraiment bien. Et pourtant, il était loin de se douter que dans l’ombre, elle s’assombrissait.  

La matinée était bien engagée. Il avait déjà avalé trois cafés, et était toujours pendu sur le plan du Salvador. Il cherchait la planque d’Alvarez Senior, tout en se basant sur ce qu’il avait pu extirper de ses indics. Dont le fils du Patron lui-même, Valentino. Mais ça tournait en rond. C’est alors que son téléphone sur le bureau, vibrait, annonçant un nouveau message. Encore Nina ? Un petit sourire aux lèvres, il allumait son écran pour lire le message. Non, c’était le numéro de Valentino, son nouvel indic, peu officiel, et peu convaincant, mais il le considérait comme tel. « Viens la chercher pendejo. Tu as deux heures. » Perplexe, il haussait un sourcil. De quoi il parlait ce crétin ? “la” ? Sa pouvait être n’importe qui. Et pire encore, n’importe ou. Il n’indiquait rien de plus. Les choses tournaient dans sa tête jusqu’à ce qu’il réalise un truc : Nina. Elle est chez lui depuis des semaines maintenant. Et sa seule crainte quand à son installation, c’était que quelqu’un s’en prenne à elle, pour se venger de sa personne. Est-ce que vraiment, l’Alvarez aurait été capable de faire ça ? Dans le doute, et sans vraiment se rendre compte que ses mains s’étaient mises à trembler, il prenait son téléphone et tentait d’appeler Nina. Aucune réponse. Jamais elle ne ratait l’un de ses appels. Jamais. Son cœur s’emballant, sa respiration s’accélérant, il recommençait. Encore la messagerie.  

« Putain Nina. »

Murmurait-il, recommençant en vain. Aucune réponse. Ni une ni deux, il sautait dans sa voiture et regagnait son appartement. Il déboulait dans les escaliers, sans se soucier du bruit qui dérangerait sa voisine. Il manquait de presque défoncer sa porte d’entrée, ses mains tremblantes ne l’aidant pas à rentrer les clés dans la serrure, il fouillait toutes les pièces à grande vitesse. Vides. La panique l’envahissait. Il n’arrivait même plus à respirer. Ce connard s’en était pris à Nina ? Lui qui l’avait jugé peu dangereux à côté de son père, remettait son jugement totalement en doute. La colère le gagnant, autant que l’angoisse, il appuyait sur “appeler” sous le numéro de Valentino. Il plaquait son téléphone contre son oreille, et attendait que le dealer lui réponde. A peine il entendait qu’on décrochait, que déjà il crachait dans le micro :

« Petit salopard tu vas me dire toute de suite à quoi tu joues ? Ou est-elle ?! Si tu lui arrache ne serait-ce qu’un cheveux, t’auras une balle en pleine tête avant ce soir, crois moi, espèce d’enfoiré! J’te retrouvais n’importe ou tu seras, même si pour ça je dois soulever jusqu’à la lune, tu m’entends ?! Ou est-elle ?! »

Tout était craché en Espagnol. Bien sûr, la panique se lisait dans sa voix, mais la rage prenait bien plus le dessus. Et V. devait prendre au sérieux ses menaces, Tino ne lâche rien quand il a quelqu’un dans le collimateur. Son père en faisait les frais et le Junior avait bien moins de moyens que lui pour se protéger du Guatémaltèque.  

(Quand je mets en italique, c’est qu’il parle en Espagnol.)

« Tu penses que c’est toi qui décides ? » Quel enfoiré... Tino bouillonnait à l’intérieur, comme jamais. Si d’habitude, il sait garder son calme en toute situation, là, il n’avait qu’une seule envie : Percer le crâne de Valentino d’une balle au beau milieu du front. Il le tuerait, nulle autre option. « Je pense que ta chérie a un truc à te dire. » Sa respiration était si rapide, qu’on aurait dit qu’il venait de courir un marathon. Sa main qui tremblait, tenait fermement son téléphone contre son oreille, alors qu’il tentait de percer n’importe quel bruit à l’autre bout, qui pourrait lui indiquer la position de Nina. Il entendait de loin, sommer à la jolie blonde de parler. Elle était donc bien vivante. « J’ai peur, je sais pas c’qui m’veulent, j’ai besoin de toi je... » Elle était paniquée, morte de trouille, et c’était bien compréhensible. Il fallait qu’il la rassure, alors il tentait de ravaler sa propre panique, en inspirant un bon coup et reprenant au bout du fil :

« Nina, Nina, ça va aller, tout va bien. Je vais venir te chercher. Dis-moi ou tu es, ce que tu vois autour de toi! »

Bien sûr, l’abruti lui avait ôté le téléphone, il entendait encore la voix de Nina derrière, mais bien plus loin. Il s’empressait alors de passer l’appel en haut-parleur, puis il commençait à fouiner sur la géolocalisation de l’appel. Valentino n’était pas stupide, il avait fermé la sienne. Il cherchait alors celle de Nina, su son propre téléphone. Là, il l’avait trouvé. Un parking non loin du dernier qu’ils avaient visité avec le dealer. Sans perdre plus d’une seconde, il dévalait les escaliers pour s’enfermer dans sa voiture, et prendre le chemin du Parking visé. Il ne respectait aucune limitation de vitesse, aucun feu rouge, mais il s’en contre fichait pas mal.

« J'espère que tu as conscience de ce que t’es en train de faire Alvarez! »

Continuait-il de cracher alors qu’il conduisait en direction de Nina. Il ne connaissait pas réellement les ambitions de Valentino, et il avait peur que ce dernier soit capable de s’en prendre réellement à Nina. Il voulait s’en prendre à lui, ça s’était certain, mais que ferait-il à Nina pour ça ? La colère le contrôlait totalement.

Il se garait un peu plus loin du parking, et il coupait la conversation téléphonique. Il ne voulait pas que le salvadorien sache qu’il était arrivé. Il fallait qu’il parvienne à le prendre par surprise. Il prenait en main son arme, puis il se hissait hors de sa voiture, se faufilant près de l’entrée. Il avait coincé le portail avec une voiture ? Pas le temps de se poser de question sur le comment du pourquoi, il se faufilait, plié en deux pour ne pas être vu, entre les voitures. Il avait fini par apercevoir Alvarez, tournant autour de Nina bâillonnée à une chaise. Le problème, c’est qu’ils n’étaient pas seuls, et que ça, il ne l’avait pas prévu. Il y avait un deuxième agresseur. Et lui il était tout seul. Il grimaçait alors en serrant les dents, maudissant la planète entière.

La seule façon qu’il avait de reprendre les rênes de la situation, c’était de faire croire à Alvarez qu’il avait l’avantage. Alors il pointait son arme sur l’ami de V., toujours bien planqué derrière une voiture, et commençait à hausser le ton pour entamer les négociations :

« Je t'ai en visuel Alvarez, pose ton arme et reculez! Nina n’a rien à voir là dedans! »

(Quand je mets en italique, c’est qu’il parle en Espagnol.)

« Il te vise, idiot. Arrête de gigoter. » Tino échappait une grimace en réalisant qu’il n’avait pas été assez discret. Le salvadorien l’avait repéré. Il était peut-être un peu fou d’être venu ici tout seul, il aurait mieux fait d’appeler ses collègues. Mais il avait bien trop peur que tout cela se finisse en bain de sang, et il ne voulait surtout pas ça pour sa blonde. Qui plus est, il devait surtout remettre en ordre les idées de Valentino. Il ne pouvait pas se permettre de perdre son indic le plus précieux. Il allait falloir marchander. « Tire sur mon pote et je tire sur ta petite-amie ! » Il l’aurait parié celle-là. Il restait bien planqué derrière la voiture, tout en gardant ses yeux rivés sur Nina. Elle pleurait, elle hurlait, et sa voix lui déchirait les entrailles. Son cœur était si emballé, s’il la perdait aujourd’hui, jamais il ne s’en remettrait. Jamais il ne se le pardonnerait. Parce que tout ça c’est de sa faute. Il l’a laissé entrer dans sa vie, il l'a laissé s’installer chez lui... Elle est devenue une cible si facile pour Valentino. Putain, là, il ne savait plus quoi dire pour retenir le gamin. Habituellement, il sait dealer, sans peur, sans angoisse. Mais là, c’est la vie de Nina qui est en jeu... Alors il plaquait son dos contre la voiture, cherchant une alternative dans sa tête. Il scrutait les moindres recoins du parking qui l’entourait, pour à tout prix, trouver une solution. « Jette ton arme et rien ne lui sera fait ! » Il était au pied du mur. Aucune solution ne lui venait à l’esprit, si ce n’est de s’échanger lui-même contre Nina. Il vérifiait juste que sa cheville, il avait encore son arme blanche. Un petit couteau pour se défendre à main nue, si besoin est. Puis il levait ses mains en l’air, mettant en visuel, son pistolet. Il se relevait, sortant de sa cachette. Il faisait quelques pas vers les deux hommes, mais il restait assez éloigné, pour déposer son gun au sol. Il fixait Valentino dans les yeux, la plupart du temps, mais il vacillait de temps en temps vers Nina, pour s’assurer de sa sécurité, et puis vers l’autre homme, pour surveiller ses gestes.

« T'es en train de faire la pire connerie de ta vie Alvarez! Je pouvais tout effacer, absolument tout et tu repartais blanc comme neige! T’es en train de foutre en l’air ta seule putain de chance! »

Il était agacé, et en colère surtout. Parce qu’il s’inquiétait, mais parce qu’en plus, il s’en voulait de ne pas avoir bien jugé le gamin. Il ne le pensait pas capable de faire ça... Il n’aurait jamais du le laisser sortir l’autre soir. Il n’aurait pas dû lui faire confiance.

« J'suis à, et c’est moi que tu veux, alors relâche là! Laisse là partir, et on pourra discuter. »

Tentait-il, les mains toujours en l’air, la respiration toujours aussi haletante. La situation était probablement la plus stressante de toute sa carrière. Jamais il n’avait eu à sauver d’un kidnapping, un être cher.

« C'est entre toi et moi. »

Avait-il ajouté en espagnol.

(Quand je mets en italique, c’est qu’il parle en Espagnol.)

« Recule, bordel ! » Le gamin paniquait, ça se voyait, ça ressentait. Et c’était inquiétant, ça prouvait qu’il ignorait complètement ce qu’il était en train de faire, et qu’il pouvait aggraver la situation à tout moment. Tentant donc de garder le contrôle des choses, Tino, les mains toujours levées, reculait doucement d’un pas. Il préférait obtempérer, pour calmer le petit.

« Hey, doucement, je recule, pas la peine de s’énerver.... »

Ses yeux n’arrêtaient plus de vaciller de droite à gauche, pour surveiller tout le monde. Le moindre fait et geste des deux gars, étaient surveillés, autant que les réactions de Nina. « Et tu vas faire quoi, une fois que je la lâche ? Me tuer ?! Tu dis que tu pouvais tout effacer, mais qui me dit que tu allais pas me piéger ? » Son cœur allait finir par sortir de sa poitrine s’il ne parvenait pas à mieux gérer la situation. C’était horrible. Le gamin était totalement paumé, son pote ne comprenait plus rien, et Tino en venait à se demander comment ils étaient parvenus à monter un kidnapping aussi parfait, si ce n’est pour ne pas en assumer les conséquences.

« Tu sais bien que j'ai rien contre toi, je ne veux pas te tuer... Je ne vais piéger personne, sauf ton père. Il n’y a que lui que je veux voir s’écrouler Valentino, pas toi. T’as toute la vie devant toi, tu peux devenir quelqu’un de totalement différent de lui, mais pas en prenant ce chemin là. Elle n’y est pour rien, elle n’a rien à voir là dedans. Je t’en prie, laisse là partir, et on discutera toi et moi. Si j’avais voulu te tuer... Je l’aurais fait depuis longtemps. Tu crois vraiment que notre face à face était le premier pour moi ? »

Il l’avait en filature depuis assez longtemps pour avoir eu plus d’une occasion de lui coller une balle en pleine tête. Mais il ne l’avait pas fait, parce que V. était bien différent de son père. Et que Tino restait persuadé qu’en le libérant de celui-ci, le gamin deviendrait quelqu’un de bien. Oui, il devait payer pour ses braquages, mais pas pour les missions que lui sommait Alavrez Senior.

Ses mots semblaient avoir une emprise sur V. Il demandait à ce soit disant Rico, de détacher Nina. Mais le second n’était pas totalement d’accord, et braquait alors son arme sur la jeune fille. Là, Tino senti la peur le gagner bien plus encore. La respiration se coupant, il abaissait une main pour la tendre vers Rico, tout en surveillant Nina. Mais le coup de feu était parti, trop vite, sans qu’il n’ait le temps de réaliser quoi que ce soit. Immobile, terrifié, il respirait à peine, quand ses yeux vérifiaient la silhouette de Nina. Elle n’avait rien, pas une égratignure. Ce n’est qu’en entendant la complainte de Rico, qu’il comprit que le coup n’était pas de lui. Il tournait alors brusquement la tête jusqu’au corps allongé du Mexicain, qui se tenait la jambe ensanglantée. La situation devenait totalement ingérable. Qui plus est Valentino était en train de libérer Nina. C’était quoi ce bordel de merde ?

« Nina! »

Sans vraiment réfléchir plus longtemps, il s’était jeté sur Nina, l’enlaçant de ses bras, la câlinant de ses mains, vérifiant qu’elle n’avait rien, qu’elle respirait, et que tout allait bien. Soulagé de ce côté-là, il l’embrassait sur le front, puis sur la joue, avant de la serrer fort contre lui.

« Je suis là, tout va bien! »

Chuchotait-il pour tenter de la rassurer. Elle était en état de choc, il l’avait vite compris. Et tout ça, c’était à cause de cet imbécile. Son soulagement laissait donc place de nouveau à la colère. Il reculait légèrement son visage, pour poser ses mains sur celui de Nina. Il repousser ses cheveux blond pour essuyer ses larmes de ses pouces, et il reposait ses lèvres contre son front. De là, il se relevait, la lâchant, et il se dirigeait vers Valentino.

« Crétin! »

Il lui arrachait son arme des mains, profitant de l’état de choc qui envahissait aussi le gamin, puis du revers de l’arme, il lui mettait un bon coup en pleine figure, pour qu’il s’écroule au sol. L’arme qu’il venait de récupérer, il la pointait alors sur V, avec beaucoup moins de sympathie qu’il avait pu en faire preuve jusqi’ici, avec lui.

« Maintenant ouvre bien tes oreilles Junior. Si il te revenait à l’esprit de t’en prendre à elle, je viendrais loger une balle entre tes deux yeux sans la moindre culpabilité et j’enverrais même ta tête en paquet surprise jusqu’au Salvador! Tu vas te lever, tu vas ramasser ton sbire, et vous allez vous casser d’ici avant que je ne change d’avis. Ne joues pas avec moi, parce que ta partie est déjà perdue. … Un seul cheveux, tu lui touche un seul cheveux, et toi comme tes petits potes, vous êtes déjà morts, c’est clair ? »

Il était en colère, plus que jamais. Nina n’avait rien demandé, elle était joyeuse, pleine de vie, toujours dynamique. Elle ne méritait pas ça. Il donnait un bon coup de pied dans les côtes de Valentino, avant de se retourner, ramasser son propre pistolet, et les deux armes en main, il revenait vers Nina. Il déposait les armes de l’autre côté de la chaise, hors d’attente des deux crétinos, puis il s’accroupissait face à sa jolie blonde. Ses mains se reposaient sur son visage, pour tenter de croiser ses yeux. Elle tremblait, elle tremblait tellement qu’il en avait mal au cœur. Tout ça c’était de sa faute...

« Viens, on rentre. Tout va bien. Je suis là Nina. »

(Quand je mets en italique, c’est qu’il parle en Espagnol.)