-Kelly, tu es la prochaine, mets toi en place !

Ça y est, c’était le grand bain. Kelly avait la tête qui tournait en regardant tous ces mannequins professionnels courir dans tous les sens autour de son petit être perdu.

Comment avait-elle pu se retrouver ici, et ainsi perdre toute la confiance qu'elle avait emportée avec elle jusqu’à New York? La jeune ne pouvait s’empêcher d’être nostalgique, repensant, le sourire aux lèvres, au calme et à l'organisation qui régnait en mot d'ordre lors de ses défilés au Japon, dans sa précédente vie. Car oui, ce n’était qu'à ce moment-là, en cette fraction de seconde uniquement, que la demoiselle réalisa ce qu'elle venait d'entreprendre: elle venait de plaquer une vie paisible et stable comme un lac, pour se jeter dans une industrie tumultueuse tel un océan déchaîné, dans un pays ou elle n'avait jamais mis les pieds. C’était comme tout ce qu'elle avait appris et les bases sur lesquelles s’était construite venait de s’évaporer sous ses yeux.

Les mains moites, le cœur battant, elle se rangea en ligne, derrière une demi-douzaine de belles occidentales. Pour toutes ces jeunes femmes, ce n’était qu'un jeu d'enfant, surement déjà toutes habituées à se pavaner avec confiance devant un public débordant de critiques.

Pour Kelly, elle, c’était son premier défilé. Enfin, son premier défilé depuis qu'elle était arrivée aux Etats-Unis d'Amérique. Malgré une carrière plutôt importante (presque 10 ans) dans le milieu, ce jour sonnait comme une première fois. En effet, tout était différent de ce qu'elle avait pu connaitre, ou être habituée. Ne serait-ce que la langue? N'ayant parlé l'Anglais qu'avec son père à la maison ou quelques amis, elle avait tout de même quelques difficultés a comprendre certains accents ou façons de parler, ou bien des mots d'un registre trop familier. Pour faire court, et sans même exagérer, la petite Kelly était complètement perdue. Autour d'elle, le brouhaha était tel qu'elle n'arrivait pas à entendre les indications des directeurs artistiques, ou la musique du stage.

La ligne de filles devant elle se réduisait, et peu à peu approchait le moment fatidique ou elle devrait marcher sur la longue estrade, et faire face à son public de qualité. Oui, car aujourd'hui, elle ne défilait pas pour n'importe qui. Un certain jeune créateur russe, reconnu mondialement, dont elle avait complètement oublie le nom. Peut-être le stress. Ou peut-être qu'elle ne le connaissait juste pas du tout, elle ne savait même plus, son cerveau avait cessé de fonctionner, et avait activé le mode de pilote automatique.

Et ce fut a son tour. Vêtue de sa merveilleuse robe, aux grandes épaulettes, aux hanches moulées dans une jupe longue et serré, sur des hauts talons, elle s’avança.

Ainsi commença son premier défilé aux Etats-Unis, qui lança officiellement sa carrière avec N.Y. Studios.

Les yeux fixant l'horizon, Kelly était plus concentrée que jamais. C’était comme si elle avait fait ça toute sa vie. Expression faciale à la fois froide et sensuelle. Elle marchait d'un pas ferme, comme si le monde lui appartenait. Ce moment lui appartenait. La jeune femme n’était pas de nature très confiante, et encore moins hautaine, mais en plein travail, que ce soit pour jouer la comédie ou défiler, elle se sentait plus forte que quiconque. Elle avait le pouvoir d’anéantir toute une armée rien qu'avec sa démarche de meneuse. Le rythme de la musique du runaway était énergique et donnait encore plus de sens à tout son personnage si féroce.

La japonaise eut deux passages, à quelques minutes d'intervalles. Le premier était avec sa robe parme grandiose et gonflante. La deuxième, elle portait une robe longue qui lui donnait toute une autre silhouette: vert émeraude, pailletée, grand décolleté, moulante dont la traîne caressait le sol immaculé deux mètres derrière elle. Se sentant beaucoup plus à l'aise sur le deuxième passage que le premier, elle laissa même échapper un clin d'oeil, sa petite marque de fabrique lors des défilés depuis quelques années.

Le défilé enfin termine, elle put saluer la foule sur scène, mais vu le nombre de mannequins qui se trouvaient devant elle, elle avait du mal à voir le visage d'une seule personne dans le public. Une fois dans les coulisses, la pression retomba enfin complètement. La directrice artistique ainsi que la créatrice leur dirent quelques mots pour les féliciter, comme quoi aucun autre mannequin n'auraient pu mieux défiler en son nom qu'elles.  Apres de grands discours, tout le monde s'applaudit et se sépara pour se démaquiller et se préparer a rentrer.

Kelly se trouvait devant son miroir et s'affairaient à rassembler ses affaires, la tète toujours dans les étoiles. Si seulement elle avait pu partager cet événement avec son entourage, comme ses parents ou un ami proche. Mais elle savait que désormais elle devait se satisfaire d'un quotidien solitaire si elle voulait réussir dans ce monde.

La jeune femme était exténuée, et le bruit constant de ces loges si petites lui donnait un mal de crane inouï. Elle se mit même à entendre parler japonais, si cela ne traduisait pas une fatigue extrême?

-Kelly ? C’est toi ? Entend-elle derrière elle dans un japonais parfait et surtout clairement audible.

Ni une, ni deux, la jeune fille se retourna et n'en crut juste pas ses yeux. Mais cette personne devant elle était vraiment celle qu'elle pensait être? Était-elle vraiment son amie d'enfance de toujours? Son étoile? Sasha de Lorenzi? Sa moitie qu'elle n'avait pas vu sans être au travers d'un écran pendant tant d’années? Sous l’etat de choc, Kelly était coincée entre deux réactions: crier et lui sauter dessus, ou bien juste rester immobile et silencieuse tout en la regardant comme si c’était un fantôme. Pendant quelques secondes, sont corps ne put réagir qu'avec la deuxième proposition. Elle avait les yeux grands écarquillés, la dévisageant presque du visage. Elle prit aussi le temps de la regarder de haut en bas pour vérifier une dernière fois par son look, si c’était bien elle. Plus de doute.

Vint ensuite la première réaction possible. Kelly se mit a pleurer, ayant accumule fatigue et émotion, elle se jeta aussi dans les bras de son amie.

-Sasha!! cria-t-elle toujours en Japonais, la serrant contre elle. C'est bien toi...? Comment ce... quoi? Tu... toi... là?

Kelly se laissa complètement aller, renforçant son étreinte.. Il lui fut plusieurs longues secondes pour se calmer, n'arrivant pas a aligner deux mots a la suite, sous les pleures. Car là, c’était des vraies larmes de crocodiles.

-J'avais complètement oublié que tu étais a New York ! s'exclama-t-elle la voix tremblante. On a tellement de choses a se dire !! Tu vies ou? Tu fais quoi? Je veux dire, en ce moment ! Et aussi, euh, tout de suite, tu fais quoi? Je te kidnappe, on va manger quelque part, il est hors de question que je te laisse t’éloigner de moi une nouvelle fois !

La jeune femme parlait tout en tenant les des mains de son amie, les yeux toujours gonflés par les larmes.

-Ah la la, heureusement que je me suis démaquillee avant que tu arrives, hein!  s’écria-t-elle, puis s’esclaffant avec son amie comme elles avaient l'habitude de le faire au bon vieux temps.

Elle avait totalement oublié ou elle se trouvait et avait fait abstraction de la cinquantaine de personnes autour d'elle. Elle venait de retrouver une personne extrêmement chère a ses yeux.